LES AMBASSADEURS DE L’OMBRE, de l’atelier au spectacle Table ronde avec les participants du projet
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LES AMBASSADEURS DE L’OMBRE, de l’atelier au spectacle Table ronde avec les participants du projet

Le 13 Jan 2001
Article publié pour le numéro
Jean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives ThéâtralesJean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives Théâtrales
69
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Voulant inter­roger les pra­tiques artis­tiques dans les marges de la société, Bernard Debroux, chargé de la pro­gram­ma­tion théâ­trale à Brux­elles 2000, a pro­posé au met­teur en scène Lorent Wan­son de ren­con­tr­er des familles du quart monde par le biais de l’as­so­ci­a­tion ATD Quart Monde, implan­tée à Molen­beek et ani­ma­trice de la Mai­son des savoirs. Après un long tra­vail d’é­coute des familles et d’ate­liers d’un genre par­ti­c­uli­er, Lorent Wan­son a réal­isé avec l’aide de comé­di­ens du Théâtre Nation­al un spec­ta­cle où se sont ren­con­trés comé­di­ens pro­fes­sion­nels et pub­lic d’exclus. Une aven­ture artis­tique sin­gulière qui aura mar­qué cha­cun des par­tic­i­pants. 

FABIENNE VERSTRAETEN : LES AMBASSADEURS DE L’OMBRE est le résul­tat d’un long proces­sus de tra­vail. Deux années d’ate­liers ont réu­ni dif­férents parte­naires : une asso­ci­a­tion implan­tée dans un quarti­er, la Mai­son des Savoirs d’‘ATD Quart-Monde à Molen­beek, un met­teur en scène et des acteurs ama­teurs, les mem­bres des familles. Com­ment ce pro­jet a‑t-il débuté ? Quels étaient ses enjeux au départ, pour cha­cun de vous ? 

Jacque­line Page : L’idée est venue de Jean-Christophe Pir­son et Dominique Ramaert, deux bénév­oles d’ATD Quart­Monde. À l’occasion de Bruxelles/ Brus­sel 2000, Ville européenne de la Cul­ture, ils avaient pro­posé un grand spec­ta­cle son et lumières qui aurait dû se dérouler le 17 octo­bre 2000, journée mon­di­ale du refus de la pau­vreté. Ils voulaient faire venir à Brux­elles le met­teur en scène Peter Sel­l­ars qui avait mené des pro­jets de ce type avec les exclus blacks des faubourgs de Boston. Au couts des pre­mières réu­nions avec Bruxelles/Brussel 2000, le pro­jet s’est recent­tré sur l’idée d’un parte­nar­i­at entre des prati­ciens pro­fes­sion­nels et des acteurs non pro­fes­sion­nels, sous le titre pro­vi­soire de « Théâtre de Parte­nar­i­at ». 

Lorent Wan­son : Bernard Debroux, coor­di­na­teur de la pro­gram­ma­tion théâ­trale à Bruxelles/Brussel 2000, m’a fait ren­con­tr­er l’équipe de la Mai­son des Savoirs. Dès le mois d’oc­to­bre 1998, nous avons eu, Élis­a­beth, mon assis­tante, et moi-même, des réu­nions heb­do­madaires avec Dominique Ramaert et Jacque­line Page, afin d’éla­bor­er le pro­jet. Les pre­miers con­tacts avec les familles ont com­mencé en novem­bre 1998, d’abord avec Viviane et son fils, Gwen­naël, sous la forme d’en­tre­tiens au cours desquels nous avons essayé de retrac­er l’histoire de Viviane et de sa famille, tout en essayant aus­si d’analyser le con­texte juridique et social dans lequel cette his­toire s’est déroulée. Ces ren­con­tres avec Viviane et Gwenn nous ont per­mis d’ap­préhen­der vrai­ment une réal­ité que nous pen­sions con­naître. 

J. P.: Lorsque le pro­jet a com­mencé, des mem­bres d’ATD Quart-Monde m’ont con­seil­lé d’ar­rêter. Or je pen­sais qu’il fal­lait absol­u­ment con­tin­uer. Il n’y avait pas d’ate­lier de théâtre à la Mai­son des Savoirs et ce pro­jet était aus­si l’occasion de tra­vailler en familles, notion fon­da­men­tale pour ATD, et d’abor­der avec elles un lan­gage artis­tique con­tem­po­rain et de qual­ité. 

