Il n’y a pas que les vampires qui ne se reflètent pas dans les glaces

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Il n’y a pas que les vampires qui ne se reflètent pas dans les glaces

Le 23 Juil 1999
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QUAND Nan­cy Del­halle et Julie Bir­mane m’ont pro­posé de faire mon auto­por­trait, j’ai dit oui tout de suite. J’ai pen­sé, comme elles, avec elles, que cela m’a­muserait.

Quelle impru­dence ! Mais pourquoi dia­ble ai-je accep­té ? C’est sans doute mon côté « Béli­er » qui m’a encore une fois fait fon­cer, tête bais­sée sans réfléchir. C’est aus­si, sans doute, une bonne part de nar­cis­sisme : il est vrai que j’aime qu’on me demande ; à tort ou à rai­son, je trou­ve cela sym­pa­thique et flat­teur, cela me donne le sen­ti­ment que ce que je fais est appré­cié, désiré, voire aimé … Je peux me tromper, bien sûr, il suf­fit par­fois sim­ple­ment que mon nom, lis­i­ble en bonne place sur une liste, vienne à point pour rem­plir un espace vacant ou que quelqu’un d’autre se soit désisté. Tant pis, j’aime aus­si me bercer d’il­lu­sions, au moins pen­dant un cer­tain temps, pen­dant le temps, par exem­ple, de l’écri­t­ure.

Mais une fois mise au pied du mur, ou plutôt assise devant mon écran, les illu­sions ne suff­isent plus, l’en­t­hou­si­asme s’é­va­pore et le nar­cis­sisme se met à faire cru­elle­ment défaut. Alors on réflé­chit. Pourquoi les mots qui vien­nent son­nent-ils si faux ? Pourquoi les idées qui émer­gent sem­blent-elles toutes telle­ment anec­do­tiques ?

Quelque chose n’est pas clair. Un doute sur­git : ne serais-je pas en train de con­fon­dre joyeuse­ment « por­trait » et « auto­por­trait » ? Et je me dis que si le « por­trait » est à la fois un genre pic­tur­al et un genre lit­téraire, « l’au­to­por­trait », lui, ne se conçoit que dans la pein­ture ou la pho­togra­phie ; bref, il faut une autre image, une image vraie, réelle, préal­able. D’ailleurs, vis­i­ble ou non dans l’œu­vre quand elle est achevée, il y a tou­jours quelque part un miroir. les dic­tio­n­naires et ency­clopédies que je con­sulte à ce sujet con­fir­ment cette intu­ition. J’in­ter­roge égale­ment le dic­tio­n­naire des œuvres de Laf­font- Bom­piani, et je n’y trou­ve qu’un seul ouvrage inti­t­ulé AUTOPORTRAIT. C’est amu­sant. Voilà qui met de l’eau à mon moulin : c’est l’œu­vre d’un pho­tographe ! Man Ray. Ou alors quand « por­trait » il y a, il s’ag­it tou­jours de « Por­tait de l’artiste en … » jeune homme (James Joyce), jeune chien (Dylan Thomas) ou en jeune singe (Michel Butor). Ce « en » est impor­tant : c’est lui qui fait miroir pour l’écrivain ; il man­i­feste que celui-ci se représente, se voit préal­able­ment comme jeune homme, jeune chien ou jeune singe avant de se por­trai­tur­er. Ain­si ce n’est plus lui qu’il peint — qu’il (d)écrit, plutôt, — mais le jeune homme, le singe ou le chien qu’il n’est pas/qu’il n’est plus mais en quoi il s’imag­ine. Et dans « imag­ine », il y a image ! C’est dire l’in­com­pat­i­bil­ité qui existe entre l’au­to­por­trait et le mot.

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Écrit par Michèle Fabien
Michèle Fabi­en est l’au­teur de plusieurs textes de théâtre : JOCASTE, NOTRE SADE, SARA Z, TAUSK, CLAIRE LACOMBE, ATGET...Plus d'info
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