Par le truchement de…
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Par le truchement de…

Le 11 Avr 2002
Article publié pour le numéro
Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives ThéâtralesVoix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
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CE QUI EST AFFIRMÉ de façon sig­ni­fica­tive dans le théâtre de mar­i­on­nettes, c’est que le théâtre est une fab­rique d’artifices, un lieu de manip­u­la­tion où tout objet, y com­pris le corps de l’acteur, y com­pris le texte, a statut de masque. C’est dans l’acte de manip­u­la­tion que se trou­ve la simil­i­tude entre le jeu d’écriture et le jeu de masque, c’est-à-dire cette néces­sité de pren­dre le détour pour dire. Dire le vis­age par le truche­ment du masque c’est lui enlever ce car­ac­tère d’évidence dans lequel nous ont instal­lés nos habi­tudes de per­cep­tion. C’est l’expérience du comé­di­en qui se déshabitue de lui-même pour con­ver­tir ce qui lui est quo­ti­di­en, con­nu, en quelque chose d’inédit, qui s’écarte de toute fig­u­ra­tion sécurisante de lui-même et joue à se per­dre pour mieux se sur­pren­dre à tra­vers le masque, cet autre lui-même à la fois fam­i­li­er et à dis­tance.

Manip­uler le mot comme le comé­di­en manip­ule le masque, c’est en ce sens que se pose, pour moi, la ques­tion de l’écriture. Tra­vailler un matéri­au aus­si com­mun que la langue par laque­lle nous sommes col­lec­tive­ment con­di­tion­nés, c’est con­sid­ér­er que toute manip­u­la­tion de mots a pour ambi­tion non pas d’entériner la vérité des déf­i­ni­tions, de ren­forcer les lim­ites dans lesquelles les mots sont enten­dus et même sous-enten­dus, le cadre dans lequel ils devi­en­nent des demi-mots telle­ment ils sont évi­dents, mais de provo­quer entre eux le choc des ren­con­tres inédites.

La part de détourne­ment que com­porte le tra­vail du mar­i­on­net­tiste obéit à la même volon­té de sor­tir les objets de leurs déf­i­ni­tions, de neu­tralis­er les sig­ni­fi­ca­tions dont ils sont com­muné­ment assor­tis dans le com­merce ordi­naire des hommes, de dégager ain­si un espace où le recy­clage, c’est-à-dire la créa­tion, est ren­du pos­si­ble.

De manière générale, les énigmes que pro­posent les textes con­tem­po­rains aux met­teurs en scènes échap­pent aux cadres d’un théâtre pure­ment nat­u­ral­iste. C’est le cas lorsqu’il s’agit de textes qui ques­tion­nent les moyens de représen­ta­tion jusque dans les lim­ites du corps de l’acteur, ou de ceux qui posent la ques­tion de la représen­ta­tion de la vio­lence ou du sexe. Lorsqu’on con­sid­ère ces quelques didas­calies puisées au hasard dans l’œuvre de Sarah Kane : U le suce ou ils baisent ou il l’en­cule, on peut imag­in­er les lim­ites de leur tra­duc­tion lit­térale, nat­u­ral­iste sur scène, non pour des raisons de cen­sure morale mais sim­ple­ment parce que ce serait ignor­er l’énigme, la vraie ques­tion que dis­simu­lent ces indi­ca­tions volon­taire­ment hyper­réal­istes : explor­er les lim­ites de ce qui, dans la vio­lence ou le sexe, est com­mu­ni­ca­ble au col­lec­tif. Et ceci, /w le truche­ment de…

À une époque où un cer­tain réal­isme télévi­suel, allié au culte du direct, fab­rique des sim­u­lacres d’une réal­ité qui se voudrait trans­par­ente, la mar­i­on­nette a quelque chose à dire sur la néces­sité du jeu par lequel s’opère le retourne­ment qui ren­voie toute évi­dence proclamée à sa part d’opacité, aux ques­tion­nements refoulés dont elle est le résul­tat. Il s’agit de refaire sans cesse au théâtre l’expérience de l’étonnement, et ceci appa­raît comme une urgence dans un con­texte où, comme le dit Lazaro, « le théâtre doute des voies d’un trop grand nat­u­ral­isme ». Une seule injonc­tion : chas­s­er le naturel. Pouss­er le plus loin pos­si­ble la con­fronta­tion avec son dou­ble arti­fi­ciel. Ici, c’est le geste du pres­tidig­i­ta­teur qui s’oppose à celui du mys­tifi­ca­teur. C’est la fic­tion qui s’oppose au sim­u­lacre.

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Écrit par Kossi Efoui
Kos­si Efoui est d’origine togo­laise. Il vit et tra­vaille en France depuis 1990. Il a pub­lié des pièces...Plus d'info
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Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
#72
avril 2002

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