De la discothèque rose au théâtre en apesanteur

De la discothèque rose au théâtre en apesanteur

Slovénie

Le 13 Juin 2000
Draga Potocnjak et Robert Prebil dans NIKOLO ME NE VIDIS TAM, mise en scène Matjaz Berger, au Théâtre Mladinsko. Photo Goran Bertok.
Draga Potocnjak et Robert Prebil dans NIKOLO ME NE VIDIS TAM, mise en scène Matjaz Berger, au Théâtre Mladinsko. Photo Goran Bertok.

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Draga Potocnjak et Robert Prebil dans NIKOLO ME NE VIDIS TAM, mise en scène Matjaz Berger, au Théâtre Mladinsko. Photo Goran Bertok.
Draga Potocnjak et Robert Prebil dans NIKOLO ME NE VIDIS TAM, mise en scène Matjaz Berger, au Théâtre Mladinsko. Photo Goran Bertok.
Article publié pour le numéro
L'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives ThéâtralesL'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives Théâtrales
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Un petit bout d’histoire

LE THÉÂTRE SLOVÈNE est sans doute un des grands incon­nus du mou­ve­ment théâ­tral européen. Aux yeux des grandes nations — peu famil­iarisées avec le sys­tème fédéral de l’ex- Yougoslavie et les gou­verne­ments autonomes des républiques fédérées —, le théâtre slovène était englobé à l’intérieur du terme général­isant de « théâtre yougoslave ». Au couts de la longue péri­ode de la monar­chie des Hab­s­bourg, dont la Slovénie a fait par­tie six siè­cles durant, mise à part la cen­sure vien­noise, le théâtre slovène était l’affaire des Slovènes eux-mêmes. On peut donc dire que le pre­mier, et peut-être le seul grand change­ment apporté par l’indépen­dance de 1991 a plutôt un car­ac­tère « extérieur », et con­siste en l’in­térêt, qu’au-delà des Slovènes eux-mêmes, la Slovénie, son aft et son théâtre, ont com­mencé à sus­citer à l’é­tranger. Ce n’est qu’il y a dix ans que le terme d’«art slovène » (et donc de théâtre slovène) est apparu pour la pre­mière fois dans le con­texte inter­na­tion­al, alors que, pour les Slovènes, ce con­cept est vieux de près d’un mil­lé­naire.1
De son côté, le monde occi­den­tal s’est forgé sa pro­pre image de l’Est, sans beau­coup de liens avec l’état réel des choses : un cliché, un stéréo­type poli­tique ren­for­cé par la mécon­nais­sance de la géo­gra­phie et de l’histoire, surtout de la part des ressor­tis­sants de « grands pays », un peu anesthésiés par la con­science ras­sur­ante d’appartenir à une grande nation, à un mon­u­ment intouch­able et éter­nel.
Un de ces clichés est celui de la fer­me­ture. La Slovénie n’a jamais été refer­mée sur elle-même ou préservée des influ­ences de la cul­ture de masse et des grands médias. Géo­graphique­ment, elle est au croise­ment de trois grands sys­tèmes lin­guis­tiques et cul­turels européens : slave, ger­manique et latin (sans compter la Hon­grie, dont elle est égale­ment lim­itro­phe). Ljubl­jana, la cap­i­tale, s’est con­fir­mée au cours de l’histoire comme un car­refour du mul­ti­cul­tur­al­isme et du métis­sage des pop­u­la­tions de ces trois sys­tèmes fon­da­men­taux de l’Eu­rope. Cette car­ac­téris­tique se lit jusque dans l’ar­chi­tec­ture de la ville, qui mélange le baroque ital­ien et alle­mand, le bider­meier autrichien et la vari­ante slave du Jugend­stil. Dans les années vingt et trente, cette ouver­ture naturelle a con­nu des trans­for­ma­tions liées à la mon­tée du nazisme en Alle­magne et en Autriche, et du fas­cisme en Ital­ie : en pre­mière ligne du fait de ses fron­tières avec ces deux pays, la Slovénie a accen­tué son rap­proche­ment, amor­cé dès la fin du dix-neu­vième, après le print­emps des nations, avec les pays slaves du sud, et spir­ituelle­ment avec le monde slave en général. 

