ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Que représente pour vous le terme de marionnette ?
Roland Shön : Le terme de marionnette est souple, une étoffe qui peut se tailler selon la fantaisie de chacun. Son attrait, son ambiguïté aussi. Ce que j’entends dans ce terme m’est donc personnel. Non pas une définition close mais plutôt une série de propositions qui me permet de différencier cet objet d’autres objets joués dans le théâtre.
Car la marionnette, je la vois avant tout comme un des objets participant au jeu du théâtre. Un objet et non pas un accessoire. Autrement dit, exigeant que l’acteur qui se propose d’en jouer négocie, renégocie, sa propre présence.
Cet objet est pensé, fabriqué pour être animé c’est-à-dire pour devenir capable, par sa manipulation, sa mise en relation avec le corps d’un acteur, de susciter l’illusion qu’il est doté d’une autonomie. Il sollicite notre penchant à l’animisme, si vif pendant l’enfance mais que l’exigence de rationalité atténue chez l’adulte. N’importe quel objet peut, par une manipulation juste, créer cette illusion d’autonomie. Mais la marionnette est le seul objet construit spécifiquement pour faire naître cet effet. Un objet de représentation, une image.
A. T. : Comment en êtes-vous venu à utiliser la marionnette et comment l’utilisez-vous aujourd’hui ?
R. S. : C’est par la marionnette que je suis venu à utiliser le théâtre. Ce qui revient à me poser la question de savoir comment actuellement le théâtre que je fais utilise la marionnette. Je dirai qu’elle est un des objets que j’aime non pas utiliser, réduire à l’état d’outil, mais avoir comme partenaire dans mes specta- cles. Elle apparaît quand sa forte présence et les effets qu’elle produit me semblent nécessaires dans une mise en jeu théâtral, provoquent une incertitude sensible, un contraste voire une opposition avec la présence d’autres objets ou d’acteurs.
A. T. : Qu’apporte la marionnette à votre langage scénique ? La présence de la marionnette sur le plateau a‑t-elle influée sur la nature et le déroulement de votre travail de répétition ?
R. S. : Je ne sais pas en quoi consiste un langage scénique. Je sais que la scène est traversée par le langage. Chacun essaye de donner à cette traversée des inflexions particulières. Ma façon fait appel à des objets et parmi eux des marionnettes.
Le jeu théâtral avec l’objet marionnette ne m’a pas seulement influencé, il me nourrit, reste pour moi un exemple. Il inspire mon travail, plutôt que ma conception du théâtre qui est changeante, reflet de ma pratique. Le théâtre me parait être essentiellement un acte plutôt qu’un concept.
La marionnette constitue pour moi un exemple parce qu’elle remet en question une pratique dominante du théâtre où le jeu avec des objets n’est considéré que comme un prétexte, un faire valoir de l’acteur, et non comme un texte à déchiffrer. La marionnette déboulonne la statue de l’acteur, lui demande de trouver une autre place et de la défendre autrement qu’en s’appuyant sur son narcissisme.
A. T. : Comment concevez-vous la relation entre l’interprète et la marionnette ? Comment la traitez-vous, concrètement, et comment la voyez- vous ?
R. S. : La relation entre un acteur, plutôt qu’un interprète, et la marionnette ou autre objet s’avère toujours hasardeuse. L’objet refuse, résiste, se manifeste comme aussi têtu que le réel. Il remet l’acteur à l’écoute des accidents, oblige son corps à reprendre conscience de la pesanteur pour mieux essayer d’y échapper ne serait-ce qu’un instant, un si court instant, toujours. Il demande finalement à l’acteur de ne plus être seul dans sa tête ni sans son corps.
A. T. : Accepteriez-vous d’être appelé marionnettiste ?
R. S. : Qu’on m’appelle marionnettiste ne me gênerait pas. Mais comment va-t-on m’appeler quand je jouerai avec des objets qui ne sont pas des marionnettes ? Quand un clarinettiste se met à jouer du bandonéon ne continuons-nous pas à l’appeler musicien ?
A. T. : La marionnette est de plus en plus présente sur les scènes théâtrales. Comment l’expliquez-vous ?
R. S. : Depuis déjà des dizaines d’années on constate que de plus en plus de spectacles théâtraux utilisent des marionnettes ou des objets. Certes. Mais on constate aussi que la plupart de ces spectacles ont toujours autant de mal à trouver des scènes pour les accueillir, restent refoulés dans le marais des arts mineurs. Comment expliquer ce phénomène ? J’ai l’impression que ça ne doit pas être très compliqué de trouver une réponse.
A. T. : Comment voyez-vous le théâtre demain ?
R. S. : Je ne sais toujours pas quel sera le théâtre de l’avenir. Mais je ne désespère pas ! Je ne désespère pas parce que je suis convaincu que la marionnette ou l’objet continueront à jouer leurs rôles d’empêcheurs d’acter en rond.