Viviane : Au cours des pre­mières ren­con­tres avec Lorent et Élis­a­beth, je leur ai racon­té ce qui m’é­tait arrivé. J’é­tais un peu inquiète de ce que Lorent ferait avec toute cette matière, je tenais beau­coup à ce que le réc­it reste imper­son­nel. Nous nous voyions une fois par semaine, puis nous avons organ­isé les pre­mières ren­con­tres à la Mai­son des Savoirs et les autres par­tic­i­pants — Marie-Thérèse, Yvette, Chris­t­ian, Chris­tine. nous ont rejoints.

F. V.: Le pro­jet des AMBASSADEURS DE L’OMBRE est fondé sur la notion de famille. Com­ment cela s’est-il passé pour les enfants ? Rudy et Gwenn, vous avez aus­si été impliqués dès le début du proces­sus ? Com­ment se sont déroulées les pre­mières ren­con­tres avec Lorent ? 

Giwenn : Je ne me sou­viens pas très bien. Je n’é­tais pas là quand il est venu voir ma mère la pre­mière fois. J’ai ren­con­tré Lorent un peu plus tard et quand ils m’ont expliqué le pro­jet, j’ai été tout de suite par­tante. 

L. W.: Au début du tra­vail, je n’avais pas de pro­jet pré­cis et je ne savais pas à quoi Le proces­sus abouti­rait. À chaque étape, il fal­lait se repos­er des ques­tions, réin­ter­roger le proces­sus de tra­vail. C’est encore le cas aujourd’hui à la veille d’une reprise et d’une dif­fu­sion. 

J. P.: En effet, nous ne savions pas jusqu’où nous pour­rions aller. Ce qui impor­tait le plus c’é­tait l’ex­péri­ence elle-même, sans savoir si la démarche abouti­rait à un spec­ta­cle. Lorsque nous avons présen­té le pro­jet aux par­tic­i­pants, nous n’avons pas par­lé de spec­ta­cle, à l’époque rien n’é­tait encore défi­ni. La ques­tion du spec­ta­cle s’est posée plus tard, en jan­vi­er-févri­er 2000. Tout s’est con­stru­it dans le temps, étape après étape. 

En juin 1999, nous avons ren­con­tré les respon­s­ables du mou­ve­ment ATD Quart-Monde en France, avec Lorent et Élis­a­beth, parce que je pressen­tais un con­flit vu les dif­férences de points de vue entre ATD, et Lorent et Élis­a­beth. Je voulais que le met­teur en scène puisse tra­vailler libre­ment, en con­fi­ance. Nous avons ensuite organ­isé la pre­mière étape de tra­vail théâ­tral, ouverte à d’autres par­tic­i­pants, notam­ment des mem­bres de la chorale de la Mai­son des Savoirs. Et c’est à ce moment-là que sont arrivés Chris­t­ian et Marie-Thérèse. 

L. W.: Avec Viviane, nous avions entamé un tra­vail à long terme, nos ren­con­tres avaient débouché sur une matière très impor­tante qui touchait à l’injustice sociale, aux dif­fi­cultés finan­cières, à la jus­tice, aux expul­sions, aux huissiers. Cette pre­mière péri­ode a abouti à l’écri­t­ure de deux textes sur le thème de la « demande de jus­tice ». Ces textes ont con­sti­tué la matière de la pre­mière présen­ta­tion du tra­vail en juin. Durant cette pre­mière phase d’ate­lier, nous avons ren­con­tré chaque par­tic­i­pant indi­vidu­elle­ment, nous avons recon­sti­tué l’histoire de cha­cun. C’é­tait une manière de repro­duire à plus petite échelle nos ren­con­tres de plusieurs mois avec Viviane et Gwenn. Il fal­lait pren­dre le temps de se con­naître et d’établir la con­fi­ance. La sol­i­dar­ité entre les par­tic­i­pants s’est elle aus­si con­stru­ite peu à peu, cha­cun a appris à pren­dre en compte les his­toires des autres de façon naturelle. Cette pre­mière présen­ta­tion a été con­stru­ite en fonc­tion de la sin­gu­lar­ité de chaque par­tic­i­pant et en ten­ant compte de ce que cha­cun avait envie de faire : dire, chanter, être sim­ple­ment là, tomber… Ain­si, Marie-Thérèse qui nous a rejoints à un moment très dif­fi­cile, puisqu’elle venait de per­dre sa fille. Elle a choisi le chant qui l’avait portée toute sa vie et cela a eu un effet libéra­teur très pro­fond sur ce qu’elle vivait à ce moment-là. 

Marie-Thérèse : Cha­cun a pro­posé ce qu’il voulait faire. Moi je souhaitais rejouer la scène de mon mariage, ce qui a don­né l’écri­t­ure de la chan­son « La ronde » : « Valse, tourne, tourne… ». Pour moi, à ce moment-là, le théâtre a été une chance. Quand ma mère est décédée, je fai­sais aus­si du théâtre et je n’ai pas arrêté.

