« NOTRE MONDE est le meilleur des mondes possibles, continuons donc à y vivre ». Ainsi pourrait-on résumer les résultats de l’enquête sur le théâtre subventionné menée cette année par l’Institut national du théâtre hongrois à la demande de la Municipalité de Budapest. Les Maîtres Pangloss du théâtre hongrois veulent rassurer à tout prix les responsables : il est dans l’intérêt de la municipalité et de la culture publique en général de maintenir le statu quo.
S’ils élèvent aujourd’hui leur voix en provoquant une polémique de plus en plus vive, c’est à cause d’une date menaçante : en janvier 2001 aura lieu une restructuration des théâtres d’État et, en principe, de nouveaux directeurs seront nommés à leur place. Cette éventualité fait peur aux intéressés, qui ont pourtant eux-mêmes proposé cette solution radicale à la municipalité (qui a pris l’habitude d’accéder à toutes leurs demandes, tant est puissant le lobby théâtral en Hongrie — c’est Le plus puissant des lobbies artistiques). On ne sait pas encore si cette histoire finira en comédie, si les directeurs actuels seront reconduits dans leur fonction sans que le moindre changement ne se produise, ou bien si l’issue en sera tragique et surprenante.
Quel est l’enjeu de ce changement éventuel ? Il est difficile à définir, en premier lieu, parce que le théâtre a su conserver ses privilèges quand la libéralisation du marché a sérieusement endommagé la majeure partie du secteur culturel, mais aussi parce que nous vivons dans un petit pays, où tout le monde connaît tout le monde, et que les intérêts de personnes freinent toute volonté de changement.
Le pouvoir est aujourd’hui entre les mains de metteurs en scène de 55 – 60 ans qui ont fait leurs armes pendant la grande époque, dans les années 70 – 80, quand le théâtre jouait Le rôle de soupape de sécurité du régime : le chéâtre était l’espace d’expression de la contestation sociale, on y allait au lieu de manifester dans la rue, pour partager « comme sous vide » un bref moment de liberté, en se prêtant au jeu collectif du déchiffrage du message scénique. Le théâtre de cette époque par son « réalisme élevé » remplissait un rôle politique. Les salles étaient bondées, les praticiens se sentaient importants. Aujourd’hui, le théâtre a moins d’impact : d’autres formes d’expression prédominent (politiques, économiques, médiatiques). Il faut faire face à cette nouvelle situation. Certains directeurs ont choisi de faire de la concurrence à la télévision ou au cinéma en commercialisant leur répertoire. D’autres perpétuent tant bien que mal la tradition du théâtre d’art. Le public continue de fréquenter leurs salles, surtout par routine. Ce qui explique que la jeunesse, qui n’a pas été habituée à aller au théâtre, lui préfère d’autres types de « sorties » mieux médiatisées comme le cinéma, les house-technorave et autres parties ou simplement restent chez eux devant la télé et l’ordinateur. Ces dernières années, le secteur public a dû se plier également aux impératifs commerciaux : il faut désormais tenir compte des statistiques, des pourcentages de fréquentation. Ce qui ne pose pas de grands problèmes aux directeurs actuels qui passent sans mal du système de calcul communiste au système capitaliste. Et, en vérité, à regarder les chiffres, il y a de quoi se contenter : on compte une cinquantaine de lieux de spectacle dans la capitale (une vingtaine en province) et les trois quarts ont un répertoire et une compagnie permanente. La grande majorité bénéficie d’une subvention directe ou indirecte de l’État ou de la municipalité, mais on trouve aussi des salles privées. L’argent investi par l’État dans ce secteur reste énorme (près de 300 millions de francs français) et couvre à peu près 70 % du budget des théâtres, mais comme il est largement distribué, les institutions se trouvent toujours en difficulté. Cette année, pour la première fois, quelques salles fermeront leurs portes plus tôt que prévu et annuleront des premières. La fréquentation tourne autour des 85 %, et dans ce pays de dix millions d’habitants, on vend quatre millions de billets par saison.

