La marionnette est un phare auquel l’acteur doit s’accorder

La marionnette est un phare auquel l’acteur doit s’accorder

Entretien avec Ézéchiel Garcia-Romeu

Le 16 Nov 2000
Jacques Fornier dans LES ABERRATIONS DU DOCUMENTALISTE, mise en scène Ézéchiel Garcia-Romeu et François Tomsu, 1999. Photos Brigitte Enguerand.
Jacques Fornier dans LES ABERRATIONS DU DOCUMENTALISTE, mise en scène Ézéchiel Garcia-Romeu et François Tomsu, 1999. Photos Brigitte Enguerand.

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Jacques Fornier dans LES ABERRATIONS DU DOCUMENTALISTE, mise en scène Ézéchiel Garcia-Romeu et François Tomsu, 1999. Photos Brigitte Enguerand.
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Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
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Alter­na­tives Théâ­trales : Dans vos spec­ta­cles, vous utilisez à la fois des mar­i­on­nettes et des comé­di­ens. Com­ment et pourquoi avez-vous choisi de recourir à la mar­i­on­nette ?


Ézéchiel Gar­cia-Romeu : J’ai com­mencé par la mar­i­on­nette et je l’ai tou­jours util­isée. Pour moi, c’est une nature, comme on est gros ou mai­gre, petit, blond… Je ne me suis jamais trop posé la ques­tion. J’aimais ça avant tout et j’avais envie de le pra­ti­quer en tant qu’art.
Je trou­ve que c’est aus­si un moyen d’expression dra­ma­tique qui peut être com­pris par un pub­lic très large, en dehors du lan­gage écrit. C’est pour moi un médi­a­teur pour aller vers ce que je veux exprimer de plus pro­fond. Je le fais naturelle­ment avec la mar­i­on­nette.

AT. : Vous con­sid­érez-vous comme un mar­i­on­net­tiste ?

ÉG.-R. : Je n’aime pas le terme mar­i­on­nette parce qu’il y a une con­no­ta­tion der­rière ce mot. On con­sid­ère ce genre comme l’enfant pau­vre du théâtre. Je ne me sens pas non plus appartenir à une caté­gorie, ni de mar­i­on­net­tiste, ni de met­teur en scène. J’espère en tout cas en faisant mon tra­vail le faire le mieux pos­si­ble et quand je le fais, je pense au théâtre avec un grand T.
Je ne pense pas à la mar­i­on­nette. Elle vient naturelle­ment, elle est néces­saire pour que je me sente bien dans mes spec­ta­cles.

AT. : Qu’est-ce que les mar­i­on­nettes appor­tent pré­cisé­ment à vos spec­ta­cles ? Qu’est-ce qu’elles expri­ment de plus que les comé­di­ens ?

ÉG.-R. : Les mar­i­on­nettes sont des objets. Je les fab­rique de façon à ce qu’elles puis­sent avoir une mul­ti­tude de sig­ni­fi­ca­tions. Ces sig­ni­fi­ca­tions sont directes ; elles sont dépouil­lées de toute affec­ta­tion, de tout trou­ble men­tal, psy­chologique qu’un acteur a, et qui sont des bar­rières pour l’interprétation. La mar­i­on­nette est cen­trée en elle-même, comme l’explique Kleist. C’est un objet d’une per­fec­tion absolue parce qu’il n’est pas habité du tout. Rien ne peut le trou­bler. Cette per­fec­tion de présence – ou d’absence – totale est un out­il dra­ma­tique extra­or­di­naire parce qu’on peut juste­ment l’investir com­plète­ment, le drama­tis­er. C’est une matière très mal­léable.

AT. : Com­ment l’acteur s’intègre-t- il dans ce tra­vail avec les mar­i­on­nettes ?

ÉG.-R. : Ce sont deux mon­des qui se con­cur­ren­cent et comme les enfants, les mar­i­on­nettes ont une capac­ité d’attraction très forte, que les acteurs ont dif­fi­cile­ment. Très peu d’acteurs l’atteignent. Aus­si le tra­vail de con­cil­i­a­tion est-il très dif­fi­cile mais c’est juste­ment cela qui est intéres­sant : com­ment l’acteur peut-il devenir, par sa pro­pre démarche, par sa pro­pre prise de con­science « sa pro­pre mar­i­on­nette », comme le dis­ait Vitez, c’est-à-dire un être qui va attein­dre sa per­fec­tion, son équili­bre, sa tran­quil­lité, sa neu­tral­ité absolue et à par­tir de cet axe, va pou­voir être l’interprète, devenir l’instrument, l’objet ou la chose à tra­vers laque­lle vont pass­er et habiter tous les sens.

AT. : Pensez-vous que cette ouver­ture va con­tribuer à ce que la mar­i­on­nette soit perçue dif­férem­ment et qu’elle aura une influ­ence sur son avenir ?

 Jacques Fornier dans LES ABERRATIONS DU DOCUMENTALISTE, mise en scène Ézéchiel Garcia-Romeu et François Tomsu, 1999. Photos Brigitte Enguerand.
Jacques Fornier dans LES ABERRATIONS DU DOCUMENTALISTE, mise en scène Ézéchiel Gar­cia-Romeu et François Tom­su, 1999. Pho­tos Brigitte Enguerand.

ÉG.-R. : Je ne pense pas. Ça pour­rait ouvrir des per­spec­tives si la mar­i­on­nette était par­faite­ment bien util­isée. Mais comme il n’y pas de tra­di­tion de mar­i­on­nette en France – ou plutôt qu’elle s’est per­due, comme tous les arts pop­u­laires – on ne peut pas en créer une. À l’époque où on vit, c’est très dif­fi­cile de créer des tra­di­tions. Nous vivons dans un monde mou­vant, rapi­de, qui fonc­tionne beau­coup dans la pré­cip­i­ta­tion, voire dans le chaos, et le théâtre est aujourd’hui davan­tage soumis à un phénomène de mode : on a des appari­tions de ten­dances. Ces ten­dances peu­vent avoir une durée de vie de dix, quinze ans. Ça peut être la durée de vie de la car­rière d’un met­teur en scène, mais c’est très court.

Donc ce n’est pas parce qu’en ce moment il y a un engoue­ment pour la mar­i­on­nette qu’on va tout d’un coup insti­tu­tion­nalis­er la chose. D’ailleurs si on l’institutionnalise, ce ne sera plus cet objet de créa­tion, de lib­erté dans lequel l’artiste peut se retrou­ver dans une con­ver­sa­tion intérieure. Ce qui est insti­tu­tion­nel a une mis­sion, des pro­jec­tions d’avenir, est donc soumis au ren­de­ment plus qu’à la sur­prise, et devient re-créa­tion plus que créa­tion. Ce n’est pas for­cé­ment souhaitable.

Pro­pos recueil­lis par Marie-Pierre Demar­ty.

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