Inventer une nouvelle définition du théâtre indépendant
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Bulgarie

Le 5 Juin 2000
Article publié pour le numéro
L'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives ThéâtralesL'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives Théâtrales
64
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LA BULGARIE compte 8,5 mil­lions d’habi­tants dont 1,2 vivent dans la cap­i­tale, à Sofia. Le pays est entré dans l’ère post-com­mu­niste avec cinquante qua­tre théâtres de réper­toire, tous financés par le Min­istère de la Cul­ture ; trente-cinq sont con­sacrés au théâtre et dix-neuf aux mar­i­on­nettes. En somme, la Bul­gar­ie était soumise au mod­èle théâ­tral dom­i­nant en Europe cen­trale et ori­en­tale : de nom­breux grands ensem­bles, pour la plu­part de haute qual­ité artis­tique, des employés à temps com­plet, des troupes attachées aux insti­tu­tions, le tout con­trôlé à dif­férents niveaux par le pou­voir. 

Les racines du mou­ve­ment indépen­dant sont déjà repérables dans les théâtres de réper­toire avant 1989. Celui-ci est né des regroupe­ments informels opérés au sein même des grands ensem­bles entre artistes partageant les mêmes valeurs artis­tiques et esthé­tiques. Il était tra­di­ton­nelle­ment de mise que les acteurs et met­teurs en scène à peine diplômés fassent leurs preuves pen­dant trois années dans des insti­tu­tions de provinces. C’est ain­si que devait com­mencer toute leur car­rière. Mais tra­vailler en province était aus­si, avant 1989, la seule manière de faire un tra­vail artis­tique autonome. C’est pourquoi beau­coup d’artistes choisirent de rester plus longtemps « col­lés » loin de Sofa. Mais pour y demeur­er il fal­lait déjouer le pou­voir qui cher­chait à con­trôler les mou­ve­ments de migra­tion cen­trifuge en puis­sance sub­ver­sive, les ten­ta­tives de dis­per­sion qui con­traient la cen­tral­i­sa­tion. 

Être loin du cen­tre, avec des moyens non nég­lige­ables, un moin­dre con­trôle poli­tique, per­me­t­tait aux artistes les plus pro­gres­sistes, Les plus courageux et Les plus Libres d’e­sprit de réalis­er un vrai tra­vail de lab­o­ra­toire. Mais ceux-ci lan­guis­saient en province. Tant était fort le sen­ti­ment que la seule autorité et le seul espace d’ex­pres­sion val­able se trou­vait à Sofa. Il fal­lait pour exis­ter y mon­tr­er son tra­vail et être recon­nu. 

Pen­dant les pre­mières années de la démoc­ra­tie (dans les années 1990), ces groupes déjà for­més étaient pra­tique­ment les seuls à être recon­nus comme les ten­ants du mou­ve­ment théâ­tral indépen­dant. On était indépen­dant parce qu’on fai­sait un tra­vail alter­natif, qu’on inven­tait un nou­veau lan­gage esthé­tique ou tech­nique, pas parce qu’on était autonome sur le plan struc­turel. Ce qui pri­mait était la recon­nais­sance de la dif­férence artis­tique. Mais les pio­nniers du mou­ve­ment indépen­dant sont aus­si ceux qui ont fait le pont entre les deux sys­tèmes. Même avant que les change­ments poli­tiques aient lieu, cer­tains ont essayé d’ex­is­ter en dehors du sys­tème de l’État : Vazkres­sia Vicharo­va qui a créé sa pro­pre com­pag­nie à l’intérieur d’un théâtre de réper­toire en l’associant à un pro­jet édu­catif ; Zarko Ouzounov qui a fondé une assise théâ­trale au sein de l’Université de nou­velle Bul­gar­ie en 1991 ; Ste­fan Moskov qui a été le directeur artis­tique du pre­mier théâtre privé La Star­da, etc. Dans les années 90, sont nés d’autres com­pag­nies indépen­dantes comme ATF, Alter­na­ti­va The­atre, La Com­pag­nie du théâtre libre, etc. Le con­texte socio-poli­tique et le sys­tème poli­tique de la Bul­gar­ie ont rad­i­cale­ment changé en 1989. Ils n’ont depuis cessé d’évoluer. En 1997, une cer­taine sta­bil­ité s’est instal­lée, les réformes ini­tiées par le gou­verne­ment com­mençant à faire leur effet. Preuve en est l’in­vi­ta­tion qui fut faite à la Bul­gar­ie de pré­par­er son entrée dans la Com­mu­nauté Européenne (en décem­bre 1999). 

