Quatuor
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Le 24 Juin 2004

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Paul Emond-Couverture du Numéro 60 d'Alternatives ThéâtralesPaul Emond-Couverture du Numéro 60 d'Alternatives Théâtrales
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Écrit peu après les cinq tableaux de GRINCEMENTS ET AUTRES BRUITS, ce texte en aurait con­sti­tué le six­ième, si je n’avais préféré garder à la pièce son équili­bre pre­mier. S’il s’in­scrit donc totale­ment dans la même thé­ma­tique, rien n’empêche non plus de le représen­ter séparé­ment. Et comme la thé­ma­tique en ques­tion est, à l’év­i­dence, inépuis­able, peut-être même fera-t-il par­tie un jour d’une autre pièce qui s’appellera, par exem­ple, NOUVEAUX GRINCEMENTS ET BRUITS DIVERS… 

Per­son­nages :
Femme 1
Femme 2
Homme 1
Homme 2

Femme 1 : Les his­toires d’amour, c’est vrai­ment désopi­lant.

Femme 2 : Dois-je com­pren­dre que tu plaisantes, Hen­ri­ette ?

Homme 1 : Laisse-la, Yolande. Tu vois tout de même bien dans quel état elle est.

Homme 2 : Juste­ment. Il faut qu’elle s’ex­prime. Il faut qu’elle se libère.

Femme 1 : Toi, Yann, tu me dis de me libér­er ?

Femme 2 : Mais enfin ! Ça n’a rien d’é­ton­nant qu’il dise ça !

Homme 1 : Il a plu toute la journée. Ça nous met les nerfs en boule.
On devrait se diver­tir.

Homme 2 : Attends, Pierre-Eti­enne. Attends. Il se dit ici des choses intéres­santes.
Dis-moi pourquoi, Hen­ri­ette, je ne te dirais pas de te libér­er.
Ça m’a­muserait de le savoir.

Femme 1 : Parce que c’est de toi que je dois me libér­er, tiens ! Mais oui, Yann,
de toi ! Même si ça ne te plaît pas, c’est comme ça ! Désopi­lant, non ?

Femme 2 : Non, pas du tout. Pas du tout désopi­lant, comme tu dis.

Homme 1 : Yolande, je te le répète : ne t’en mêle pas. Pourquoi insistes-tu
lour­de­ment ?

Homme 2 : N’en fais pas tout un drame, Pierre-Éti­enne ! Tu con­nais Hen­ri­ette,
tu sais qu’il lui arrive de tra­vers­er des moments dif­fi­ciles.

Femme 1 : Des moments dif­fi­ciles ! Un bel euphémisme !

Femme 2 : Je n’ai pas à trou­ver, puisqu’il paraît que j’insiste lour­de­ment.
Sans reproche, Pierre-Eti­enne !

Homme 1 : Et voilà ! Elle s’est vexée ! Mon cher Yann, réponds-moi en toute
fran­chise : est-ce que Yolande se vex­ait aus­si pour un oui ou pour
un non quand elle était ta femme ?

Homme 2 : Est-ce que Yolande se vex­ait pour un oui ou pour un non ?
Bonne ques­tion. Si on la lais­sait répon­dre elle-même ?

Femme 1 : C’est comme je Le dis­ais : les his­toires d’amour, c’est vrai­ment
désopi­lant.

Femme 2 : Bra­vo, Yann. Tu aurais pu répon­dre n’importe quoi, de toute façon
tu aurais apporté de l’eau à son moulin.

Homme 1 : Voilà, c’est bien ce que je dis­ais, elle est vexée.

Homme 2 : Mais toi, tu es très énervé.

Femme 1 : Et toi, Yann, tout va bien ?Tout va bien, n’est-ce pas ?

Femme 2 : D’ailleurs, je n’ai aucune rai­son d’être vexée. Pourquoi serais-je vexée ?
C’est tout l’art de Pierre-Éti­enne, ça ! Me met­tre gen­ti­ment
en porte-à-faux, me ren­dre de plus en plus vul­nérable. Il est très fort.
Sans reproche, Pierre-Éti­enne !

Homme 1 : Je t’ai sim­ple­ment demandé de ne pas insis­ter lour­de­ment.
Si Hen­ri­ette tra­verse un moment dif­fi­cile, il n’est tout de même pas
utile d’insister lour­de­ment. Et toi, tu te vex­es !

Homme 2 : Tu vois ta chance, Hen­ri­ette ! Tu as un allié dans la place !
Ton ex en per­son­ne ! Alors, oui, je te Le dis très franche­ment :
pour moi, tout va bien !

Femme 1 : Ne sois pas ironique. J’ap­pré­cie la sol­lic­i­tude de Pierre-Eti­enne.
Vrai­ment, j’ap­pré­cie. Même si jadis on for­mait un cou­ple désopi­lant,
nous aus­si.

Femme 2 : Ce mer­veilleux cou­ple soi-dis­ant désopi­lant, d’habi­tude quand
tu l’évoques il ne te fait pas beau­coup rire.

Homme 1 : C’est du passé, bon Dieu ! À quoi bon aller tri­fouiller
dans le passé !

