Durant les répétitions et représentations des AMBASSADEURS DE L’OMBRE, la présence au Théâtre National de familles du quart monde, participantes de cette expérience singulière, a bouleversé le cours habituel des choses au sein de l’Institution. Nous en avons gardé ici quelques traces, des paroles captées dans les couloirs et coulisses du théâtre.
Graziella, loge d’accueil,
entrée des artistes
QUAND LES COMÉDIENS sont arrivés, les premiers jours de répétition, ils étaient très bruyants. Certains membres du personnel ont été effrayés et ses sont demandés ce qui se passait, qui étaient ces gens. C’était une distribution composée de fortes personnalités et leur présence dérangeait. Au début, ils arrivaient n’importe quand, ils hurlaient dans les couloirs du théâtre, puis avec le temps, ils se sont structurés tout en manifestant la même fougue, une énergie qu’on ne voit pas toujours chez les comédiens chevronnés. Le fait d’avoir un travail, des horaires précis, toute cette vie réglée du théâtre à assez vite déteint sur eux. En retour, ils nous ont insufflé une vie inhabituelle, la « vraie » vie, ce qui nous a aussi fait beaucoup de bien.
Monter de beaux textes, c’est important : MÉDÉE d’Euripide avec Isabelle Huppert, mis en scène par Jacques Lasalle, c’est bien ; mais LES AMBASSADEURS DE L’OMBRE avec les familles sur scène, c’est tout aussi formidable. Le théâtre doit s’ouvrir. Même si ce n’est pas la vocation spécifique du Théâtre National, ce projet rejoint une de ses missions : se déplacer vers les gens dans les coins les plus reculés des provinces, amener le théâtre à ceux qui n’ont pas la possibilité de venir à Bruxelles. Mais il doit donc aussi accueillir ceux qui sont tout proches, qui vivent à deux pas, les gens de la rue pour qui il peut être un moyen de se retrouver et de recouvrer une certaine dignité. S’ils peuvent trouver du travail dans un grand magasin, pourquoi pas aussi au Théâtre National, ou dans un autre théâtre ?
Danielle De Boeck
De mon bureau au cinquième étage, je n’ai pas tout vu mais j’ai beaucoup entendu. Ici c’était l’étage des enfants. Quand on m’a annoncé qu’on allait mettre les enfants ici, pour moi ce n’était pas un problème : des fenêtres du couloir on voit les trains, les grues, c’était mieux que de les enfermer dans la salle de réunion. Au début, ils ont cherché leurs repères et puis ils se sont habitués et pendant les générales, on promenait le bébé, la petite Angélique, dans un Gwenael Dupuis dans LES AMBASSADEURS DE L’OMBRE, mise en scène Lorent Wanson. Photo Alice Piemme. panier au bout d’une corde. Ça criait, ça courrait, ça se bagarrait… De temps à autre j’avais droit à de grandes démonstrations amicales et même affectueuses de la part des enfants.
C’était la première fois qu’on accueillait des acteurs non professionnels et de surcroît des famille, au Théâtre National. Cela faisait longtemps que je n’avais plus vu quelque chose qui vous touche et vous émeut à ce point. C’était un choc, un grand souffle. Et puis il y avait la force des témoignages, comme cette mère qui raconte qu’elle n’a pas d’argent pour acheter un livre à son gosse : pourquoi acheter un livre si on en a déjà un à la maison
Patricia Eggerickx, costumière
Travailler avec des non-professionnels induit des rapports humains très différents, Il fallait avoir la même exigence professionnelle que pour d’autres spectacles, viser la même qualité, mais la vie des répétitions et du spectacle étaient différente. Pour la première fois, je n’ai pas travaillé que sur les costumes : j’ai fait répéter les comédiens, pendant les représentations, j’étais dans les coulisses, je veillais aux entrées et sorties. Il y avait beaucoup à gérer autour du plateau, dans les coulisses, tout un travail auquel je ne participe habituellement pas.