F. V.: Chris­t­ian, com­ment es-tu arrivé dans le pro­jet ? 

Chris­t­ian : J’ai vécu longtemps dans la mis­ère et le théâtre m’a fait du bien. J’aime jouer avec les autres, je n’ai qu’eux et j’ai con­fi­ance en eux. Ma vie a été triste et l’est encore. Au théâtre, on se voy­ait, nous étions en famille, nous étions plus heureux. En jouant avec les autres, j’ai repris con­fi­ance, c’é­tait mer­veilleux pour moi. 

Viviane : Le pro­jet nous a per­mis de réap­pren­dre une série de choses : la régu­lar­ité, le fait de venir à l’heure aux répéti­tions, de refaire fonc­tion­ner sa mémoire, Ce qui nous a per­mis de remon­ter la pente. Moi cela fai­sait plus de six ou sept ans que je vivais sans gaz et élec­tric­ité, et que je me bat­tais, aidée par mon médi­a­teur de dettes pour résoudre ces prob­lèmes. 

L. W.: Quand je suis venu voir Viviane, la pre­mière fois, Les volets de son apparte­ment étaient fer­més, il fai­sait très chaud, l’atmosphère était con­finée. Quelque temps après, lorsque nous sommes revenus pour un nou­v­el entre­tien, les volets étaient lev­és, l’ap­parte­ment avait été réor­gan­isé, comme si Viviane pou­vait désor­mais à nou­veau affron­ter le monde.

Le spec­ta­cle s’est donc con­stru­it autour des prob­lèmes et des dif­fi­cultés que les familles ont ren­con­trés. Mais plutôt qu’une faib­lesse, nous avons voulu en faire une arme. Nous n’avons pas voulu mon­tr­er les par­tic­i­pants sous le cou­vert du manque. Le moteur était : « Nous allons vous mon­tr­er que nous sommes rich­es des coups que nous avons reçus, rich­es de nos expéri­ences que vous, pub­lic, ne con­nais­sez pas ou dont vous n’avez qu’une idée abstraite. Et cette con­nais­sance de la réal­ité, per­son­ne ne pour­ra nous l’en­lever ». Les familles sont fortes de leur expéri­ence de cette réal­ité et c’est cela que j’ai voulu mon­tr­er. Quand on entend au Jour­nal Télévisé qu’il y a 12 % d’en­fants anal­phabètes en Bel­gique, cela reste une notion très théorique et abstraite, mais quand une toute jeune ado­les­cente dit sur scène : « je ne sais pas lire ni écrire », on est alors face à la réal­ité. Et de savoir qu’un huissier peut faire dou­bler les dettes par les frais de jus­tice, c’est aus­si théorique … Mais quand on voit des bouch­es dire ces mots sur scène, quand on est con­fron­té aux Corps qui ont tra­ver­sé cette expéri­ence, c’est autre chose, il y a alors un partage de l’ex­péri­ence. 

F. V.: Com­ment s’est passée pour cha­cun de vous cette pre­mière étape du pas­sage à la scène ?Ce pro­jet vous a aus­si appris com­ment pren­dre la parole, com­ment être sur scène. Il y a eu tout un tra­vail, un véri­ta­ble appren­tis­sage.

Chris­t­ian : Le théâtre c’é­tait impor­tant pour nous. Quand on joue, on regarde les gens qui vous voient, les spec­ta­teurs. On jouait pour nous mais on leur fai­sait com­pren­dre quelque chose. Quand je jouais avec Gwenn, les gens nous regar­daient ; et lui et moi on se com­pre­nait … 

F. V.: Est-ce que par rap­port à d’autres pro­jets ini­tiés et menés par ATD-Quart-Monde, la spé­ci­ficité des AMBASSADEURS DE L’OMBRE n’est pas juste­ment la parole, le fait de se racon­ter et d’en­ten­dre les autres se dire aus­si ? Ce qui se joue ici, c’est la force des mots. 

J. P.: Il faut dis­tinguer les activ­ités pro­posées par la Mai­son des Savoirs et le mou­ve­ment même d’ATD qui organ­ise notam­ment à Paris les « Uni­ver­sités pop­u­laires » au cours desquelles les par­tic­i­pants se racon­tent en petits groupes pour par­ler ensuite face à une grande assem­blée. Mais ce qu’on évite là — et c’est juste­ment ce que Lorent a voulu tra­vailler, c’est la parole per­son­nelle et indi­vidu­elle. 