Homme 2 : Puisque tu t’es libérée de Pierre-Éti­enne, eh bien, vas‑y !
Main­tenant, libère-toi de moi ! Qu’est-ce que tu attends ?

Femme 1 : Je ne sais pas ce que j’at­tends. Je suis si lasse, tout à coup.
Si lasse.

Femme 2 : Moi non plus, avec Yann, je ne savais pas ce que j’at­tendais. Alors, j’ai atten­du cinq ans de trop. Et ça n’avait rien de désopi­lant, je t’assure, Hen­ri­ette. Sans reproche, Yann !

Homme 1 : Je préfère vous le dire tout net et tout de go : je n’aime pas trop le tour que prend cette con­ver­sa­tion. Une bonne par­tie de scrab­ble, ça ne vous dirait rien ?

Homme 2 : Attends. Je suis per­suadé qu’Hen­ri­ette a encore quelque chose à nous dire. Quand elle déclare une brusque baisse de ten­sion, c’est qu’elle a encore quelque chose à dire.

Femme 1 : C’est bien, je le dis. Puisque tu veux l’entendre, je le dis. La nuit passée, j’ai rêvé que je te tuais, Yann. Je con­dui­sais la voiture, tu étais à côté de moi, je déra­pais, on allait con­tre un arbre. Moi, je n’avais rien mais toi, tu étais mort. Alors dans mon rêve j’ai pen­sé : ce n’est pas ma faute, ce n’était qu’un acci­dent.

Femme 2 : Hen­ri­ette, tu me fais peur. C’est à peine si je te recon­nais.

Homme 1 : Je vous répète que le mieux dans ces cas-là, c’est Le scrab­ble.
Ou alors vous préférez une vidéo ? J’ai un de ces pornos sué­dois de der­rière les fagots …

Homme 2 : En fait, elle tire de plus en plus fort sur la corde pour voir à quel moment ça casse. Pour tout vous avouer, ça fait plus de huit jours qu’elle tire. Une trac­tion très attrac­tive, si vous voyez ce que je veux dire.

Femme 1 : Tu les entends, Yolande ? Au fond de lui-même, le mâle éter­nel est inqui­et. Tu sais pourquoi ? Parce qu’il déteste enten­dre dire que les his­toires d’amour, c’est vrai­ment désopi­lant. Alors il se met à plaisan­ter.

Femme 2 : Oh ! Moi, je com­prends très bien que tu veuilles te libér­er de Yann ! Je le com­prends même par­faite­ment !

Homme 1 : Tu te trompes, Hen­ri­ette. Moi, je ne plaisante pas.

Homme 2 : Pierre-Eti­enne ne plaisante jamais, c’est bien con­nu.

Femme 1 : Ou si le mâle ne plaisante pas, il pro­pose de se rabat­tre sur le porno. Ça revient au même, en somme.

Femme 2 : Moi, vivre avec un homme qui n’est pas capa­ble de plaisan­ter, ça ne me rend pas néces­saire­ment heureuse. Sans reproche !

Homme 1 : Mer­ci, mer­ci, Yolande, n’en jette plus ! Evidem­ment, ça t’amuse de jeter de l’huile sur le feu. Toi, Hen­ri­ette, tu as quelque chose con­tre Le porno ? C’est nou­veau, ça !

Homme 2 : Yolande a tout de même le droit de s’a­muser. Moi aus­si, je m’a­muse.

Femme 1 : Moi je trou­ve que tu as l’air inqui­et.

Femme 2 : Mais non, ça fait par­tie de son amuse­ment. C’est le trac du grand acteur au moment où il entre en scène.

Homme 1 : Yolande, par­donne-moi d’être grossier mais tu nous les cass­es. Avec tes com­para­isons à la noix, tu nous les cass­es.

Homme 2 : Moi, je trou­ve au con­traire que Yolande est char­mante, car­ré­ment char­mante.

Femme 1 : Yann, est-ce que tu te rends compte que tu fais tout pour que je réus­sisse ?

Femme 2 : Pour que tu réus­siss­es quoi ? Vas‑y ! Dis-le !

Homme 1 : Qu’est-ce que tu cherch­es, Yolande ? Et toi, Yann ?

Homme 2 : Tu n’avais pas com­pris, Pierre-Eti­enne ? Hen­ri­ette veut réus­sir à remet­tre le grap­pin sur toi.

Femme 1 : Mais Yann, est-ce que tu deviens fou ?

Femme 2 : Bien sûr qu’il avait com­pris ! Pierre-Eti­enne, c’est un faux naïf ! Sans reproche ! Eh bien, tant mieux si je les lui casse ! Est-ce que je dois me laiss­er faire ?

Homme 1 : Fais très atten­tion, Yolande.

Homme 2 : Fais très atten­tion, toi aus­si, Pierre-Eti­enne. Quand Yolande devient car­ré­ment char­mante, fais atten­tion.

Femme 1:Yann, je ne sup­porte absol­u­ment pas la façon dont tu par­les à Pierre-Éti­enne. Je ne sup­porte absol­u­ment pas ce que tu dis.

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Écrit par Paul Emond
Paul Emond est romanci­er et auteur dra­ma­tique. Derniers ouvrages parus : TETE À TETE (roman), édi­tions les Eper­on­niers ; INACCESSIBLES...Plus d'info
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