« Pour moi, la séparation entre l’Est et l’Ouest n’a jamais existé »
Non classé

« Pour moi, la séparation entre l’Est et l’Ouest n’a jamais existé »

Hermann Beil

Le 1 Juin 2000
Article publié pour le numéro
L'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives ThéâtralesL'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives Théâtrales
64
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

SUR LE FRONTON DU THÉÂTRE : « Per­spec­tive pour l’Allemagne. Si l’Alle­magne doit un jour être unifiée — cha­cun sait que cela vien­dra, per­son­ne ne sait quand — ce ne sera pas par la guerre. » Bertolt Brecht, 1956. 

Anne Longuet Marx : Vous êtes ici dans un lieu mythique, lourd héritage, et vous représen­tez vous-même avec Claus Pey­mann une autre sorte de fig­ure mythique, celle de la résis­tance à l’État autrichien. Quelle flam­bée donne cette ren­con­tre ? Est-ce que ça flambe ? 

H. B.: Ça flambe assuré­ment. La ques­tion est de savoir où et com­ment. Le Berlin­er Ensem­ble a réou­vert en jan­vi­er, après plusieurs mois de fer­me­ture. Beau­coup sont venus avec ent­hou­si­asme, mais aus­si avec une curiosité cri­tique. Il est frap­pant de con­stater depuis ces quelques semaines à quel point le pub­lic est pris. C’est vrai, nous sommes ici dans un lieu mythique de l’Est, mais je veux dire un mot de mon pro­pre par­cours : je suis autrichien, j’ai tra­vail­lé en Alle­magne de l’Ouest, en Suisse, et ces treize dernières années au Burgth­e­ater de Vienne. Mais pour moi, cette sépa­ra­tion entre l’Est et l’Ouest n’a jamais existé. Bien sûr, elle était là poli­tique­ment, mais théâ­trale­ment, esthé­tique­ment, il n’y en a jamais eu pour moi. Dès Stuttgart, puis à Bochum , nous avions des rela­tions très fortes avec des met­teurs en scène, des acteurs, des auteurs de l’Est. Je n’ai jamais accep­té cette sépa­ra­tion, et elle n’a jamais été un prob­lème pour nous. Par ailleurs, ce Lieu où nous sommes, est légendaire à plus d’un titre. C’est tout d’abord le théâtre de Max Rein­hardt, d’Hor­varth, c’est le théâtre où on a créé DIE WEBER de Haupt­mann, c’est le théâtre de Brecht des années 20. L’é­trange main­tenant quand je me trou­ve dans ce lieu après Brecht, Helene Weigel, Hein­er Müller, et tous ceux qui les ont précédés, c’est que je suis dans un théâtre du « Mitte » (cen­tre). Nous sommes ici à Berlin­Mitte, on l’a oublié depuis 40 ans. Donc, être au cen­tre pour Le Berlin­er Ensem­ble, ce n’est pas une sit­u­a­tion nou­velle : nous voici proche de l’État, au cen­tre des respon­s­abil­ités poli­tiques, comme au Burgth­e­ater. Mais nous sommes évidem­ment dans une autre posi­tion qu’au temps de la R.D.A. 

A. L. M.: Com­ment se man­i­feste pré­cisé­ment cette con­fronta­tion Est-Ouest ? 

H. B.: Je ne la perçois pas, car elle ne m’in­téresse pas. Ça m’in­téresserait si ça deve­nait un empêche­ment ou au con­traire si c’é­tait un élé­ment posi­tif. Il est clair qu’on ne peut élim­in­er…

A. L. M.:…le réel ? 

H. B.: les dif­férents développe­ments soci­aux, et qu’après dix ans les traces sont là. En 1986 à Vienne, à nos débuts, nous avons choisi, Pey­mann et moi, de nou­velles méth­odes de tra­vail, ce qui a généré de grandes ten­sions, mais provo­qué aus­si des ren­con­tres. Le théâtre est le lieu où les sys­tèmes de pen­sée se heur­tent à l’imag­i­na­tion. C’é­tait ain­si à Vienne, comme ce le sera à Berlin, d’autant que les con­di­tions de tra­vail sont ici intéres­santes. 

A. L. M.: Abor­dons la ques­tion du nom de ce théâtre. Le théâtre de Bertolt Brecht n’a duré que très peu d’an­nées. Weigel a été fidèle à son esprit jusquà sa mort en 71. Des artistes se sont demandés si on devait garder le nom du Berlin­er Ensem­ble. Vous avez envis­agé de l’abandonner, et finale­ment opté pour l’ancien nom.
Quelle sig­ni­fi­ca­tion a donc Brecht pour vous depuis 30 ans, et quelle tra­di­tion revendiquez-vous ?  

H. B.: Nous nous sommes en effet posés la ques­tion de savoir si on devait con­serv­er le nom de Brecht. Et nous avons décidé de le garder : c’est une exi­gence. Brecht est cen­tral pour nous. C’est un auteur et un penseur fon­da­men­tal du théâtre. Durant ces trente dernières années, nous l’avons mon­té au moins trente fois. Je n’ai jamais pen­sé que Brecht est « passé ». Au con­traire, il y a des sit­u­a­tions sociales, his­toriques où Brecht s’avérait utile, à Stuttgart, à Vienne. Nous l’avons mon­té pour des raisons de con­tenu. Nous avons tou­jours vu en lui une arme théâ­trale et cela va con­tin­uer. Mais en ce moment, nous sommes sut la réserve : il y a beau­coup trop de Brecht. Pour son cen­tième anniver­saire, on l’a fêté à mort ! Nous ne gar­dons en ce moment que la dernière mise en scène de Hein­er Müller ARTURO Ul avec Mar­tin Wut­tke. Mais il ne faut le jouer que parce que cela s’im­pose, non parce que l’on est au Berlin­er Ensem­ble. 