Et si nous en venions au présent 

À Ljubl­jana, les années 80 ont con­nu une véri­ta­ble explo­sion. La « dernière sta­tion du métro de Moscou », comme cer­tains avaient cou­tume de l’ap­pel­er, de petite ville provin­ciale, s’est réveil­lée en cap­i­tale de la cul­ture alter­na­tive, ani­mée par l’e­sprit de la « révo­lu­tion éter­nelle » mil­i­tante pour ses droits et, dans un élan roman­tique, pour les droits de tous les incon­nus, anonymes, humil­iés et offen­sés. Les mou­ve­ments punk, gay et les­bi­en, ain­si que tous les autres groupes « queer » et « strange » ont pris place avec force dans cette petite province endormie, qui avait tou­jours eut peur de tout ce qui était inhab­ituel, excen­trique ou lié, d’une manière ou d’une autre, au ver­sant non offi­ciel de la créa­tion et de la cul­ture.2
Dans cette arène de pas­sions créa­tri­ces, le théâtre s’est posé en con­quérant des grandes scènes, sans pré­cisé­ment se con­sid­ér­er comme théâtre. Les met­teurs en scène se don­naient le nom de « con­struc­teurs des arts unis » ou d’«inscénateurs ». Leur champ de manœu­vre n’é­tait pas les salles de théâtre, mais l’État lui même. Com­ment con­quérir l’É­tat, le trans­former en « État d’art » ?
Le théâtre comme por­teur de cette grande utopie. L’ap­pel per­ma­nent aux grands révo­lu­tion­naires Mey­er­hold, Tairov, Craig, Appia, Vah­tan­gov ; les rêves en rouge d’un théâtre qui aurait la force de chang­er le monde, de chang­er l’État. Porter la Slovénie sur la carte de l’Europe, inau­gur­er Ljubl­jana comme sa cap­i­tale cul­turelle. Fascin­er ! Séduire ! Con­quérir !
Comme pour oubli­er les années de plomb qui avaient précédé, Ljubl­jana est dev­enue la cap­i­tale clan­des­tine de tous les excen­triques à la recherche de quelque chose de dif­férent, de non établi. Elle est dev­enue une scène. Le théâtre comme explo­sion des esthé­tiques, des straté­gies et des tac­tiques. Il y avait de grands thèmes, de grandes his­toires : Faust, la Divine Comédie, des machines à prier, des com­bats entre les artistes et l’État. Tomaz Pan­dur, Dra­gan Zivadi­nov, Vito Taufer, Marko Peljhan, Emil Hrvatin, Vla­do Rep­nik, Bojan Jablanovec, Mat­jaz Berg­er, Mat­jaz Pogra­jc : tous des met­teurs en scène, diplômés de la seule Académie slovène pour le théâtre, la radio, le ciné­ma et la télévi­sion, tous des chercheurs du nou­veau. La généra­tion des années 80 a boulever­sé l’ordre théâ­tral en Slovénie pour un peu moins d’une courte décen­nie. Elle a remis en ques­tion toutes les con­ven­tions en vigueur jusque là et pro­posé des formes nou­velles, de nou­velles inter­pré­ta­tions, de nou­veaux mod­èles. Le monde de l’art théâ­tral s’est ouvert au nou­veau, aux recherch­es sur les lim­ites du théâtre, sur les rela­tions entre l’art, la sci­ence et les nou­velles tech­nolo­gies, à l’ex­plo­ration du corps, à d’autres principes de dra­maturgie, de mon­tage, de mise en scène, aux nou­veaux espaces et, comme point extrême, au théâtre en ape­san­teur, au théâtre dans le cos­mos. Cette péri­ode­si riche du point de vue esthé­tique n’é­tait pas relayée au niveau struc­turel et financier. Avec des moyens budgé­taires très lim­ités, des artistes ont ain­si pro­duit de grands pro­jets, tech­nique­ment très exigeants, tout en lut­tant pour leur recon­nais­sance inter­na­tionale, en même temps que pour celle de l’État. Ils n’ont pu, bien sûr, tenir jusqu’au au bout un effort aus­si démesuré. Le rêve s’est brisé. Les intrigues poli­tiques locales et les intérêts per­son­nels ont blo­qué l’activité de ceux qui avaient réus­si à accéder à la direc­tion d’in­sti­tu­tions nationales. Quant à ceux qui tra­vail­laient en dehors des insti­tu­tions, ils ont brûlé leur énergie dans les couloirs de bunkers bureau­cra­tiques, dans leur lutte pour la recon­nais­sance publique et l’amélio­ra­tion de leur sit­u­a­tion matérielle.
Dans les années 80, Le nou­v­el art a été le fait des artistes nés au tour­nant des années soix­ante, comme le nou­v­el art des années soix­ante-dix avait été celui des artistes nés au tour­nant des années cinquante. Provo­ca­tion ! Provo­ca­tion ! Provo­ca­tion ! Décom­pos­er l’ordre établi, décom­pos­er les insti­tu­tions exis­tantes, décom­pos­er l’État. Man­i­festes, con­cepts. Nou­v­el art slovène. Nou­velle Acro­p­ole. Nou­velle Europe. Nou­velle Slovénie. Et en 1990, l’É­tat a effec­tive­ment changé. 

En 1990, l’É­tat a changé, so what ?

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Écrit par Jana Pavlic
Jana Pavlic est tra­duc­trice, jour­nal­iste et dra­maturge et dirige actuelle­ment DELAK, un cen­tre de recherch­es sur les arts...Plus d'info
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#64
mai 2025

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