« Dire moins pour dire plus » (propos sur la traduction)

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« Dire moins pour dire plus » (propos sur la traduction)

Le 1 Nov 2000
Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
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JE VIS BEAUCOUP avec Har­row­er. Temps libre l’après-midi en tournée. La dif­fi­culté me paraît être la part de sub­jec­tiv­ité qu’il faut pour le traduire, encore bien plus vaste que dans d’autres travaux de tra­duc­tion. Et aus­si qu’il faut agir (rythme, syn­taxe, vocab­u­laire) sur la glob­al­ité de l’œuvre.

J’éprouve qu’il faut que cela soit à la fois cor­rect et incor­rect.

Non con­forme en tout cas au dis­ant habituel, sans folk­lore, sans époque.

Com­ment traiter éli­sions, con­trac­tions, sautes, ellipses…

Chaque phrase doit traduire une sen­sa­tion mais qui envoie à autre chose. Ne jamais être exacte, mais pré­cise, con­den­sée. Pré­cisé­ment inex­acte pour­rait-on dire.

Peu de mots. Des mots courts. Des sup­pres­sions de con­jonc­tions quelque­fois, de néga­tions presque tou­jours (admis en lit­téra­ture con­tem­po­raine), d’article à bon escient, rarement.

Sac­ri­fi­er par­fois au rythme.

Priv­ilégi­er une rapid­ité rigoureuse.

Ce qui est le plus frap­pant c’est, quand on tombe sur une bonne for­mule, ou mieux sur plusieurs à la suite, la quan­tité de vie par­al­lèle, per­pen­dic­u­laire, extrav­a­gante qui se développe. À l’évidence irra­tionnelle, instinc­tive. Pas loin de la for­mule mag­ique (même si toute magie est niée). Code sans code.

Mais quelle matière est atteinte ? Elle est, doit rester, mys­tère absolu. Même si on la recon­naît hors de l’inconscient déjà exploré dont par­le Artaud.

Décou­vrir des sen­sa­tions per­son­nelles qu’on ne peut pas nom­mer comme la jeune femme ne peut pas nom­mer ce qu’elle éprou­ve quand elle voit William tra­vailler un champ, et qui n’est pas de la jalousie, qui est plus que de la jalousie. Pas de nom pour ces plus. Toute la matière de la pièce est dans ces plus incern­ables.

Matière flu­ide, informe, pour­tant échap­pée des mots (mais alors com­ment les choisir ? ). Chaque phrase est de la vie. On est aux antipodes de l’académisme, au cœur de la poésie (la cel­lule qui invente, qui éclate). Il sem­ble qu’avec la brièveté des phras­es, la sim­plic­ité du vocab­u­laire soit tou­jours souhaitable. Dire moins pour dire plus. Dire à côté pour faire enten­dre ce qu’on ne veut pas pré­cis­er. Pré­cis­er, c’est aus­si réduire ou tuer en exp­ri­mant. Tra­vailler sur l’ouvert.

Sur l’instinct (écorché) de la vie.

Voilà à peu près ce qui m’est apparu à fréquenter le texte anglais éclairé pour moi par votre tra­duc­tion. Je dis­ais qu’il faudrait frac­tur­er le texte. Mais il me sem­ble qu’il faut beau­coup plus. Il faut ren­dre compte d’une explo­sion en train de se faire, filmée dans son mou­ve­ment, sans jamais d’arrêt et rien qui retombe, un feu, une com­bus­tion.

C’est bien sûr à la lim­ite du pos­si­ble. Mais à l’impossible on est tenu […]

Extrait d’une lettre de Claude Régy à Jérôme Hankins, datée du 29 mai 1998.
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Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
#65 – 66
mai 2025

Le théatre dédoublé

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