Robert Wilson et la « super-marionnette » ou la dépossession consentie du comédien

Robert Wilson et la « super-marionnette » ou la dépossession consentie du comédien

Le 18 Nov 2000
TIME ROCKER, mise en scène Robert Wilson, 1997. Photo Marc Enguerand.
TIME ROCKER, mise en scène Robert Wilson, 1997. Photo Marc Enguerand.

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TIME ROCKER, mise en scène Robert Wilson, 1997. Photo Marc Enguerand.
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Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
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Par la rigid­ité de leur corps, par le tra­vail qu’ils font sur l’immobilité, les comé­di­ens, chez Robert Wil­son, emprun­tent à la mar­i­on­nette. Comme si les « super- mar­i­on­nettes » qu’Edward Gor­don Craig appelait de ses vœux au début du siè­cle, étaient nées aujourd’hui et évolu­aient sur nos scènes.

Le tra­vail que Robert Wil­son effectue sur la décom­po­si­tion des mou­ve­ments, sur le ralen­tisse­ment de chaque séquence, sur l’étirement infi­ni du moin­dre geste, donne, en effet, au spec­ta­teur l’impression d’être face à des man­nequins de chair, des auto­mates évolu­ant dans un temps et un espace dilatés. Le corps du comé­di­en est soumis à un cer­tain nom­bre de con­traintes. Il doit se pli­er à une dis­ci­pline très cod­i­fiée et très rigide. C’est elle qui, par ce qu’elle impose de non naturel, per­met à Robert Wil­son d’échapper à tout nat­u­ral­isme (écueil et repous­soir absolu à ses yeux). Le traite­ment des voix par­ticipe égale­ment à ce proces­sus de déshu­ma- nisa­tion. Les voix passées au fil­tre des micros, devi­en­nent métalliques. Les reg­istres de tonal­ités sont nom­breux et les sauts de l’un à l’autre bru­taux. On passe, dans une même phrase, de l’aigu au grave. Dif­fi­cile de dire avec cer­ti­tude de quelle bouche sort la voix. Grâce au micro, le comé­di­en qui par­le, a les lèvres qui bougent à peine. Sa voix peut reten­tir à l’autre bout du plateau, comme si elle jail­lis­sait de nulle part. Le grain de la voix n’a plus sa spé­ci­ficité. Les micros per­me­t­tent de brouiller les repères usuels de recon­nais­sance. Tout cela fait de la scène wilson­ni­enne un univers où les corps sem­blent obéir à une mécanique étrange, extérieure aux comé­di­ens eux-mêmes. Comme si le mou­ve­ment était impul­sé d’ailleurs.

Plus que partout ailleurs cer­taine­ment, le comé­di­en qui joue pour Robert Wil­son doit prêter son corps au met­teur en scène et accepter de se faire mar­i­on­nette.

La mar­i­on­nette pos­sède des qual­ités que le comé­di­en n’a pas. Elle est moins sen­si­ble aux ten­ta­tions, moins sujette aux incon­stances. Chez Craig comme chez Robert Wil­son, on trou­ve une même méfi­ance face à l’incertitude que représente le comé­di­en. Craig reproche à l’acteur d’être tout entier pos­sédé par l’émotion et d’incarner, en cela, l’accidentel. Or pour lui « l’art n’admet pas l’accident ». Il rêve d’un corps lisse, qui n’offrirait aucune prise aux événe­ments extérieurs :

« Les applaud­isse­ments écla­tent en ton­nerre ou se per­dent isolés, la mar­i­on­nette ne s’en émeut point ; ses gestes ne se pré­cip­i­tent et ne se con­fondent pas ; qu’on la cou­vre de fleurs et de louanges, l’héroïne con­serve un vis­age impas­si­ble. »1

Cette idée du comé­di­en impas­si­ble, ce fanstasme de l’automate doit s’entendre avant tout comme une haine du caboti­nage, comme une méfi­ance pro­fonde vis-à-vis du comé­di­en sus­cep­ti­ble de trich­er, ou de gliss­er dans un jeu trop facile. On la trou­ve déjà chez Kleist :

« Et l’avantage que de telles poupées pos­sèderaient sur des danseurs vivants ? L’avantage ? En tout pre­mier lieu un avan­tage négatif, mon excel­lent ami, je veux dire celui de ne jamais être affec­té. »2

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Robert Wilson
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Laurent Gaudé
Laurent Gaudé est auteur dramatique. Il a notamment écrit ONYSOS LE FURIEUX publié aux éditions...Plus d'info
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