Trois questions à Jean-Pierre Engelbach, directeur des éditions Théâtrales

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Trois questions à Jean-Pierre Engelbach, directeur des éditions Théâtrales

Le 1 Juil 1999
Article publié pour le numéro
Écrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives ThéâtralesÉcrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives Théâtrales
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ALTERNATIVES THÉÂTRALES : D’où est né le désir d’éditer des pièces de théâtre ?

Jean-Pierre Engel­bach : Avant d’être édi­teur, je suis comé­di­en. Avant de faire des livres, je fais du théâtre. Sor­ti en 1968 de l’é­cole du T.N.S., j’ai exer­cé mon méti­er d’ac­teur, entre décen­tral­i­sa­tion et jeunes com­pag­nies, auprès des plus grands de notre généra­tion, Chéreau, Dubois, Vin­cent, Gironès, Bayen, etc. De Paris à Stras­bourg en pas­sant par Caen, Lyon, ou Toulouse, j’ai par­ticipé à l’ef­fer­ves­cence artis­tique des années 70, dom­inée par la per­son­nal­ité de quelques créa­teurs, ani­ma­teurs de com­pag­nies gui affir­ment avec force la toute puis­sance de la mise en scène. On pro­gramme alors une majorité de textes clas­siques que l’on « revis­ite» ; on adapte pour la scène nom­bre de textes non théâ­traux (essais, romans, nou­velles); on con­voque des équipes de comé­di­ens pour de longues séances d’im­pro­vi­sa­tions, matière pre­mière mou­vante de spec­ta­cles dits de « créa­tion col­lec­tive ». C’est l’époque où l’on affirme avec force qu’il n’y a plus d’au­teurs. Le développe­ment de ce que l’on com­mence déjà à nom­mer du terme d’écri­t­ure scénique, se fait, il faut bien le dire, aux dépens de l’écri­t­ure dra­ma­tique, et de ses auteurs vivants, relégués la plu­part du temps, au rôle de dra­maturge ou d’as­sis­tant. Quant à l’ac­teur, gui se retrou­ve trop sou­vent coupé de la parole vivante du poète, on lui demande plutôt de con­tribuer à servir au mieux les images scéniques du tout puis­sant nou­veau démi­urge, le met­teur en scène.

Autour des années quarre-vingt, ce sont les comé­di­ens gui, les pre­miers, vont réa­gir et rechercher avec force de nou­veaux auteurs, sus­cep­ti­bles de ramen­er au théâtre la parole de l’écrivain. Cer­tains, comme moi, se met­tent à lire (c’est à cette époque que je décou­vre CONVERSATION CHEZ LES STEIN SUR MONSIEUR DE GOETHE ABSENT de Peter Hacks, que je fais traduire et réalise avec M.-C. Bar­rault). D’autres acteurs saut­ent le pas et se met­tent à écrire (Denise Bona!, Jean-Paul Wen­zel, Louise Doutre­ligne, Yves Rey­naud, par exem­ple); d’autres, comé­di­ens ou met­teurs en scène, inci­tent avec force des écrivains ou des dra­maturges, (Michel Deutsch, Bernard Chartreux,Jean-Christophe Bail­ly, Daniel Besne­hard, Jean Mag­nan, Daniel Lemahieu … ) à écrire pour le théâtre.
À cette nou­velle généra­tion d’au­teurs gui écrivent pour le théâtre, il ne restait plus qu’à trou­ver un édi­teur. Pourquoi pas moi ? Voilà pour le désir ? Quant à sa réal­i­sa­tion, quant au lance­ment de la pre­mière col­lec­tion THÉÂTRALES chez Edilig en 1981, quant à la fragilité d’une entre­prise édi­to­ri­ale lim­itée par l’étroitesse de son marché, c’est une autre his­toire que nous pour­rons évo­quer une autre fois.

A. T.: Voyez-vous se dessin­er une évo­lu­tion au sein de l’édi­tion théâ­trale ?

J.-P. E.: Bien sûr ! Et ce, d’au­tant plus que mon par­cours d’édi­teur de théâtre est étroite­ment lié à cette évo­lu­tion. Aupar­a­vant, je ne pou­vais que déplor­er la résistible dis­pari­tion des livres de théâtre, dans les librairies d’abord, puis chez les grands édi­teurs ensuite. Entre 1975 et 1980, Gal­li­mard, (avec le Man­teau d’Ar­leguin), Le Seuil (avec sa col­lec­tion T), Stock (avec sa col­lec­tion Théâtre Ouvert), Pierre-Jean Oswald rejoignent la liste des édi­teurs gui cessent la pub­li­ca­tion du théâtre con­tem­po­rain : ces grands édi­teurs général­istes ne veu­lent même pas pub­li­er les pièces de théâtre de leurs auteurs- mai­son ! Ils con­tribuent ain­si à ren­forcer une idée de plus en plus admise lais­sant enten­dre qu’il n’y a plus d’au­teurs de théâtre ; s’il y en avait, cela se saurait, ils seraient pub­liés, ain­si que le for­mu­lait alors en pub­lic Bernard Piv­ot.

