Quoi Louvet ?
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Quoi Louvet ?

Le 24 Jan 2001
Patrick Descamps, Marcel Delval et Carmela Locantore dans UN FAUST, mise en scène Marc Liebens. Photo Danièle Pierre.
Patrick Descamps, Marcel Delval et Carmela Locantore dans UN FAUST, mise en scène Marc Liebens. Photo Danièle Pierre.

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Patrick Descamps, Marcel Delval et Carmela Locantore dans UN FAUST, mise en scène Marc Liebens. Photo Danièle Pierre.
Patrick Descamps, Marcel Delval et Carmela Locantore dans UN FAUST, mise en scène Marc Liebens. Photo Danièle Pierre.
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Jean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives ThéâtralesJean Louvet-Couverture du Numéro 69 d'Alternatives Théâtrales
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ET BIEN quand je pense à lui, je vois un homme sur son seuil, une main ten­due, on le salue, il salue, Lou­vet est un homme pub­lic, il inter­pelle, con­seille, milite, écoute, c’est un voisin, un ami, un pro­fesseur, un écrivain, une fig­ure qu’on ne croise pas en toute mon­dan­ité, la mon­dan­ité n’a rien à faire avec la fra­ter­nité pop­u­laire, quand Lou­vet est là on s’y heurte, il vous sec­oue, prenez posi­tion s’il vous plaît, ne lais­sez pas fil­er le réel comme si rien ne pou­vait en infléchir le cours, réfléchissez, faites marcher votre cervelle, regardez le monde, regardez et agis­sez, il joue de la voix, appelle à la rescousse, sa solide car­casse de tri­bun du peu­ple vous énerve, vous emballe, vous sub­jugue, dragueur va ! 

C’est Bernard Dort qui m’en a par­lé le pre­mier lorsque, jeune étu­di­ant, j’avais débar­qué dans son cours en Sor­bonne (autant dire juste après les guer­res napoléoni­ennes, en tous cas large­ment au siè­cle dernier). « Piemme vous con­nais­sez Lou­vet, dans le Hain­aut, Jean lou­vet, c’est de chez vous ça ? Non ? Vous ne con­nais­sez pas, il fait des choses intéres­santes ». Armand Del­campe était revenu à la charge un peu plus tard par­lant de Lou­vet comme si c’é­tait son frère de lait (met­tez-les côte à côte vous ver­rez qu’il y a du vrai là-dedans). Liebens avait fait son­ner le nom une fois encore avec À BIENTÔT MONSIEUR LANG au théâtre du Parvis. Finale­ment, c’est par lui, plus tard, que je ren­con­tr­erai l’ours en per­son­ne, main ten­due vers moi sur le seuil de l’Ensem­ble Théâ­tral Mobile comme sur le seuil de sa porte, prêt à toutes les joutes dialec­tiques qu’on voudra. Pour moi, à ce momentlà, il est le pre­mier auteur vivant que je vois, un vivant à qui on peut pos­er des ques­tions je veux dire. À Nan­cy, j’avais bien assisté un jour à une con­férence d’Adamov (con­férence n’est évidem­ment pas le mot qui con­vient), l’amphithéâtre était bondé, le fes­ti­val de théâtre expéri­men­tal bat­tait son plein ; j’avais vu Adamov, oui, mais de loin, à la façon dont Fab­rice à Water­loo voit l’empereur. Avec Lou­vet tout était dif­férent. Je pou­vais faire l’intellectuel, jouer de la com­plic­ité de nos deux orig­ines sociales, ris­quer des analy­ses de textes, penser sot­te­ment, stu­pide­ment, que j’en savais plus que lui sur ses pièces, plonger mes pattes dra­maturgiques dans la mécanique de son écri­t­ure (avec Marc Liebens et Michèle Fabi­en, puis Philippe Sireuil), croire un temps que nos ver­sions scéniques don­naient à ses pièces l’ul­time touche de cohérence qui leur man­quait : foutaise, il suf­fit de lire ses ver­sions et les nôtres pour s’apercevoir que les siennes sont plus rich­es, qu’il écrivait un théâtre plus large, plus généreux, plus dan­gereux, plus attrayant que nos (mes) remis­es en ordre. 

