LA MISE EN SCÈNE doit faire travailler le texte plus que l’incarner. Qu pour le dire autrement : avec ce type de texte, il s’agit de mettre en scène autant l’énonciation que l’énoncé. (…) D’autres possibles scéniques que la matérialisation du contenu s’ouvrent à la mise en scène et au jeu de l’acteur.
Jean-Marie Piemme, Pour un théâtre littéral.
Notes / Jacques Vincey
Il est question de chair et de guerre.
De peau :— sensualité
— déchirure
…fragilité.
Il est question de langues : — qui unissent « la pointe de ta langue, je la sens sur mon cou »
— qui séparent « un territoire plusieurs langues ».
Langues contre langues.
Il est question de territoires — privés/publics
— du « jour où l’ennemi passe la frontière ».
Il est question de frontières : — physiques : corps, pays
— mentales : transgression, trahison.
Pistes pour un traitement…
Mettre le spectateur en situation de ressentir intimement cette notion de frontière, l’inciter à se positionner physiquement dans l’espace et mentalement dans la fiction.
Bouleverser les codes habituels de représentation en plaçant le spectateur au cœur du dispositif.
Dispositif : trois écrans posés au sol, trois chaises pour les trois musiciens. Dans cet espace les spectateurs sont libres de se déplacer comme ils l’entendent. Ils devront néanmoins prendre position par rapport :
— aux voix, aux sons, à la musique ;
— aux images ;
— aux autres spectateurs.
Trois voix pour les trois personnages : Hl, H2, H3.
Ces voix sont enregistrées. Elles auront fait l’objet d’un travail préalable avec des comédiens. Travail sur la matière du texte : souffle, rythme, musicalité.
Les sons et la musique s’inscrivent en contrepoint de cette partition préalable et ouvrent de nouvelles perspectives de sens.
Les images répercutent l’écho de ce matériau sonore. Elles interrogent la transmission de la parole par des corps physiquement absents et remettent en cause les frontières qui cloisonnent la fiction et ses représentations.
Notes / Trois 8
Souffle coupé, c’est l’histoire d’un drame de guerre raconté par trois voix.
Derrière, à côté, avec, devant, on entend le bruit du monde, des sons, de la musique.
La pièce débute par un mouvement musical, puis on entend des voix Hl, H2, H3 amplifiées, enregistrées.
Le pari est là. Travailler à partir d’un enregistrement du texte. Précis, tranchant, brut comme la langue de Piemme. Pour autant, les corps ne sont pas évacués.
Trois musiciens sont là et jouent une musique en train de se faire, en partie improvisée.
Peut-être s’agit-il de Hl, H2, H3 qui écoutent cette histoire, leur histoire, après l’avoir racontée, comme un écho des corps qui ont porté le drame ?
La musique installe des pauses, ricoche sur les mots ou se fait discrète, en grondement sourd au lointain comme le roulement du monde face au souffle coupé des destins.
Notes / Fabien Rigobert
Jean-Marie Piemme nous dit : « Des acteurs pourvu qu’ils soient bons musiciens ou des musiciens pourvu qu’ils soient bons acteurs ».
Jacques Vincey propose de travailler avec trois musiciens présents et trois voix d’acteurs enregistrées disant le texte.
Je propose de perpétrer le trouble de la présence / absence des corps.
Les acteurs sont virtuellement présents et apparaissent à l’échelle 1 dans l’espace sur des écrans vidéos.
Ils apparaissent / disparaissent sur les écrans, ils circulent d’un écran à l’autre.
Le corps du musicien accompagne le corps de l’acteur ou le corps de l’acteur accompagne le corps du musicien. Ils font ensemble un corps, celui du transmetteur.
L’acteur est debout, il dit le texte. Il apparaît parfois muet en semi-transparence, ce qui lui donne une présence improbable, intemporelle, fantomatique. Une image virtuelle de la mémoire ou d’une vision, celle de la distance avec le réel. Ils ne sont pas avec nous, puis présents, ils s’adressent à nous, le corps ne disparaît jamais totalement, il est traité en semi-opacité par rapport aux objets figurant dans l’image.
Il naît ici dans le dispositif des images une fiction, celle de la présence de ces corps absents.

