ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Le théâtre a‑t-il subi une transformation aussi profonde que la société polonaise après la levée du rideau de fer ?
Grzegorz Jarzyna : Il y a encore quelques années, les spectacles étaient des spectacles engagés qui abordaient des thèmes politiques. Ils s’inscrivaient dans la tradition romantique comme ceux de Wajda ou de Jarocki. Ils parlaient des grands événements de la vie de la nation, des mythes nationaux. Ils se référaient à l’École russe.
Après 1989, la société s’est individualisée et les besoins ont changé. Les spectateurs ont rejeté cette thématique nationale. Ils désiraient des spectacles qui parlent de l’individu et de sa situation dans la nouvelle société. Ces trois dernières années, Le jeune public est retourné au théâtre, il attend qu’on lui montre des pièces qui parlent de son quotidien et du monde qui l’entoure.
Je voudrais pouvoir répondre à ses attentes. Pour y arriver, il faut trouver un nouveau langage théâtral et scénique, un nouvel outil. Le théâtre polonais reposait sur les mots, des mots lourds et importants et ces mots ce sont dépréciés. Aujourd’hui, il nous faut un langage réaliste, car nous avons affaire à une crise du mot. Le public veut qu’on lui montre des situations qui sont celles que vivent les hommes et non suivre le drame du mot avec ses monologues longs et pathétiques. C’est pourquoi, il faut travailler aujourd’hui avec le mouvement scénique, la musique, la lumière, explorer tous ces nouveaux langages et ouvrir une nouvelle voie à l’expression théâtrale.
A. T.: Quel a été votre parcours personnel ?
G. J.: Après avoir étudié la philosophie, j’ai entamé des études de mise en scène. Ce qui a été pour moi un prolongement naturel de la recherche sur l’homme que j’ai effectuée en philosophie. Avant, j’avais eu l’idée de devenir écrivain-voyageur, pour cela j’ai voyagé, j’ai suivi les traces de Malinowski en Australie et de Grotowski en Inde. J’ai cherché, mais à un moment je me suis rendu compte que tout ce que j’avais à dire avait déjà été écrit et bien mieux que je ne l’aurais fait moi-même. C’est pour cela que j’ai décidé de m’exprimer par le théâtre.
Si j’ai subi une influence, c’est celle de Krystian Lupa. C’est lui qui m’a montré l’atelier théâtral, c’est lui qui m’a appris à me centrer sur les acteurs. À penser la mise en scène à partir de leurs émotions, de leurs monologues intérieurs. À construire le spectacle en écoutant la musique qui se joue en eux, et à partir d’elle, inventer la musique, la lumière, le mouvement du spectacle. Encore aujourd’hui, Lupa reste un maître. C’est d’ailleurs le rôle qu’il tient dans le monde théâtral polonais.
A. T.: Fait-on du théâtre différemment à l’Est qu’à l’Ouest ?
G. J.: Je n’ai jamais vraiment travaillé avec des gens de théâtre de l’Ouest, mais je crois qu’à l’Est, les rapports sont plus intimes et plus humains. Que le travail se centre davantage sur l’homme.
A. T.: Quels sont vos prochains objectifs artistiques pour vous et le Théâtre Rozmaitosci que vous dirigez ?
G. J.: Le Théâtre Rozmaitosci a la capacité de constituer l’avant-garde du jeune théâtre en Pologne. Je voudrais rassembler autour de ce théâtre de jeunes metteurs en scène, de jeunes comédiens, de jeunes musiciens et de jeunes plasticiens pour créer la base d’un nouveau théâtre polonais. Je ne veux pas cimenter le vieux, mais chercher le nouveau.
Propos recueillis et traduits par Karolina Ochab.