Viviane : À l’U­ni­ver­sité pop­u­laire d’ATD, les temps de parole sont lim­ités. Au théâtre, dans LES AMBASSADEURS DE L’OMBRE, nous avons pu expli­quer ce que nous ressen­tions. Lorent et Élise ont retran­scrit nos entre­tiens et puis nous avons choisi ce que nous diri­ons sur scène. Au cours des pre­mières répéti­tions, nous avons pris Con­nais­sance de l’histoire des autres. 

L. W.: Dans une uni­ver­sité pop­u­laire, le but est interne. Or ici, il s’agis­sait de don­ner à enten­dre ces paroles, ces expéri­ences, à un pub­lic large. À tra­vers ces paroles, il s’agis­sait de pos­er des ques­tions au monde. C’est le pro­jet qui était pri­or­i­taire. Les familles se sont appro­prié le pro­jet qui n’é­tait plus inféodé idéologique­ment au mou­ve­ment d’ATD. Ce qui explique aus­si les con­tra­dic­tions, et les dif­fi­cultés aux­quelles nous avons été con­fron­tés.

Elise : Nous avons voulu aller jusqu’au bout de ce que nous voulions dire et mon­tr­er. Cer­tains bénév­oles d’‘ATD ont par­fois peur qu’on aille trop loin, que cela ne pose des prob­lèmes aux gens. Nous avons tra­vail­lé avec ce que les gens avaient à dire et à pro­pos­er, dans l’idée que quelque chose pou­vait se libér­er sur scène. 

F. V.: Le spec­ta­cle est fondé sur la notion de « croise­ments », d’échanges d’ex­péri­ences à tous niveaux :entre Les familles, avec le met­teur en scène et son assis­tante, les comé­di­ens pro­fes­sion­nels, l’in­sti­tu­tion qu’est le Théâtre Nation­al, et aus­si avec le pub­lic. En quoi con­sis­tent ces croise­ments ? Qu’est-ce ce qui a été échangé et appris récipro­que­ment ?

Viviane : Le fait de tra­vailler avec des comé­di­ens pro­fes­sion­nels nous a don­né con­fi­ance en nous, puisqu’eux aus­si pou­vaient se tromper ou avoir le trac. 

L. W.: Pen­dant les représen­ta­tions, je restais sur le plateau. Il fal­lait rel­a­tivis­er : on fait du théâtre, c’est impor­tant, mais ce n’est jamais que du théâtre. Et les erreurs, les acci­dents étaient inté­grés à la représen­ta­tion, cela déstres­sait tout le monde, y com­pris le pub­lic dans son rap­port au spec­ta­cle. Il s’agis­sait de faire en sorte que le croise­ment soit com­plet. 

Viviane : Ce qui nous fai­sait le plus peur c’é­tait la scène des procès-ver­baux, le moment où nous étions tous debout face au pub­lic. Ce que nous racon­tions là, c’é­tait un morceau de notre vie, un moment très per­son­nel, et le cœur bat­tait à toute allure, j’avais la gorge ser­rée. Puis nous repar­tions aus­sitôt dans la grande salle, pour couper cette émo­tion. On n’avait pas le temps de pleur­er. 

L. W.: Ces textes des procès ver­baux, nous les avons réécrits ensem­ble à par­tir du témoignage de cha­cun. J’ai voulu les tra­vailler comme je Le fais pour n’im­porte quel texte : en accor­dant une grande atten­tion à la ponc­tu­a­tion, aux temps. Il fal­lait qu’on sente le tra­vail de chaque acteur, tant du point de vue de la mémoire que dans la maîtrise de l’histoire per­son­nelle. Il ne fal­lait pas plonger dans l’é­mo­tion, mais per­me­t­tre la com­préhen­sion de chaque his­toire : quelle inci­dence, quel poids, cette his­toire per­son­nelle peut-elle avoir sur la ques­tion de l’in­jus­tice ? Je voulais que le pub­lic prenne en compte les sit­u­a­tions et les con­di­tions d’injustice dans lesquelles les familles ont vécu. Pour Chris­t­ian par exem­ple, racon­ter son his­toire au passé sim­ple n’é­tait pas facile, mais le passé sim­ple per­met juste­ment la mise à dis­tance : nous par­lons de notre his­toire mais nous la maîtrisons, ce n’est pas tout à fait notre langue, c’est une langue réécrite. 

Chris­t­ian : Ce qui était dif­fi­cile aus­si, c’é­tait de faire face au pub­lic, d’être là tout au bord du plateau. Mais après, quand cha­cun avait dit son his­toire, on éprou­vait un soulage­ment. Puis il y avait cette ren­con­tre finale avec le pub­lic qui mon­tait sur la scène et nous étions heureux d’avoir réus­si. Mais c’é­tait un tra­vail énorme. 