Le lance­ment de la col­lec­tion THÉÂTRALES mar­que le début d’une lente renais­sance. Avec la pub­li­ca­tion de neuf titres par an, la mai­son d’édi­tion asso­cia­tive de la Ligue Française de l’En­seigne­ment1 (Il répond à une demande réelle de ces com­pag­nies de théâtre, ama­teurs ou pro­fes­sion­nelles, et tente de militer pour un réper­toire con­tem­po­rain, ain­si que J’indique très explicite­ment le sous-titre de la col­lec­tion. Auprès de cette col­lec­tion que je dirige, nous pub­lions pour la pre­mière fois des auteurs comme Minyana, Bona!, Rey­naud, Lemahieu, Sar­razac, Lebeau, Besne­hard gui représen­tent la nou­velle généra­tion des écrivains issue du théâtre. Dès 1985, Chris­t­ian Dupey­ron — qui avait déjà redy­namisé la pous­siéreuse revue l’A­vant-Scène en y intro­duisant quelques jeunes auteurs — va lancer une nou­velle mai­son d’édi­tion, Papiers, con­sacrée au théâtre. Cette dernière rapi­de­ment absorbée par Actes Sud : devien­dra la célèbre col­lec­tion Actes Sud-Papiers gui développe alors une poli­tique édi­to­ri­ale ambitieuse ( une cinquan­taine de nou­veaux titres chaque année) et pub­lie la plu­part des nou­velles pièces jouées sur scène. Dans le même temps, les efforts de Danièle Dumas — qui reprend l’A­vant-Scène et lance les édi­tions des Qua­tre Vents — et la renais­sance des édi­tions de l’Arche, sous l’im­pul­sion de Rudolf Rasch, con­tribuent à réveiller un secteur édi­to­r­i­al qual­i­fié de « sin­istré ». Quelques années plus tard, Émile Lans­man, dont les édi­tions sont implan­tées en Bel­gique, assure une présence dynamique du livre de théâtre dans les salons et les fes­ti­vals, et vient ren­forcer la « bande des quarre », ceux que Michel Vinaver, dans un rap­port sur l’édi­tion théâ­trale en 19862, qual­i­fi­ait « d’édi­teurs-mil­i­tants ».

Aujour­d’hui, si l’on com­pra­bilise routes les pub­li­ca­tions (celles des édi­teurs spé­cial­isés, celles des revues ou d’édi­teurs régionaux) encour­agées par les inci­ta­tions ponctuelles du Cen­tre nation­al du Livre, on peut dénom­br­er une cen­taine de pièces nou­velles pub­liées chaque année. Je pense gue c’est un pro­grès déter­mi­nant gui traduit la renais­sance de l’écrit théâ­tral et la place qu’il retrou­ve peu à peu dans le paysage du livre comme dans celui du théâtre. Voilà pour le quan­ti­tatif. Quant à l’évo­lu­tion qual­i­ta­tive, il est sans doute trop tôt, en cette péri­ode de con­va­les­cence, pour en faire le bilan artis­tique. Aux édi­tions Théâ­trales, nous con­fir­mons les pre­miers choix édi­to­ri­aux de 1982, cour en accueil­lant pro­gres­sive­ment dans la col­lec­tion « Réper­toire con­tem­po­rain » les nou­veaux venus, comme Aza­ma, Renaude, Dur­ringer, Bouchard, notam­ment. Même s’il reste néces­saire de faire con­fi­ance au temps et à la scène pour déter­min­er ceux des poètes d’au­jour­d’hui gui lais­seront leur mar­que sur le théâtre de demain, on ne peut plus ignor­er la renais­sance des auteurs dra­ma­tiques ; il ne reste plus qu’à les lire !

A. T.: Quels aspects priv­ilégiez-vous dans les œuvres que vous retenez ?

J.-P. E.: La lec­ture des titres et des auteurs qui fig­urent à notre cat­a­logue donne déja une bonne indi­ca­tion des aspects que nous souhaitons priv­ilégi­er aux édi­tions Théâ­trales et qu’il con­vient sans doute d’ex­pliciter.

