Philippe van Kessel « Avec une certaine inconscience, nous envisagions le futur. »
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Philippe van Kessel « Avec une certaine inconscience, nous envisagions le futur. »

Entretien avec Fabienne Verstrasten

Le 14 Oct 1998
Benoît Monneret dans CAFÉ DE L'HARMONIE de Jean Lambert-wild. Photo Alexis Grattié
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FABIENNE VERSTRAETEN : Au moment où tu réalis­es ta pre­mière mise en scène, tu as déjà un par­cours de comé­di­en, et en même temps cette pre­mière mise en scène, LE PUPILL VEUT ÊTRE TUTEUR, de Peter Hand­ke, est un événe­ment.

Philippe van Kessel : Le tout pre­mier déclic fut LA CUISINE, de Wesker, mon­té par Ari­ane Mnouchkine et accueil­li au Palais des Beaux-Arts. La pièce se pas­sait dans un restau­rant, sur deux espaces, la salle et la cui­sine, Mnouchkine avait fait un tra­vail mil­limétré de mise en espace, de rythme, d’orches­tra­tion d’une foule de comé­di­ens. C’est là que j’ai décou­vert ce qu’est la mise en scène de théâtre.

Le deux­ième déclic con­cerne plutôt le comé­di­en : je com­mence à jouer dans la troupe du jeune théâtre de l’u­ni­ver­sité et j’y prends un tel plaisir que je ne peux plus décrocher. Je quitte l’u­ni­ver­sité, je me mets à tra­vailler par néces­sité finan­cière. J’ou­blie un peu le théâtre, tout en y revenant de temps en temps ; je monte notam­ment, tou­jours avec la troupe du jeune théâtre de l’u­ni­ver­sité, LA MAISON D’OS de Dubil­lard, Jean Claude De Bemels fait là sa pre­mière scéno­gra­phie, et Chris­t­ian Goderie joue le rôle prin­ci­pal. Vient ensuite le ser­vice mil­i­taire en Alle­magne où, pour l’anec­dote, je réalise une mise en scène du PETIT PRINCE de Saint-Exupéry, avec mes cama­rades mili­ciens, des débris d’avion et des pro­jecteurs emprun­tés à la télévi­sion de Cologne. Au retour, je choi­sis défini­tive­ment la voie théâ­trale. Je m’in­scris alors à un cours d’art dra­ma­tique dans une académie, je com­mence comme fig­u­rant au Théâtre des Galeries, un petit rôle chez Armand Del­campe, un autre au Théâtre du Rideau. Je passe une audi­tion au Théâtre de Poche et je reçois un pre­mier rôle impor­tant dans ÎILS PASSÈRENT LES MENOTTES AUX FLEURS d’Arra­bal, mon­té par Lodewijk de Boer qui détour­nait un peu le pro­pos au prof­it d’une vision plus poli­tique. Roger Domani qui était à l’époque directeur du Théâtre de Poche me fait décou­vrir le théâtre expéri­men­tal et une toute autre pra­tique : Gro­tows­ki, le Liv­ing The­atre, un appren­tis­sage qui passe par le corps, par l’acte physique et mil­i­tant. J’ai ensuite ren­con­tré Marc Liebens et André Steiger au Théâtre du Parvis, qui pra­ti­quaient un théâtre plus intel­lectuel, plus poli­tique et qui m’ont mis en con­tact avec l’écri­t­ure con­tem­po­raine : Edward Bond, Brecht, Genet, Adamov.. un univers bien­venu pour ma généra­tion, puisque nous étions qua­si­ment tous auto­di­dactes.

F. V.: Ta pre­mière mise en scène, tu la réalis­es, chose assez rare dans le par­cours d’un met­teur en scène, une foi instal­lé dans ton lieu, l’Ate­lier rue Ste Anne1.