L. W.: Dans les PV, je me sou­viens d’Yvette qui rete­nait son émo­tion, non pas au moment de son pro­pre réc­it mais en écoutant celui de Chris­t­ian ou de Marie-Thérèse. Cha­cun devait assumer les his­toires des autres, les adultes comme les enfants, les comé­di­ens pro­fes­sion­nels comme les ama­teurs. Il s’agis­sait d’as­sumer ensem­ble le pro­jet, de rétablir un rap­port hor­i­zon­tal au monde :tous étaient au même niveau, les tech­ni­ciens, les comé­di­ens pro­fes­sion­nels ou ama­teurs, les enfants … 

F. V.: Qu’en est-il de cette ques­tion de l’échange, dans ton tra­vail, Lorent. Qu’est-ce que cette longue expéri­ence des AMBASSADEURS DE L’OMBRE a mod­i­fié pour toi, dans ta pra­tique du théâtre ? 

L. W.: Le sujet du spec­ta­cle, c’est le proces­sus lui-même, l’ex­péri­ence, la preuve qu’il est pos­si­ble de tra­vailler à la trans­for­ma­tion de la réal­ité. Et pour ce faire, il faut cass­er l’im­agerie. Or notre méti­er, au théâtre, c’est de pro­duire des représen­ta­tions du monde. Pour ma part, je ne pour­rai plus jamais mon­tr­er un ouvri­er ou un exclu sur une scène de théâtre comme je le fai­sais avant, parce que je me suis ren­du compte que je n’en avais pas réelle­ment l’ex­péri­ence. Et cela repose la ques­tion de notre place dans la société : qu’est-ce que nous met­tons en œuvre pour écouter l’autre, non pas d’une oreille com­patis­sante ou con­de­scen­dante, mais réelle­ment, avec ce que cela implique comme trans­for­ma­tion pos­si­ble pour soi-même ? Dans ce pro­jet, nous nous sommes tous trans­for­més mutuelle­ment. 

F. V.: Dans l’évolution de ton tra­vail, je te vois pour la pre­mière fois accéder à une cer­taine notion du « beau » : la scène des majorettes sur fond de musique de Vival­di, la scène « blanche » à la fin du spec­ta­cle avec les enfants, qui n’est pas sans évo­quer la fameuse « Marche blanche » d’il y a quelques années. Ces deux scènes induisent un rap­port au « beau » presque naïf et qui évoque quelque chose comme « l’en­fance de l’art » : une pre­mière approche, une approche immé­di­ate. 

Christian Vilain dans LES AMBASSADEURS DE L'OMBRE, mise en scène Lorent Wanson. Photo Alice Piemme.
Chris­t­ian Vilain dans LES AMBASSADEURS DE L’OMBRE, mise en scène Lorent Wan­son. Pho­to Alice Piemme.

L. W.: Le pro­jet lui-même a induit ces notions, puisque nous ne voulions pas con­stru­ire à par­tir du manque mais bien des richess­es, la richesse de tous ces gens, qui con­stitue leur force, leur résis­tance. Ce tra­vail avec les familles m’a per­mis de croire que l’amour peut être por­teur d’une trans­for­ma­tion du monde. Dans la scène des majorettes, où se joue la ques­tion de la trans­mis­sion de la cul­ture pop­u­laire, c’est Danielle, l’in­ter­prète, qui a con­stru­it sa séquence ; je lui ai juste pro­posé qu’on n’u­tilise pas une musique de majorettes mais un pas­sage de Vival­di. 

F. V.: Une musique qui rend la scène plus sub­lime encore…

L. W.: Une musique qui ouvre la scène et qui sort la majorette de son car­can, de son con­texte. Que faisons-nous de la cul­ture pop­u­laire ? Ici aus­si, il est pos­si­ble d’in­ven­ter autre chose, de pro­duire des croise­ments. Il ne s’agis­sait pas d’éveiller une éventuelle nos­tal­gie des cul­tures pop­u­laires, mais de val­oris­er ce savoir-faire, d’en mon­tr­er la richesse. 

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14 Jan 2001 — 28 septembre 1934: Naissance à Moustier-sur Sambre.Ses parents, Félix Louvet et Augustine Hanoulle appartiennent à la classe ouvrière ;ils se…

28 sep­tem­bre 1934 : Nais­sance à Mousti­er-sur Sambre.Ses par­ents, Félix Lou­vet et Augus­tine Hanoulle appar­ti­en­nent à la classe ouvrière…

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