A. L. M.: Il s’ag­it donc pour vous de vous con­fron­ter à des tra­di­tions mul­ti­ples ou plutôt à la croisée de par­cours sin­guliers et divers. Com­ment choi­sis­sez-vous vos textes ? Quels sont vos auteurs ? 

H. B.: Nous avons tou­jours eu des rap­ports étroits avec les auteurs con­tem­po­rains : Bern­hard, Jelinek, Tur­ri­ni, Kroerz et Thomas Brasch qui vient de la R.D.A. et a tra­vail­lé déjà à Stuttgart, à Bochum et à Vienne. Nous le retrou­vons à présent avec une tra­duc­tion de RICHARD II de Shake­speare et la com­mande d’une trilo­gie sur Berlin. Il a quit­té l’Est en 1976. C’est un auteur très ouvert, et pour nous une ren­con­tre anci­enne. Le Berlin­er Ensem­ble était sous Brecht le théâtre d’un auteur. Cela aurait pu con­tin­uer si Hein­er Müller vivait. Nous voulons réanimer cette tra­di­tion. Ce théâtre ne sera pas dirigé par un auteur, mais en rela­tion étroite avec des auteurs. Notre maxime est que le théâtre est avant tout un lieu pour les auteurs. Créer de nou­veaux textes sera cen­tral dans notre action, mais nous voulons aus­si de nou­velles inter­pré­ta­tions du réper­toire. Par exem­ple, nous voulons repren­dre MARAT SADE de Peter Weiss, ce clas­sique des mod­ernes qui n’a presque plus été joué ces dernières années. C’est un devoir de remon­ter cette pièce. 

A. L. M.: Et Hand­ke ? 

H. B.: Pour le moment, il n’écrit pas. 

A. L. M.: Botho Strauss ?

H. B.: Il est pour nous un auteur essen­tiel. 

A. L. M.: Alors, unique­ment des textes alle­mands ? 

H. B.: C’est un choix qui cor­re­spond à l’ex­pres­sion d’une his­toire, d’un tra­vail. C’est aus­si une ques­tion de langue. Nous voulons créer des textes. Pey­mann n’au­rait jamais l’idée de mon­ter un Français. Com­ment pour­rions-nous pénétr­er les nuances de la langue ? 

A. L. M.: Et Shake­speare alors ?

H. B.: C’est une autre tra­di­tion. On a gran­di avec lui. Mais il y a des prob­lèmes per­ma­nents de tra­duc­tions.
Notre ambi­tion cette année : sept créa­tions. Nous attaquons avec Bern­hard et c’est com­plet. 

A. L. M.: Est-ce un auteur pour Berlin ? 

H. B.: Oui, Berlin est une ville ouverte. Nous allons créer une pièce de Jelinek. 

A. L. M.: Quelle Alle­magne voyez-vous se pro­fil­er ? 

H. B.: J’e­spère que ce ne sera pas une « gross­mauliges Deutsch­land » (Alle­magne grande gueule); qu’elle n’oubliera pas le siè­cle passé ; que la valeur absolue restera le bon voisi­nage. Enfant pen­dant la guerre, j’ai le sou­venir des bom­barde­ments. J’ai été infor­mé des crimes comme jeune écol­i­er. Il ne faut pas oubli­er. Que ce qui se passe en Autriche n’ar­rive pas ici : qu’un par­ti anti­sémite et néo-nazi puisse pren­dre le pou­voir et proclamer sa haine des étrangers, des juifs, des artistes, c’est-à-dire sa haine de l’homme. Nous nous sommes bat­tus con­tre cela à Vienne : notre pro­gram­ma­tion était de résis­tance et nos auteurs étaient déjà des cibles. Aujourd’hui le FPÖ veut sup­primer les sub­ven­tions ;il y a un devoir de courage, ouvert, offen­sif, plein d’imag­i­na­tion. Un devoir des auteurs aus­si de ne pas se laiss­er intimider. Un devoir de sol­i­dar­ité dans le théâtre.

Non classé
1
Partager
auteur
Écrit par Anne Longuet-Marx
Anne Longuet-Marx est maître de conférences à l’université à Paris et auteur.Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous aimez nous lire ?

Aidez-nous à continuer l’aventure.

Votre soutien nous permet de poursuivre notre mission : financer nos auteur·ices, numériser nos archives, développer notre plateforme et maintenir notre indépendance éditoriale.
Chaque don compte pour faire vivre cette passion commune du théâtre.
Nous soutenir
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
L'Est désorienté-Couverture du Numéro 64 d'Alternatives Théâtrales
#64
mai 2025

L’Est désorienté

2 Juin 2000 — ANNE LONGUET MARX: Vous avez souvent déclaré que le Deutsches Theater était dans une position idéale, à la frontière entre…

ANNE LONGUET MARX : Vous avez sou­vent déclaré que le Deutsches The­ater était dans une posi­tion idéale, à la…

Par Anne Longuet Marx.
Précédent
1 Juin 2000 — ANNE LONGUET MARX: Une menace pèse actuellement sur Berlin et sa vie culturelle. Le maire parle de fermer trois théâtres.…

ANNE LONGUET MARX : Une men­ace pèse actuelle­ment sur Berlin et sa vie cul­turelle. Le maire par­le de fer­mer trois théâtres. Vous êtes dans une posi­tion très sin­gulière par rap­port aux autres, par votre ouver­ture aux…

Par Anne Longuet Marx.
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total