Tout d’abord, nous accor­dons la pri­or­ité à l’écrit ; affir­ma­tion qui pour­rait paraître pléonas­tique pour une mai­son d’édi­tion, mais pas inutile à rap­pel­er lorsqu’on par­le d’écrit théâ­tral. Pour nous, le texte de théâtre est un genre lit­téraire à part entière et sa pub­li­ca­tion doit témoign­er de son appar­te­nance au monde de la lit­téra­ture. Et cette affir­ma­tion n’est aucune­ment con­tra- dic­toire avec la spé­ci­ficité de cette écri­t­ure des­tinée à un spec­ta­cle vivant. Au con­traire, si on con­sid­ère que l’aboutisse­ment de l’art théâ­tral con­siste en la ren­con­tre — unique, éphémère, et chaque soir remise en péril, — du poème dra­ma­tique et de l’ac­teur, réu­nis pour le seul plaisir des spec­ta­teurs, il est néces­saire de dis­pos­er de véri­ta­bles poètes, arti­sans des mots, de la langue et du verbe, pour nour­rir et enrichir l’art de la scène. Ce sont donc des qual­ités tout à la fois lit­téraires et théâ­trales que nous essayons de repér­er dans les man­u­scrits qui nous sont adressés ; qual­ités qui guident nos choix artis­tiques.

De ce point de vue, l’édi­tion d’une pièce per­met à l’au­teur de ren­con­tr­er plusieurs équipes de créa­tion (simul­tanées ou suc­ces­sives), et de con­serv­er pour longtemps la matière textuelle sur les rayons des librairies. Cela con­fère à cette œuvre lit­téraire une autonomie par rap­port à la (ou les) mise (s) en scène aux­quelles elle aura éventuelle­ment don­né lieu. C’est pourquoi nos choix édi­to­ri­aux — mal­heureuse­ment lim­ités par les énormes dif­fi­cultés de com­mer­cial­i­sa­tion de la lit­téra­ture théâ­trale — s’at­tachent à priv­ilégi­er les textes écrits prin­ci­pale­ment à des­ti­na­tion du théâtre, même s’ils n’ont pas encore fait l’ob­jet d’une représen­ta­tion. Quant aux formes scéniques ini­tiées, soit par des impro­vi­sa­tions, soit par des adap­ta­tions de textes non-théâ­traux ( romans, essais, nou­velles, poèmes), elles restent étroite­ment liées à l’équipe de créa­tion qui les a pro­duites et, de ce fait, sont dif­fi­cile­ment trans­mis­si­bles par le biais du livre. Nous avons ain­si renon­cé à pub­li­er les traces des spec­ta­cles dont le texte dra­ma­tique n’est pas la matière pre­mière ini­tiale.

Comme tout édi­teur, nous aspirons aus­si à la décou­verte d’écri­t­ures de l’é­tranger, sus­cep­ti­bles de renou­vel­er aus­si bien la lit­téra­ture que l’art théâ­tral. Après la péri­ode très som­bre des années soix­ante, mar­quée par la désaf­fec­tion des écrivains pour la scène, la pub­li­ca­tion régulière de dra­matur­gies issues d’autres pays con­tribue à pro­pos­er de nou­velles formes inédites. C’est ain­si que nous avons pub­lié pour la pre­mière fois en France des auteurs hon­grois (comme Peter Nadas dont le théâtre a été édité en 1988, avant les romans), irlandais (en 1996 avec Thomas Mur­phy ou Sebas­t­ian Bar­ry), cata­lans (Ser­gi Bel­bel ou Benet i Jor­net), anglais (James Stock ou Gre­go­ry Mor­ton). La cir­cu­la­tion des œuvres par delà les fron­tières cul­turelles, leur con­fronta­tion à des pra­tiques artis­tiques dif­férentes, enri­chit le présent et annonce le futur. À cet égard, nous por­tons une atten­tion par­ti­c­ulière aux exi­gences spé­ci­fiques de la tra­duc­tion théâ­trale, qui priv­ilégient tout autant les car­ac­téris­tiques de la langue par­lée, de son écri­t­ure et de son oral­ité.

Et puis, comme l’af­firme notre slo­gan com­mer­cial « le théâtre ça se lit aus­si ! », nous ten­tons de priv­ilégi­er la pub­li­ca­tion d’œu­vres se prê­tant à une lec­ture sim­ple, dégagée des codes de lec­ture réservés aux seuls pro­fes­sion­nels du théâtre, acces­si­ble à tous les ama­teurs, qu’ils soient pas­sion­nés de théâtre ou de lit­téra­ture.

  1. La Ligue française de l’En­seigne­ment et de l’É­d­u­ca­tion per­ma­nente, organ­isme fédéra­teur au plan nation­al des fédéra­tions départe­men­tales d’œu­vres laïques, regroupe un grand nom­bre de com­pag­nies théâ­trales organ­isées sous un statut asso­ci­atif 1901, ama­teurs ou pro­fes­sion­nelles. Elle con­stitue, à l’époque, la pre­mière Fédéra­tion théâ­trale qui, avec la FNCTA (Fédéra­tion nationale des Com­pag­nies de Théâtre ama­teurs), rassem­ble la grosse majorité des pra­tiques de théâtre non insti­tu­tion­nelles en France. ↩︎
  2. LE COMPTE-RENDU D’ AVIGNON. Des mille maux donc souf­fre l’édi­tion théâ­trale et des trente-sept remèdes pour l’en soign­er. Édi­tions Actes Sud. ↩︎
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Jean-Pierre Engelbach
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