Dix thèses pour détourner une œuvre

Dix thèses pour détourner une œuvre

Notes sur la dramaturgie et la mise en scène du Théâtre des oreilles, pièce pour marionnette électronique et voix enregistrée

Le 23 Avr 2002

A

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Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives ThéâtralesVoix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
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I

Mul­ti­pli­er les orig­ines. L’auteur n’est pas mort, mais sim­ple­ment de plus en plus décen­tré par rap­port à lui-même. Sa tête est habitée de cita­tions, ouverte aux voix, sat­urée par des icônes. Tout cela il faut l’agencer : traduire n’est pas trahir, mais détourn­er. Le nom­bre de sources pour chaque texte, chaque idée, chaque œuvre est infi­ni ; toute orig­ine citée est un piège-à-sens, une fausse piste, au mieux une belle anec­dote. Si je men­tionne que l’inspiration qui m’orienta vers le théâtre est la propo­si­tion de Richard Fore­man de faire une mise en scène de l’œuvre de Valère Nova­ri­na au Sint Mark’s The­ater (un pro­jet jamais réal­isé, mais qui con­stitue le noy­au de l’actuelle pièce), je le dis sim­ple­ment pour objec­tiv­er ma lec­ture de Nova­ri­na ou pour imag­in­er une généalo­gie ; les vraies sources de la dra­maturgie sont les autres de théâtre refoulées, les scènes refusées, les textes détournés.

II

Neu­tralis­er la tech­nique. À une époque où la forme même de la pen­sée est de plus en plus rapi­de­ment trans­for­mée par la tech­nolo­gie, une résis­tance pos­si­ble est la mise en trans­parence de la tech­nolo­gie dans l’art. Voici un nou­veau baroque : main­tenant où le deus ex machi­na existe sous forme élec­tron­ique, l’avant-garde doit chercher des nou­velles manières d’exposer les ressorts (pour met­tre au pre­mier plan la matéri­al­ité du sig­nifi­ant, comme le soulign­erait une cer­taine sémi­olo­gie). Ne pas refouler le fétiche, mais le dépecer. Ne pas sup­primer les par­a­sites, mais les encour­ager. Si la mar­i­on­nette est sans fils — comme c’est le cas pour Le THÉÂTRE DES OREILLES — il faut révéler les ondes.

III

Accepter les inter­férences. Avant l’arrivée sur scène de notre opéra­teur, Mark Suss­man, nous ne savions pas avoir créé une mar­i­on­nette ; nous l’avions appelée soit poupée, soit robot. Car c’est la présence du mar­i­on­net­tiste qui a fait la mar­i­on­nette. En revanche, la forme de la mar­i­on­nette déforme le mar­i­on­net­tiste. L’inquiétude que sus­cite la mar­i­on­nette, les trans­for­ma­tions de notre corps et de notre âme qu’elle exige, sont la source même de sa beauté. Ici, la mise en scène est l’interface entre mar­i­on­nette et mar­i­on­net­tiste ; le met­teur en scène n’est qu’un par­a­site (dans les deux sens — biologique et élec­tron­ique — du terme). L’auteur (Nova­ri­na) doit assis­ter à une lutte lit­térale­ment à couteau tiré : après la vio­lence (amoureuse) du découpage et du col­lage de textes, après la vio­lence (intel­lectuelle) du mon­tage et du mix­age, s’il en reste des sen­ti­ments liés à la pre­mière lec­ture du texte, soit tout est raté, soit on a réus­si un mir­a­cle.

IV

Brouiller les gen­res. Le Gesamtkunst­werk (Théâtre total) est mort ; à l’heure actuelle, la per­cep­tion est conçue comme un sys­tème synesthésique, ce qui sup­prime la hiérar­chi­sa­tion des sens et des arts ; l’hybridation des gen­res artis­tiques s’établit comme par­a­dig­ma­tique. Chaque art porte tous les autres arts comme ses fan­tômes. Par con­séquent, c’est grâce à une logique de la sépa­ra­tion (quelque peu sit­u­a­tion­niste) qu’on peut agir dans un monde totale­ment con­nec­té. Cage et Cun­ning­ham l’ont bien com­pris, d’où leur mode de col­lab­o­ra­tion : fix­er le cadre tem­porel, et tra­vailler à part. Si la mar­i­on­nette du Théâtre des oreilles a été créée par Zaven Paré au Cal­i­for­nia Insti­tute of the Arts sur la côte ouest des USA, tan­dis que la bande son orig­i­nale l’était par Gre­go­ry White­head à Seacrow Media sur la côte est, ce n’était pas par mon désir d’être l’éminence grise de l’affaire, mais pour que l’œuvre soit ouverte au hasard, au hasard qui, depuis trois quarts de siè­cle, est la plus belle des mus­es.

V

Val­oris­er la poly­phonie. Jouer avec les lim­ites de la sig­ni­fi­ca­tion. Si le texte est déjà équiv­oque à cause de l’ambiguïté, de l’amphibologie, du néol­o­gisme, du solé­cisme, la voix peut ajouter un niveau de non-sens par toutes ses imper­fec­tions, toutes ses patholo­gies, toutes ses blessures. Le mon­tage et le mix­age peu­vent démul­ti­pli­er davan­tage les seuils de sig­ni­fi­ca­tion, de sorte que l’oreille se perde dans un labyrinthe sonore. Les plaisirs du texte s’articulent sur les plaisirs de l’écoute. Écouter est une façon de créer.

VI

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Écrit par Allen S. Weiss
Allen S. Weiss enseigne dans les départe­ments de Per­for­mance Stud­ies et de Cin­e­ma Stud­ies de New York Uni­ver­si­ty....Plus d'info
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Par Daniel Lemahieu
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