Le ventre des répétitions

Le ventre des répétitions

Le 18 Juil 2002
Sami Frey et Aurélien Recoing dans NATHAN LE SAGE de Gotthold Ephraim Lessing, mise en scène de Denis Marleau, 1997. Photo Brigitte Enguerand.
Sami Frey et Aurélien Recoing dans NATHAN LE SAGE de Gotthold Ephraim Lessing, mise en scène de Denis Marleau, 1997. Photo Brigitte Enguerand.

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Sami Frey et Aurélien Recoing dans NATHAN LE SAGE de Gotthold Ephraim Lessing, mise en scène de Denis Marleau, 1997. Photo Brigitte Enguerand.
Sami Frey et Aurélien Recoing dans NATHAN LE SAGE de Gotthold Ephraim Lessing, mise en scène de Denis Marleau, 1997. Photo Brigitte Enguerand.
Article publié pour le numéro
Modernité de Maeterlick-Couverture du Numéro 73-74 d'Alternatives ThéâtralesModernité de Maeterlick-Couverture du Numéro 73-74 d'Alternatives Théâtrales
73 – 74
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TEL LE « véri­ta­ble por­trait de Mon­sieur Ubu » dess­iné par Alfred Jar­ry, le ven­tre des répéti­tions suit des cir­con­vo­lu­tions. Leur cible con­stitue la créa­tion d’un spec­ta­cle. En juil­let 1997, Denis Mar­leau met en scène NATHAN LE SAGE de Less­ing1 pour l’ouverture dans la cour du Palais des Papes de la 51e édi­tion du fes­ti­val d’Avignon. Les répéti­tions, avec une dis­tri­b­u­tion com­posée de qua­tre acteurs français et de trois québé­cois, ont lieu à Paris et en Avi­gnon sur une péri­ode de deux mois et demi. Le spec­ta­cle con­naît une soix­an­taine de représen­ta­tions en France. En avril 1999, Denis Mar­leau présente à l’Usine C à Mon­tréal, puis en tournée européenne, son adap­ta­tion de textes de Goethe et de Pes­soa : URFAUST, TRAGÉDIE SUBJECTIVE. Les cinq comé­di­ens sont québé­cois, et les trois mois de répéti­tion se sont déroulés à Mon­tréal. En 2000, le directeur artis­tique du Théâtre Ubu met en scène LE PETIT KÖCHEL de Nor­mand Chau­rette, répété dans la même ville et créé au fes­ti­val d’Avignon avec qua­tre actri­ces québé­cois­es. Sur le pre­mier spec­ta­cle, je suis sta­giaire à la mise en scène dans le cadre d’une thèse de doc­tor­at2. Sur les suiv­ants je suis assis­tante à la mise en scène. Nous étions à chaque fois deux assis­tants. J’approfondis alors ma con­nais­sance de l’envers même des répéti­tions dont la soli­tude et les doutes du met­teur en scène, que ma fonc­tion, une ami­tié et une com­plic­ité parta­gent avec lui. Un met­teur en scène a tou­jours plusieurs vis­ages, celui qu’il affiche face aux pro­duc­teurs, qu’il présente au pub­lic, et celui qui gri­mace et rit avec les acteurs et les autres col­lab­o­ra­teurs du spec­ta­cle jusqu’à sou­vent faire tomber le masque. Denis Mar­leau n’y échappe pas. Comme bien des grands met­teurs en scène, il n’est pas tou­jours de bonne foi ; en revanche, il est pro­fondé­ment humain. Plutôt que d’évoquer des méth­odes de répéti­tion, qui impliquent la réitéra­tion d’une struc­ture, par déf­i­ni­tion rigide, d’une organ­i­sa­tion iden­tique et duplic­a­ble, et qui ne ren­dent pas compte de la réal­ité que pro­pose l’originalité de chaque pro­duc­tion, il est ques­tion d’aborder ici quelques invari­ants et leurs cir­con­vo­lu­tions du proces­sus de créa­tion de ces trois spec­ta­cles.

Organ­i­sa­tion générale

Les répéti­tions de NATHAN LE SAGE ont investi une salle appar­tenant au Théâtre du Châtelet à la Man­u­fac­ture des Œil­lets à Ivry-sur-Seine. À Mon­tréal, elles se tenaient dans des lieux loués pour l’occasion par le Théâtre Ubu ; leurs horaires dépendaient d’une organ­i­sa­tion nord-améri­caine. Les comé­di­ens québé­cois, n’étant pas payés pen­dant cette péri­ode (bien que chaque cachet de représen­ta­tion prenne en compte un cer­tain nom­bre de répéti­tions), mènent fréquem­ment plusieurs pro­jets de front pour gag­n­er leur sub­sis­tance. Les horaires des répéti­tions sont donc extrême­ment var­iés à Mon­tréal puisque les disponi­bil­ités de cha­cun doivent se coor­don­ner afin que les per­son­nes puis­sent répéter ensem­ble. Aus­si est-il pos­si­ble de tra­vailler de 9 à 12 heures puis de 17 à 20 heures avec ou sans les mêmes acteurs. Peu sat­is­fait de ce sys­tème, Denis Mar­leau souhaitait le chang­er. Ces horaires con­nais­sent de toute façon des mod­i­fi­ca­tions divers­es les jours précé­dant la pre­mière avec un nom­bre d’heures de tra­vail plus impor­tant, ce qui est pra­tique courante. Si cela ne tenait qu’à lui, comme il le dit en plaisan­tant, Denis Mar­leau répèterait à six heures du matin, ou à sept, après un match de ten­nis.