P. v. K.: Le Théâtre du Parvis ayant dis­paru, j’ai ouvert l’Ate­lier rue Ste Anne. Je voulais con­tin­uer à explor­er le réper­toire mod­erne. J’avais décou­vert une celle forme de mar­gin­al­ité en tra­vail­lant au Théâtre de Poche et au Théâtre du Parvis, qu’il m’é­tait impos­si­ble de rejoin­dre de grandes insti­tu­tions comme le Théâtre Nation­al ou le Rideau de Brux­elles. Nous avons donc ouvert un petit théâtre, seuls et sans moyens, en emprun­tant de l’ar­gent et en nous don­nant un objec­tif très pré­cis : pass­er en trois ans de l’ac­cueil à la pro­duc­tion. Nous avons fait nos pre­mières pro­duc­tions dès la deux­ième année, mais je ne fai­sais pas alors de mis­es en scène. Ce n’est que la troisième année que je me suis lancé, non pas à l’Ate­lier qui était trop petit, mais au Théâtre de Poche. Et chose étrange, le pre­mier texte que j’ai mon­té était une pièce sans paroles de Peter Hand­ke. Il n’y avait pas un mot. Moi qui venais du théâtre de texte, je retrou­vais là mon attache­ment à un théâtre du corps. Ce spec­ta­cle insis­tait sur la sig­ni­fi­ca­tion d’un geste, sur les rap­ports de pou­voir qui passent par le corps, et aus­si l’odeur, ou les bruits, tous ces sens aux­quels le verbe fait obsta­cle.

F. V.: Dans la foulée de LE PUPILLE VEUT ÊTRE TUTEUR de Peter Hand­ke, suit une série de spec­ta­cles d’au­teurs alle­mands ou autrichiens que tu con­tribues à faire décou­vrir en Bel­gique.

P. v. K.: Après ce pre­mier spec­ta­cle, je décou­vre les DIALOGUES D’EXILÉS de Brecht. Comme André Steigerne pou­vait pas mon­ter la pièce, je l’ai mise en scène moi-même. Ici, au con­traire, il n’y avait que le verbe, puisqu’il s’agit d’un dia­logue entre deux immi­grés, au début de la deux­ième guerre mon­di­ale. La salle de la rue Ste Anne se prê­tait mer­veilleuse­ment bien au spec­ta­cle. Les spec­ta­teurs étaient assis à des câbles, ils écoutaient de manière presqu’indis­crète les échanges entre cet intel­lectuel et cet ouvri­er alle­mand. J’ai ensuite ren­con­tré Jean Jour­d­heuil, Jean-Louis Besson et d’autres tra­duc­teurs qui nous ont révélé la jeune généra­tion alle­mande, des textes dont la dimen­sion sociale et poli­tique était en étroite rela­tion avec la réal­ité, et qu’il était donc urgent de mon­tr­er au théâtre. Je suis donc devenu le « défricheur » du ter­ri­toire alle­mand d’après-guerre. Mais je n’é­tais pas le seul, nous étions plusieurs jeunes com­pag­nies, comme le Théâtre du Cré­pus­cule fondé par Philippe Sireuil ou le théâtre de Patrick Roegiers… J’ai aus­si pro­duit d’autres spec­ta­cles comme DIALOGUE D’UNE PROSTITUÉE AVEC SON CLIENT de Dacia Marai­ni, la com­pagne de Moravia. Mar­cel Del­val a mon­té aus­si plusieurs spec­ta­cles à l’Ate­lier ; je ne voulais pas être seul cap­i­taine à bord. Plus tard Marc Liebens a créé Hein­er Müller en français, Philippe Sireuil a mon­té Tankred Dorst. Il y avait là toute une nou­velle lit­téra­ture dra­ma­tique et une dra­maturgie d’une grande richesse.

F. V.: Lorsque tu reviens sur tes débuts, à quel spec­ta­cle songes-tu ?

P. v. K.: À ELLA d’Achtern­busch. Une écri­t­ure sans ponc­tu­a­tion, extrême­ment vio­lente, un immense jet ver­bal, qui accom­pa­gne une mise en crise de la société et du théâtre — les deux sont sou­vent liés dans les textes des auteur alle­mands. Je me sou­viens de cette cage, des vingt poules, du crisse­ment des plumes, d’une ani­mal­ité hos­tile. Et les deux comé­di­ens, Madeleine Marie et John Dobry­nine, enfer­més dans le poulailler, entraînés dans un proces­sus presque d’extermination. Je voulais con­serv­er la vio­lence du texte. À la fin du spec­ta­cle, per­son­ne n’a jamais applau­di, c’é­tait la non-réponse que je cher­chais : l’é­mo­tion était passée, la gifle était don­née.

F. V.: Au début de l’Ate­lier rue Ste Anne, quels étaient tes rap­ports avec l’in­sti­tu­tion et les pou­voirs sub­ven­tion­nants ?

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