L’homme hors de lui
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L’homme hors de lui

Valère Novarina : réponses à six questions de Didier Plassard

Le 24 Avr 2002
Article publié pour le numéro
Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives ThéâtralesVoix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
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Didi­er Plas­sard : La mar­i­on­nette naît sou­vent dans l’enfance : d’un petit théâtre avec lequel on a joué, d’un spec­ta­cle qu’on a vu. Quelle a été pour vous la pre­mière mar­i­on­nette ?

Valère Nova­ri­na : Gugusse de la « Loterie Pier­rot », un minus­cule mil­i­taire à grosse tête qui chan­tait léa­mi Bidasse et des airs de Bourvil. Je l’ai vu toutes les années, à Thonon, pen­dant la foire de Crête, chaque pre­mier jeu­di de sep­tem­bre, du début des années 50 à 1999, avec sa sœur, vêtue d’un frac et qui lançait la roue.

D. P. : Que peut la mar­i­on­nette que ne pour­rait l’acteur ?

V. N. : S’effondrer et renaître dans un instant, tomber plus vite qu’une pierre, se redress­er hors pesan­teur, se mou­voir dans un espace et un temps dis­con­ti­nus, nous démon­tr­er visuelle­ment que tout est saut dans la nature, pas­sage bru­tal d’un monde à l’autre, para­doxe… Salta­tion, pra­tique du saut, saut et salut, saut du temps, grand trou­ble dans l’espace : la mar­i­on­nette ren­verse tout : elle met l’homme bas.

D. P. : La mar­i­on­nette est-elle une chose qui fait l’homme ? Ou bien est-elle un por­trait de l’homme en chose ?

V. N. : L’homme en chose, offert comme une chose, un présent. Un pro­jec­tile qui sur­git. Et aus­si quelque chose de jetable.

D. P. : Dans le théâtre de mar­i­on­nette tra­di­tion­nel, préférez-vous la poupée à gaine, qui est agie par en dessous, à la mar­i­on­nette à fil ou à tringle, manip­ulée par au-dessus ?

V. N. : J’avoue avoir hor­reur de tout ce vocab­u­laire de la mar­i­on­nette : gaine, tringle, fil, mar­i­on­nette, manip­uler… Util­isons plutôt le vocab­u­laire de Jar­ry : le théâtre des Pan­tins — ou bien, comme les Alle­mands, par­lons d’un Théâtre de Fig­ures. On peut aus­si appel­er les mar­i­on­nettes des fétich­es, des hommes faits de main d’homme. Ce théâtre-là serait alors un lieu où, dans la mêlée des fétich­es, par leur lutte et par leur chute en cat­a­stro­phe, on irait voir l’idole humaine se défaire. Un lieu d’insoumission à l’image humaine. Les pan­tins nous dis­ent à la fin : « Allez annon­cer partout que l’homme n’a pas encore été cap­turé ! »

D. P. : La mar­i­on­nette élec­tron­ique du Théâtre des OREILLES a votre vis­age. Les pan­tins de La chair de l’homme et de L’origine rouge ont la tête des acteurs. Quel doit être le vis­age de la mar­i­on­nette ? La mar­i­on­nette est-elle néces­saire­ment un dou­ble ?

V. N. : Ce qui est beau dans la mar­i­on­nette, c’est la sor­tie d’homme. Mais ça, l’acteur bien dédou­blé (comme il y a le clavecin bien tem­péré) peut le faire aus­si. L’acteur, au som­met de son art, est une mar­i­on­nette ; il est à la fois le tigre et le domp­teur — on dis­ait ça de Mounet-Sul­ly… Aujourd’hui Dominique Pinon devient sous nos yeux une effigie en bois de Dominique Pinon ; Znyk offre le corps de Znyk ; Agnès Sour­dil­lon est mue par les fils qu’elle tient. L’acteur n’est pas quelqu’un qui s’exprime, mais un dédou­blé, un séparé, un qui assiste à lui, un spec­ta­teur de son corps. Un homme qui va hors d’homme. Au théâtre, c’est tou­jours la sor­tie du corps humain que l’on vient voir. On vient pour l’offrande du corps : corps porté, corps offert, parole portée devant soi. Il y a dans le pan­tin et dans l’acteur véri­ta­ble, l’offrande d’un homme. L’homme hors de lui. Tout théâtre, en petit ou en grand, en castelet ou à Bayreuth, dans Shake­speare ou dans Gugusse, tend vers ce sac­ri­fice, ce don de la fig­ure humaine.

D. P. : L’équilibre, le rythme, la pul­sion. Quel est pour vous, par­mi ces trois mots, celui qui définit le mieux la mar­i­on­nette ?

V. N. : Le rythme, le tra­vail du temps, la chute instan­ta­née.

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