Atti­tude par rap­port au texte

Dans le cadre d’une tra­duc­tion ou d’une adap­ta­tion, Denis Mar­leau éla­bore un texte en amont des répéti­tions. Cette ver­sion est don­née aux comé­di­ens, comme un texte en devenir. Suite à la pre­mière lec­ture et durant le tra­vail à la table, le met­teur en scène-adap­ta­teur affine sa con­cep­tion artis­tique. Il écoute, réé­coute, ques­tionne, fait inlass­able­ment lire et relire le texte. Il aime d’ailleurs répéter dans la chronolo­gie de la fable pour garder présente la linéar­ité séman­tique de l’œuvre. À cette étape des répéti­tions, il pose peut-être plus de ques­tions qu’il ne four­nit de répons­es, et ces inter­ro­ga­tions en amè­nent d’autres qui par­ticipent d’une réflex­ion dra­maturgique. Il pro­pose des coupures, rajouts, mod­i­fi­ca­tions ter­mi­nologiques et apporte occa­sion­nelle­ment livres et doc­u­ments icono­graphiques. Au fur et à mesure, s’élaborent ain­si plusieurs états du texte. NATHAN LE SAGE et URFAUST, TRAGÉDIE SUBJECTIVE con­naîtront une dizaine de ver­sions cha­cun. L’attitude du met­teur en scène s’avère sen­si­ble­ment la même pour l’écriture con­tem­po­raine. Il encour­age Nor­mand Chau­rette à écrire plusieurs mou­tures avant de présen­ter LE PETIT KÖCHEL dans sa ver­sion défini­tive3 L’auteur est de temps en temps présent aux répéti­tions et l’on n’hésite pas à le ren­con­tr­er pour lui pos­er des ques­tions. En clin d’œil à la pro­duc­tion précé­dente où cela était impos­si­ble, l’on dit qu’on va « télé­phon­er à Goethe ». À l’encontre d’une pos­ture de savoir, Denis Mar­leau préfère celle du non-savoir, comme pour favoris­er une maïeu­tique entre texte, inter­pré­ta­tion et mise en scène, sans se pré­val­oir du rap­port maître/disciple plus répan­du en Europe. Cette manière d’aborder un texte n’a pas été sans dérouter les comé­di­ens français et, de fac­to, a ouvert la porte à des débats. Cer­tains ont par­fois jugé que le met­teur en scène ne savait pas ce qu’il voulait. Au Québec, son per­pétuel ques­tion­nement du texte forge sa répu­ta­tion de met­teur en scène « intel­lectuel ». Pour lui, à l’instar de Roland Barthes, il appa­raît qu’« inter­préter un texte, ce n’est pas lui don­ner un sens (plus ou moins fondé, plus ou moins libre), c’est au con­traire appréci­er de quel pluriel il est fait4 ». Si Denis Mar­leau pra­tique le non-savoir, il pra­tique aus­si le non-pou­voir. Et bien que cer­tains manuels de théâtre affir­ment que « This posi­tion of knowl­edge is essen­tial to a posi­tion of author­i­ty as the guid­ing force for the pro­duc­tion5 », ce n’est pas for­cé­ment le cas d’un met­teur en scène qui inter­roge son savoir et son pou­voir, sans pour autant renon­cer à toute rigueur et autorité.

Sami Frey et Aurélien Recoing dans NATHAN LE SAGE de Gotthold Ephraim Lessing, mise en scène de Denis Marleau, 1997. Photo Brigitte Enguerand.
Sami Frey et Aurélien Reco­ing dans NATHAN LE SAGE de Got­thold Ephraim Less­ing, mise en scène de Denis Mar­leau, 1997. Pho­to Brigitte Enguerand.
Paul Savoie, Albert Millaire et Daniel Parent dans URFAUST, TRAGÉDIE SUBJECTIVE d'après Goethe et Fernando Pessoa, mise en scène de Denis Marleau, 1999. Photo Richard-Max Tremblay.
Paul Savoie, Albert Mil­laire et Daniel Par­ent dans URFAUST, TRAGÉDIE SUBJECTIVE d’après Goethe et Fer­nan­do Pes­soa, mise en scène de Denis Mar­leau, 1999. Pho­to Richard-Max Trem­blay.

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Sophie Proust
Sophie Proust est maître de conférences en Arts du spectacle (Théâtre) et chercheur au CEAC...Plus d'info
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