Le Min­istère de la Cul­ture a pris son rôle au sérieux. Bien qu’il con­tin­ue à dis­tribuer lui-même les sub­ven­tions, il a créé six Cen­tres nationaux qui lui ser­vent de relais. Le Cen­tre nation­al pour le Théâtre a pour charge de s’oc­cu­per des arts scéniques. La réforme mise en œuvre vise à sépar­er les édi­fices des com­pag­nies, la phase de créa­tion de celle de dis­tri­b­u­tion, et à définir de nou­veaux mod­èles struc­turels. 

La réforme a séparé les théâtres de réper­toire en trois caté­gories : les théâtre de réper­toire (les grands ensem­bles entière­ment sub­ven­tion­nés par l’É­tat), les scènes ouvertes (elles n’emploient qu’une petite équipe et assurent l’ac­cueil et la pro­duc­tion de pro­jets indépen­dants), et les « 6 +» (qui n’ont que six employés, et + quand ils trou­vent les moyens néces­saires pour les pay­er). Ce sont Les scènes ouvertes qui, apparem­ment, sont les plus con­cernées par le théâtre indépen­dant. Mais la réforme actuelle ne tient pas compte de l’ex­trême cen­tral­i­sa­tion qui grève le pays. Le prob­lème n’est résolu que d’une façon arti­fi­cielle : don­ner le statut de scène ouverte à des lieux excen­trés ne résout rien. Il n’y a pour l’in­stant qu’une seule scène ouverte à Sofia ! 

La réforme ini­tiée depuis quelques années a cher­ché à ouvrir ses fonds aux com­pag­nies indépen­dantes. Cet argent est alloué à cer­tains des pro­jets mis en com­péti­tion pour l’obtenir. Il ne peut être investi dans les infra­struc­tures, ou dans les insti­tu­tions. Les autres sources de sub­ven­tions ne sont pas légions. La plus impor­tante est la Fon­da­tion Soros qui s’at­tache à soutenir les artistes indépen­dants à Sofa, quel que soit leur mode d’ex­pres­sion artis­tique. Le gou­verne­ment n’a pas vrai­ment réus­si à créer un envi­ron­nement favor­able au développe­ment artis­tique. Il a mul­ti­plié les lois et les décrets, ce qui a alour­di encore la procé­dure. Il n’y a pas de tra­di­tion de mécé­nat en Bul­gar­ie, ce qui ne facilite pas le tra­vail des indépen­dants dans leur recherche de fonds. Il faut clar­i­fi­er et faciliter les démarch­es. (…) 

Les artistes de la jeune généra­tion se détour­nent des struc­tures d’État, et ten­tent d’in­ven­ter une nou­velle façon de faire du théâtre en Bul­gar­ie, en liai­son avec le reste de l’Europe. Citons Ivan Pan­teleev, Ele­na Panay­oto­va, Galin Sto­ev, Dim­i­tar Ned­kov ou Stoy­an Radev. C’est à eux que revient la dif­fi­cile tâche de redéfinir la notion de théâtre indépen­dant dans un paysage théâ­tral où 95 % de l’infrastructure appar­tient encore à l’État, et où les préjugés sur le théâtre qui se fait en marge de l’Institution sont encore vivaces. Gageons qu’ils y parvi­en­nent. 

Texte traduit de l’anglais par Julie Bir­mant. 

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Écrit par Zvetelina lossifova
Zvetelina los­si­fo­va coor­donne le départe­ment des Arts de la scène au sein de la fon­da­tion Soros de Bul­gar­ie.Plus d'info
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