Prière d’insérer
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Prière d’insérer

Le 19 Oct 1998
Article publié pour le numéro
Théâtre en images-Couverture du Numéro 58-59 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre en images-Couverture du Numéro 58-59 d'Alternatives Théâtrales
58 – 59
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La chapelle des Brigit­tines a longtemps été mon­trée du doigt pour sa beauté et le scan­dale que sa beauté ne dis­sim­u­lait pas : les immeubles qui l’encerclent lui sont une offense per­son­nelle. Car la chapelle fut détrônée en des temps sans mémoire, par des HLM qui la sur­plombent, ambas­sadeurs de la hâte et du trop tard. Le trop tard est une manière d’agir peu scrupuleuse qui ne con­naît la cour­toisie que dans l’après-coup.
Une manière d’agir bien con­nue à Brux­elles puisqu’elle y a reçu un nom. Der­rière ce que les manuels d’architecture repèrent comme une des pre­mières chapelles baro­ques d’Europe, se pro­file donc un terme qui sem­ble bien être celui d’une mal­adie ; il y avait déjà la bru­cel­lose, il y aurait désor­mais la brux­el­li­sa­tion. C’est un mot qui désigne la manière d’enlaidir les éventuels mes­sagers d’une grandeur passée, une façon de défig­ur­er les vis­ages de pierre, une recom­man­da­tion morale aux archi­tectes en herbe. La brux­el­li­sa­tion, c’est telle­ment crain­dre une inva­sion de la beauté qu’on l’encercle de laideur.
L’avenue qui mène à la chapelle est en pente, c’est de loin que l’on repère sa mod­este prière qui est une prière d’insérer. Entre la moder­nité dans l’envergure de ses ratages, insérez donc cette page d’histoire, cette enlu­min­ure qui fait voy­ager à elle seule.
Des artistes aiment l’écoute de la chapelle. L’aujourd’hui perce la muraille et nous apporte son lot de trains, d’ambulances qui par­lent de blessures sous sa voûte. Mais la magie demeure. Tout ce qui tra­verse le texte de l’acteur, les notes du musi­cien, trou­ve ici sa place, dans ce repli du temps assail­li par le temps. C’est une écri­t­ure du hasard qui s’y livre, où la cloche mêle son grain d’éternité. Comme les Grecs apprivoi­saient la mer ou la mon­tagne pour théâ­tralis­er l’horizon, la chapelle des Brigit­tines glane le son des choses et c’est un sur­croît d’émotions qui nous vient du hasard des pas­sages sonores.
Les danseurs sou­vent la veu­lent nue et plus que nue. C’est dire sa beauté. Il lui faut peu de voiles pour ajouter à son mys­tère. Les murs por­tent la cica­trice d’une gloire qui nous assure que déjà avant nous, nous viv­ions.
La chapelle des Brigit­tines est comme une com­pag­nie invis­i­ble sur les chemins de l’existence. J’aime à croire qu’elle affec­tionne les pieds sonores qui, après l’agenouillement, lui appor­tent le signe d’un autre rit­uel qui se déroule en son chœur. Elle nous offre la froideur apaisée de son corps, usé par les pieds, les genoux des orants et j’espère qu’il sub­siste en elle un peu de con­tem­pla­tion qui nous gagne, d’attention implicite qui fait baiss­er la voix dès son seuil franchi. Ain­si en est-il des lieux sacrés, c’est-à-dire des lieux qui por­tent en eux leur pro­pre réver­béra­tion. Lucrèce dis­ait que tout lieu d’écho était un tem­ple. La chapelle porte en elle les bruisse­ments tus, les espoirs proférés dans le dia­logue du silence.
Je me sou­viens d’un con­cert où le musi­cien entrant par la porte latérale, celle qui mène aux bâti­ments faisant office de couliss­es, fut mal­mené par des pier­res lancées du dehors par des enfants. Des enfants des immeubles tout proches, sans doute, qui assis­taient de loin, par une soirée de juin à ce priv­ilège, à cette gra­tu­ité qui est la déf­i­ni­tion même de la fête. Il a fal­lu fer­mer la porte à cette intru­sion qui s’armait ce jour-là de pro­jec­tiles. Ces enfants lap­idaient la musique nous rap­pelant aus­si à quel point la musique peut-être déchi­rante. Elle le fut ce soir-là, elle le fût par cette vision oblique des enfants armés de pierre, visant un ren­dez-vous avec la beauté. Ces enfants rebelles nous appre­naient qu’écouter de la musique est la seule soumis­sion qui soit belle.

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Écrit par Pascale Tison
Pas­cale Tison est dra­maturge et romancière. Pour le théâtre elle écrit et mer en scène LA RAPPORTEUSE et...Plus d'info
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