« Inaccessibles amours » — la création — impressions d’acteur
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« Inaccessibles amours » — la création — impressions d’acteur

Le 11 Juin 2004
Article publié pour le numéro
Paul Emond-Couverture du Numéro 60 d'Alternatives ThéâtralesPaul Emond-Couverture du Numéro 60 d'Alternatives Théâtrales
60
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TU REÇOIS UNE PIÈCE À LIRE, jamais jouée, dans laque­lle on te pro­pose un rôle. Lec­ture ! Le réflexe fait que, dès la pre­mière approche, tu class­es cette pièce dans une cer­taine caté­gorie : comédie, tragédie …tu vois ce que je veux dire. Grave erreur, bien sûr ! Il faut tou­jours rester aux aguets. Rejeter les idées pré­conçues. 
INACCESSIBLES AMOURS ?On n’avait pas mon­té de pièce de Paul Emond depuis LES PUPILLES DU TIGRE au Théâtre Varia. Un indice peut-être : il me sem­blait que les per­son­nages étaient plus absur­des et pou­vaient être plus drôles que ce qui m’é­tait mon­tré. 
C’est à nous de le servir cette fois. Oh bien sûr, il ne s’agit que d’un essai pru­dent aux Midis du Rideau de Brux­elles. La mise en scène est de Roumen Tchakarov. 
Pas de référents donc. C’est la grande pre­mière. Lire d’abord et relire et ain­si de suite. Impres­sion : il n’y a pas à pro­pre­ment par­ler d’his­toire. Ce sont plutôt des per­son­nages qui se retrou­vent ensem­ble dans un lieu, mais qui ne cherchent pas à com­mu­ni­quer. Cha­cun reste branché sur ce qui le préoc­cupe et si tu réponds à l’autre, c’est pour mieux lui faire com­pren­dre qu’il ne com­prend rien à tes prob­lèmes. 
Essay­er ensuite de trou­ver com­ment fonc­tion­nent ces per­son­nages. Intu­itive­ment d’abord, mais aus­si de l’ex­térieur en expéri­men­tant dif­férents rythmes, dif­férentes humeurs, dif­férentes éner­gies. Se ren­dre compte de fac­to qu’on est dans un univers à la fois dérisoire, ce ne sont pas des héros (mais qu’est-ce que ça veut dire un héros ?), ce ne sont pas de grands dis­cours philosophiques (mais ça aus­si, qu’est-ce que ça veut dire ?), on y par­le d’un com­merce à remet­tre, d’un bouch­er enfer­mé dans son fri­go à cause du chat, d’un ren­dez-vous man­qué, d’embouteillages… Pour l’homme blessé (le rôle qui m’est des­tiné) qui a un ren­dez-vous avec Gisèle, — laque­lle vient de lui annon­cer qu’elle s’est rasé le pubis —, la man­i­fes­ta­tion des agricul­teurs européens blo­quant sa voiture est évidem­ment une telle con­trar­iété qu’il s’octroie Le droit de leur ren­tr­er dedans et évidem­ment de se retrou­ver au poste de police etc., etc. Mais Œdipe ne tue-t-il pas l’homme qui lui bloque le chemin pour moins que ça ? 
Anec­dote : alors que j’al­lais au théâtre pour répéter la pièce, je me suis retrou­vé coincé rue de la Loi par une man­i­fes­ta­tion sim­i­laire. Alors l’énervement gagne au fur et à mesure que les min­utes s’égrènent et je me suis retrou­vé hurlant, frap­pant mon volant, maud­is­sant les man­i­fes­tants. Et plus je m’énervais, plus il me sem­blait que le per­son­nage de la pièce me regar­dait ahuri ; ma rage s’est dou­blée d’un fou rire et, quelque part, j’ai dû me dire : cha­peau Emond, tu as vu juste ! 
Je n’ai plus eu qu’à par­tir de cette sen­sa­tion-là pour con­stru­ire le reste du per­son­nage. Per­son­nelle­ment, je les trou­ve éminem­ment brux­el­lois ou tout sim­ple­ment « de chez nous », ces per­son­nages. Tout le monde peut les repér­er, ils sont un peu ridicules certes mais touchants en même temps. Pour jouer ce genre de per­son­nage, il faut être vrai­ment con­va­in­cu du sérieux et de l’im­por­tance de ce qu’il vit à ce moment-là, comme dans l’embouteillage. Le comique et l’in­térêt dra­ma­tique d’une telle pièce reposent énor­mé­ment là-dessus. L’ac­teur n’a pas le droit de se pos­er la moin­dre ques­tion à ce pro­pos. Casse le rythme de la pen­sée, relâche-toi un instant et tu ver­ras que ces his­toires ne fonc­tion­nent plus.
Il faut du punch et oser l’énormité, peu importe la psy­cholo­gie des per­son­nages, ils n’en ont pas. La ver­sion française de la même pièce inver­sait presque les tem­péra­ments que nous leur avions don­nés et cela fonc­tion­nait très bien aus­si, comme si Paul Emond nous don­nait finale­ment un matéri­au très ouvert mais où il ne faut pas laiss­er son inven­tiv­ité au ves­ti­aire.
Don­nez les plus belles balles du monde à un jon­gleur (les plus beaux mots à un acteur) si celui-ci n’en fait pas des prouess­es, aucun spec­ta­teur ne trou­vera que ces balles sont belles. Il faut appren­dre à les manip­uler avec adresse et vir­tu­osité. Telles sont les pièces de Paul.

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Écrit par Luc Van Grunderbeeck
Luc Van Grun­der­beeck est comé­di­en. Il a joué pour Jules-Hen­ri Marchant dans les adap­ta­tions de Paul Emond de...Plus d'info
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