CORPS BLANC DES HOMMES DE L’‘OMBRE
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CORPS BLANC DES HOMMES DE L’‘OMBRE

Le 15 Jan 2001
Article publié pour le numéro
Jean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives ThéâtralesJean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives Théâtrales
69
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La veille
il était ren­tré de son verg­er
gro­seil­liers par ses soins rouges et noirs
fram­bois­es aus­si et les poiri­ers il y en avait
verg­er en pente
au bord d’un ravin
et là le
le ver­tige
non l’autre
pas celui que don­nent les ravins
l’autre
sep­tante ans
pas telle­ment vieux
ce jour-là n’est plus retourné au verg­er comme
il en avait l’habitude après la pause de la tasse de café

je l’ai lavé
qui peut dire
mon père je l’ai aimé
mon père je l’ai lavé oui
son corps par­tait dans tous les sens
douce­ment
les bras, les épaules, genoux, les pieds
dans le vide
le vide encore penché mourant
au bord du lit

le corps que je rame­nais dans mes mains savon­neuses
comme un corps qu’on veut éveiller réveiller
sous l’eau froide le matin

ici
c’é­tait le soir
le corps blanc de mon père car le soleil le mar­quait peu
le corps blanc
des hommes de l’ombre
mineurs de fond
pho­tographe dans son labo
pre­mier chré­tien des cat­a­combes
il a vu tant de bon­heur
mariages et com­mu­nions
témoin dis­cret et élé­gant
témoin du bon­heur des autres
il pho­tographi­ait

il était pho­tographe après
après sa journée
beau­coup tra­vail­lé
dans le verg­er en pente aus­si
c’est là qu’il aurait voulu longtemps
plus longtemps
il pho­tographi­ait le bon­heur des autres
le corps pâle
cheveux blancs

On ne lave qu’une fois son père dans la vie

l’eau est sale

Va-t’en savoir
jusqu’où on peut laver son père
les mains, les bras, les pieds

le vis­age longue­ment

oui dit-il à une ques­tion que je n’avais pas posée
sans doute à une ques­tion qu’il se posait lui et
qui était trop grave pour que je la con­naisse moi
son enfant qui le lavait à son tour

corps blanc des hommes de l’ombre
farine des cheveux
et le corps que je rame­nais
dans ma main

Il ne faut plus laiss­er les gens mourir n’im­porte
com­ment
il faut s’en occu­per
ne va pas trop vite dit-il
non
j’ai dit non
quand on dit non, ça a un sens évidem­ment
mais aujour­d’hui je sais trop tard que j’al­lais trop vite
ma main aurait dû ralen­tir
sur ses lèvres et ses yeux
je ne savais pas que c’é­tait la pre­mière
que c’é­tait la dernière fois
que je lavais mon père

et je ver­sais sur lui
à cette eau qui coulait sur son corps
se mêlait l’eau
de sa sueur
de ses dernières larmes
une eau de vie et de mort
qui sen­tait déjà la vio­lette
le par­fum des morts en ce temps-là
l’eau des bap­têmes
l’eau des cuvettes de son lab­o­ra­toire
l’eau des pluies sur son verg­er en pente
l’eau retenue par la terre
eau et corps mélangés
que je lavais pétris­sais

je suis con­tent d’avoir fait cela
quand on sait qu’on va mourir n’im­porte com­ment
on n’a pas le choix
on vit n’im­porte com­ment

il ne faut plus

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14 Jan 2001 — 28 septembre 1934: Naissance à Moustier-sur Sambre.Ses parents, Félix Louvet et Augustine Hanoulle appartiennent à la classe ouvrière ;ils se…

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