Vacances à Cureghem

Vacances à Cureghem

Le 26 Oct 1998

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Théâtre en images-Couverture du Numéro 58-59 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre en images-Couverture du Numéro 58-59 d'Alternatives Théâtrales
58 – 59
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JUILLET 97. Pre­mier jour des répéti­tions. Plein soleil. Ouvrir la grille. Gar­er les voitures. Un sas entre la ville et le théâtre. On rit, on se salue. C’est aujourd’hui. Per­son­ne ne sait ce qui se passera, tout à l’heure, demain, dans un mois, dans deux mois… Aujourd’hui, ça com­mence. Répéter, pour la pre­mière fois. Une nou­velle équipe, un nou­veau pro­jet. Mais d’abord il faut pouss­er la porte. On com­mence tou­jours par entr­er. Obscu­rité, fraîcheur, odeur. On ne rit plus, on par­le plus bas qu’au-dehors, on scrute la pénom­bre, on reni­fle, on fait quelques pas dans le noir.
— Alors, c’est ici ?
Petit silence, suivi d’une grande agi­ta­tion.
— Bon, on fait com­ment ? Où est-ce qu’on tra­vaille, s’échauffe, où est-ce qu’on s’assied, où est-ce qu’on s’habille, se repose, par­le, s’isole, mange ? Où est-ce qu’on allume la lumière ? Qu’est-ce que c’est, cette odeur ? Ce bar-là, qu’est-ce qu’on en fait ? Où est-ce qu’on installera la scène ? Et par où entreront les spec­ta­teurs ? Les acteurs, d’abord, d’où arriveront-ils ? Où accrocher les pro­jecteurs ? Mais c’est quoi, cette odeur ? Et ce bruit ? On dirait un chat. Il fait frais ici ! Il fonc­tionne, le fri­go ? Et der­rière cette porte, là ? Et der­rière l’autre ? Mais cette odeur… C’est quoi, ce lieu ?

Nou­veau silence, plus pais­i­ble, au cours duquel le lieu s’imprime en nous. Pre­mière impres­sion : cha­cun éval­ue, imag­ine. À la lumière des ser­vices, ce n’est pas un théâtre qu’on voit, mais un lieu désaf­fec­té, qui en a con­nu d’autres.

— Oui. C’est bien. Ici on pour­ra tra­vailler. Bien. Et vivre, le temps des répéti­tions, dans tous ces moments qui précè­dent, suiv­ent, entre­coupent le tra­vail, les moments de pré­pa­ra­tion, de pause, de fête, néces­saires au tra­vail.

Sep­tem­bre. Pre­mier jour de représen­ta­tion. Il fait très doux. Ce soir, après, on fera la fête dans le bar amé­nagé dans le couloir. Mais pour l’heure, on trépigne. Pour­tant, tout est prêt. L’espace est instal­lé depuis longtemps. Le lieu s’est trans­for­mé au cours du tra­vail. Il a fal­lu se l’approprier, lui don­ner un sens, l’occuper. Ce matin on a amé­nagé l’entrée des spec­ta­teurs, accroché des pho­tos aux murs. Les loges se sont peu à peu rem­plies du bric-à-brac des acteurs. Un nou­veau com­mence­ment. Les spec­ta­teurs vont entr­er bien­tôt. Générale­ment, l’entrée dans un théâtre se fait sans plus y penser, sans vrai­ment d’attention pour l’aménagement des lieux. Les uns passent par les guichets, le bar ou le foy­er, pour arriv­er dans la salle ; les autres tra­versent les loges, les couliss­es, et débar­quent sur le plateau. Aux Vétés, rien n’est préétabli. On entre par devant — tra­vers­er la grande cour, le petit sas — ou par der­rière, sous les arbres, pour patien­ter dans le couloir entre les man­geoires, au choix. Tout est à amé­nag­er chaque fois. Imag­in­er l’accueil fait par­tie du pro­jet. Le soir de la pre­mière est fait d’allers et retours entre la régie, plan­tée à côté du gradin et l’entrée au guichet impro­visé dans une stalle. Entre les petites tables à côté des man­geoires et les loges, à l’autre bout du lieu. On marche beau­coup, les soirs de pre­mière, on n’a pas encore pris les nou­velles mar­ques. On est impa­tients, voire inqui­ets. On regarde se gar­er les pre­mières voitures. On voit arriv­er les spec­ta­teurs, seuls ou par petits groupes, flâ­nant entre les arbres ou autour des pelous­es. Cer­tains con­nais­sent le chemin, d’autres cherchent le bon bâti­ment, la bonne porte.
— Excusez-moi, le théâtre, c’est par ici ? Vous venez pour la pièce ?
Enfin, ils entrent dans la salle, bais­sant la voix comme l’équipe de tra­vail, il y a deux mois, exam­i­nant l’espace. Les habitués du lieu s’interrogent. Curiosité, com­para­isons : on regarde « com­ment ils ont fait, cette fois-ci ».
Une sur­prise, à chaque créa­tion.
Fin sep­tem­bre. Démon­tage. Il com­mence à faire un peu froid. Dernier regard sur le lieu avant de ressor­tir. Tout est comme au pre­mier jour, mais la com­préhen­sion de l’espace n’est pas la même. Dans le grand rec­tan­gle pavé, sur les car­relages repeints, on pro­jette les sou­venirs de théâtre et de vie com­mune. Les moments où il s’est passé quelque chose. Pre­mières émo­tions, pre­miers filages, pre­miers accrochages, rumi­na­tions soli­taires, éclats de rire, mon­tées d’adrénaline — et ce petit chat apprivoisé par les comé­di­ennes de pause en pause. La pre­mière fois qu’on a vu le décor, le jour où on a tout changé, les pre­miers applaud­isse­ments, la séance pho­to — et les repas pris sur la pelouse. On repense aux matins, à boire le café accoudé au bar, aux gestes refaits sans cesse, aux mots dits plus fort, moins vite, au silence — et le jour où on ne trou­vait pas, où on a tra­vail­lé dehors sous le regard du concierge, pen­dant que le chien gam­badait autour de nous. On sait, à présent, com­ment étein­dre la lumière, et ce qu’il y a der­rière cha­cune des portes. On retrou­ve son chemin sans hésiter dans l’obscurité. On sait ce que sig­ni­fie cette odeur, à laque­lle on s’était habitué.

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Écrit par Veronika Mabardi
Veroni­ka Mabar­di s’est for­mée aux métiers du théâtre dans les jeunes com­pag­nies Ate­liers de l’Échange et Ric­o­chets. Elle...Plus d'info
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