TROIS PIÈCES courtes écrites récemment pour acteurs et marionnettes (L’ENFANT ASSASSIN, L’enfant dans la merde, Les petites mamans1) vont être présentées au public sous forme de lecture-spectacle en Belgique francophone et au Portugal. Les premières séances de travail ont vite soulevé chez les acteurs des questions qui ont à voir avec l’énonciation, la diction, la scansion, bien sûr, mais surtout qui les invitaient à chercher d’autres points d’appui. D’où allaient-ils parler pour éroder encore plus ce qui se donne à lire comme un écho de l’antériorité ?
Heidegger écrit que la mort n’est pas devant mais derrière nous. Nous savons qu’elle a eu lieu, que rien n’y échappera, que cette affaire est faite, que tout est joué. C’est de là (et je sais que ces mots ne signifient peut-être qu’un peu de flou platonicien…) que parlent, à mon sens, les marionnettes…
Il suffit d’observer l’écriture dramatique contemporaine pour comprendre à quel point quelque chose de la parole et du corps littéraux (ce que je conçois comme le théâtre psychologique) semble chercher une sortie du texte dramatique pour acteurs. Des monologues de plus en plus longs, narratifs, accélérant un décalage stylistique, provoquant une échappée poétique (et lyrique très souvent…) apparaissent comme de véritables incrustations dans des situations où l’on sent, intuitivement, que les dialogues s’épuisent, que les situations ralentissent l’énergie des personnages, autrement dit, où le texte se donne des moments de totale liberté profératoire. Il s’agit, peut-être, de résister à l’échange dialogique de plus en plus vide, à l’image des rencontres citoyennes de tous bords, des débats audiovisuels, de la communication et des chats planétaires infiniment répétés dans la même continuité.
La culture apparaît, à mon sens aujourd’hui, à l’instar de toute religion vide de sacré, comme écran à la question de la vérité. Ne reste donc que l’idéologie de la sincérité, de l’émotion, des sentiments exacerbés, bref, le règne de l’émotion unique apparaît comme la voie royale où tous, dans la même reconnaissance de nos défaites, évanouissements et confusions pouvons nous rencontrer et communier dans un tremblement intime qui nous fait confondre notre moelle épinière avec le sens de la dispute…
Une certaine forme de théâtre contemporain se nourrit de cette hystérie et donne naissance à des œuvres qui peuvent être d’une qualité exceptionnelle, évidemment, la question n’est pas d’exclure un genre mais de repérer ce que fait ce genre, pour survivre : chercher de plus en plus à provoquer des moments de catharsis internes fulgurants comme des fusées. Soudain, les personnages quittent leur corps intime, creusent un chemin de paroles devant eux, s’aventurent dans une incantation qui les arrache à toute reconnaissance psychologique et les projette dans un espace poétique qui cherche à mâcher les forces de l’infra ou du supra-humain, à emprunter ce qui appartient, à mon sens, déjà à l’univers de la marionnette.
La marionnette, on s’en souvient, c’est une parole qui agit (Paul Claudel) mais c’est aussi de l’humain dans le larvaire, du monstrueux qui renaît et pousse la corne jusque dans le ventre du bon entendement, c’est de l’incertain qui nous rappelle à l’ordre, de la terreur qui surgit là où les voix sécuritaires entonnent les chants de la réconciliation, c’est le mal grignotant la conviction du bien, c’est le Bas luttant contre le Haut, l’animal, l’érotique et le scatologique faisant un pied de nez au lisse pornographique des home vidéos, c’est la lenteur contre la vitesse ou la vitesse contre la mollesse ; c’est la nuit contre la lumière des studios, l’organique contre le sociologique, le désir contre le plaisir, la profusion et le débordement contre l’économique, le mouvement contre la position, la ligne contre le point, bref, la marionnette c’est une parole qui vient d’ailleurs et nous renvoie ailleurs, mais qui cherche à nous emmener là où nous craignons d’aller confusément (pour parodier Jean Vilar).
Chaque fois que j’écris un texte pour marionnettes ou pour acteurs et marionnettes, je sais que je vais chercher en moi des images, des voix, des silences, des chœurs mais rarement des idées. Les idées appartiennent au monde… des idées, des débats, que sais-je, mais la marionnette n’a pas d’idée, elle n’est pas encore assez riche pour cela, pas assez civilisée, elle parle d’avant le temps des idées, elle rumine, chuchote, scande, psalmodie mais parle assez mal dans le sens que nous donnons communément au mot parler.
JE PEUX DIRE que je n’ai jamais écrit pour des marionnettes.Je peux aussi pourtant, parfaitement, affirmer le contraire : j’ai…