Au fond, la sit­u­a­tion n’a rien d’exceptionnel, elle traduit le plus clas­sique­ment du monde la rela­tion du texte à sa mise en scène, elle red­it sim­ple­ment que là où un auteur existe, le pas­sage à la scène est un fac­teur d’ap­pari­tion et de réduc­tion, simul­tané­ment. Pour un auteur de théâtre, quelque chose de fon­da­men­tal naît avec la mise en scène d’une de ses pièces, l’œuvre devient corps, le temps devient chair, les mots trou­vent une sen­su­al­ité nou­velle, mais cette mise en scène, aus­si réussie soit-elle, est aus­si une manière de tailler du sens dans le sens, de fab­ri­quer à l’œu­vre un cos­tume sig­ni­fi­catif vraisem­blable, de faire son­ner en pre­mier ce qui sonne clair dans l’époque. Et que dit l’époque, juste­ment ? Que Lou­vet est un auteur poli­tique, ce qui doit bien être un peu vrai puisque tout le monde le proclame, à com­mencer par Lou­vet lui-même, pas mécon­tent de pass­er pour autre chose qu’un homme de let­tres. C’est enten­du, Lou­vet par­le de la classe ouvrière, du pro­lé­tari­at wal­lon, des façons d’en être et de ne plus en être, il par­le d’aliénation, du devenir-marchan­dise, de la mémoire et de l’oubli, des trahisons, de la mau­vaise con­science des intel­lectuels, de leur rêve foireux, oui, bon ! 

Du coup, ce faisant, on laisse dans l’om­bre d’autres car­ac­téris­tiques, plus souter­raines, moins immé­di­ate­ment liées à l’énon­cé du sens, des qual­ités d’én­ergie, de stim­u­la­tion, de provo­ca­tion, une musique des mots, un impact de la prise de parole, on feint de croire que ce n’est qu’un con­tenu qui par­le tout seul, on y cherche une ratio­nal­ité que les pièces ne deman­dent pas à chaque ligne ; avec un embar­ras cer­tain, on repousse au sec­ond plan tout un aspect de l’œuvre fait d’écarts, de rup­tures, d’hétérogénéités, de sur­gisse­ments fan­tas­ma­tiques, de con­tra­dic­tions, d’ellipses, de sautes, d’irrégularités, bref, on feint de ne pas voir le bor­délique pêle-mêle qu’est aus­si l’œuvre de Lou­vet, son jeu avec les mots, la jouis­sance qu’il tire de son acte d’écri­t­ure. Lisez ceci, par exem­ple, tiré du FAUST : « Mon bel oiseau, mon bel oiseau tout chaud comme un cou de femme. Et si tu étais le dernier de ton espèce ? 

Le loup, la loutre, le blaireau, le ham­ster d’Eu­rope, le grand rhi­nolophe, le petit rhi­nolophe, le rat noir. Tous dis­parus ou en voie de dis­pari­tion. 

Je recueille les cadavres, les duvets pous­siéreux, les plumes au vent, les âmes mortes, les nids éteints.
(il ouvre la porte de la cage)
La bar­bastelle com­mune, le daim, le loir, la musaraigne bicol­ore, la genette vul­gaire, le noc­tule de Leis­er, la pip­istrelle de Nathu­sia, le lièvre com­mun, l’œillard mérid­ion­al, le versper­stil­ion de Brandt.
(il regarde l’oiseau)
Autant te tuer et t’’empailler tout de suite. » (p. 137)
Ou encore les pre­miers mots de Faust : « Boue, feuilles mortes, eau de pluie, salive de chien, fraîcheur du bouleau, j’ai oublié tout ?
(il caresse un bâton)
Cadeau de bête, rap­porté dix fois, vingt fois comme s’il ne m’avait rien don­né depuis des années. Qui es-tu ? Brave bolide qui me guide entre mes pas : suis-moi, la vie, c’est là. » 

Ou encore ces quelques phras­es de Mar­guerite : « Un rien suf­fit. Je ne me con­trôle plus. Je tombe dans un trou som­bre. Je ne sais pas ce que j’ai. Je n’ex­iste plus. Ce n’est pas moi qui par­le. Qu’est-ce que cela veut dire : moi ? Il n’y a plus de moi ! Ne reste que mon corps dans tes bras impuis­sants. » (p. 217) 

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Écrit par Jean-Marie Piemme
Jean-Marie Piemme écrit pour le théâtre depuis 1986. Ses deux dernières pièces L’INSTANT et UNE PLUME EST UNE...Plus d'info
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