Le texte, un matériau à travailler

Le texte, un matériau à travailler

Entretien avec Jean-Marie Piemme

Le 17 Oct 2002

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Jean-Marie Piemme-Couverture du Numéro 75 d'Alternatives ThéâtralesJean-Marie Piemme-Couverture du Numéro 75 d'Alternatives Théâtrales
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Alexan­dre Koutchevsky : Com­ment es-tu entré en con­tact avec l’écriture de Roland Fichet ?

Jean-Marie Piemme : Je crois que la pre­mière pièce de Roland que j’ai lue, c’est De la paille pour mémoire. Elle m’a à la fois séduit et éton­né. Séduit parce que j’ai bien aimé la façon dont tout ça était traité. Et éton­né parce que ce sont des thé­ma­tiques qui m’étaient assez étrangères d’une cer­taine façon.

Marine Bach­e­lot : A l’époque, tu en es où dans ton par­cours ?

J.-M. P. : Pas très loin, j’ai com­mencé à écrire rel­a­tive­ment tard, puisque j’ai écrit ma pre­mière pièce en 1986. Après ça je crois que j’en ai encore écrit deux. Je devais en être à ma troisième pièce. Représen­tées toutes les trois. Mais je n’en étais pas moi-même à trop bien savoir — enfin je ne gère pas mon tra­jet d’écriture comme un général d’armée ses troupes.Je cher­chais des direc­tions, je ne savais pas trop bien quelles étaient mes poten­tial­ités ou mes pos­si­bil­ités d’écriture.J’étais au fond dans un démar­rage réel, j’avais écrit trois pièces et elles étaient représen­tées. Et puis j’avais der­rière moi un passé de dra­maturge. Mais sur le plan de l’écriture, il faut dire que ça m’a fait un bien énorme de ren­con­tr­er d’autres auteurs, de ren­con­tr­er les paroles de met­teurs en scène égale­ment sur les auteurs con­tem­po­rains. Tout ça m’a con­sid­érable­ment stim­ulé, m’a un peu désen­clavé égale­ment. Main­tenant, à Brux­elles, il y a pas mal de gens qui écrivent du théâtre, mais au moment où moi j’ai com­mencé, en 1986, finale­ment, il n’y en avait plus telle­ment. On était un peu dans le creux de la vague de l’écriture. Quand j’ai com­mencé à écrire, on ne peut pas dire qu’on pou­vait se ren­con­tr­er fréquem­ment ente auteurs à Brux­elles. Ça m’a désen­clavé cer­taine­ment. Et puis, je ne sais pas, ça a don­né de la dialec­tique — enfin, ça a don­né du regard, de l’envie, du désir, tout ça, une may­on­naise qui finit par pren­dre. Et on se trou­ve embar­qué dans une aven­ture dont on ne sait pas soi-même où elle abouti­ra, mais on sent qu’on a envie d’aller quelque part ensem­ble, de faire un bout de chemin.

A. K. : Te sou­viens-tu d’une ren­con­tre en par­ti­c­uli­er ? Y a‑t-il une idée qui t’est restée de la semaine de ren­con­tre à Binic ?

J.-M. P. : Oui, je me rap­pelle des con­tacts que j’ai pu avoir avec Roland, où juste­ment il par­lait de la néces­sité de se rassem­bler, non pas de se rassem­bler comme une école qui aurait la même base de tra­vail, qui penserait la même chose sur le théâtre, mais de se rassem­bler dans une exi­gence commune.J’avais eu aus­si des con­ver­sa­tions avec Aza­ma ; il était en bal­ance, lui aus­si, entre sa fonc­tion de dra­maturge à Dijon et sa fonc­tion d’auteur et s’interrogeait sur le chemin qu’il souhaitait pren­dre. « Quel genre de choix fait-on ? N’y a‑t-il pas des choix à faire lorsqu’on décide d’écrire ?» Il y a des gens qui peu­vent men­er beau­coup d’opérations de front, tant mieux pour eux.Je ne veux pas dire qu’il y a un mod­èle, mais en ce qui me con­cerne, il fal­lait que je fasse un choix.J’ai fait un choix très vio­lent quand j’ai com­mencé à écrire, non seule­ment j’ai quit­té mon méti­er à l’opéra, ce qui sur le plan financier posait un cer­tain nom­bre de prob­lèmes, mais de sur­croît, j’ai décidé de ne plus faire de dra­maturgie du tout. C’est-à-dire de ne plus écrire une ligne de « théorie » entre guillemets… On a beau­coup dis­cuté à Binic de ce que pou­vait être l’écriture en général, et l’écriture de cha­cun. Ecrire n’est pas seule­ment un acte de con­fronta­tion entre soi et la machine, c’est aus­si une rela­tion à d’autres écrivains, une rela­tion à des écrivains d’avant et des écrivains pos­si­bles d’après. Tous ces prob­lèmes-là nous avaient quand même pas mal agités à Binic à cette époque.

A. K. : Cette pre­mière ren­con­tre de juin 1991 a duré toute une semaine et il y avait pas mal de monde.

J.-M. P. : Il y avait à Binic cette semaine-là des auteurs, des met­teurs en scène, des tra­duc­teurs, tous con­cernés par les ques­tions que pose l’écriture dra­ma­tique d’aujourd’hui : Pas­cal Ram­bert, Thier­ry Bédart, Robert Cantarel­la, Cather­ine Anne, André Markowitz, Françoise Mor­van, Mar­cel Del­val, Michel Aza­ma, Nor­dine Lalou…

A. K. : Et la thé­ma­tique que pro­pose Roland Fichet, juste après la semaine de Binic de 1991 ? Te rap­pelles-tu com­ment il vous amène ça et com­ment tu prends cette idée de « nais­sances » ?

J.-M. P. : Au départ, ça passe par un coup de télé­phone. Roland me dit : « Tu pour­rais faire un réc­it de nais­sance ?» À ce moment-là, je ne mesure pas toute l’ampleur de la chose.Je n’imagine pas que ça va exis­ter dix ans, qu’il va y avoir tous ces auteurs qui se ren­con­trent, ces manifestations.Je me dis, oui, pourquoi pas, sans avoir vrai­ment d’idée ni sur ce que ça sig­ni­fie, ni sur ce que ça implique. Et ça tombe au moment où je suis en train d’écrire Le Badge de Lénine, je m’en sou­viens très bien. Il y a un cer­tain ton, un cer­tain humour dans Le Badge de Lénine. Et finale­ment, dans la foulée du Badge, je vais écrire Réc­it de ma nais­sance, qui est au fond un petit réc­it — com­ment dire ? — acci­den­telle­ment court, volon­taire­ment court ; enfin c’est la même chose ; c’est-à-dire que je ne cherche pas à faire une forme courte ; je fais quelque chose qui dure cinq min­utes. Mais au fond, à ce moment-là, je pour­rais aus­si faire cent cinquante pages sur ma nais­sance ; je ne serais pas le pre­mier qui l’eût fait. Donc ça dure cinq min­utes, parce qu’il faut que ça dure cinq min­utes, ou en tout cas que ce ne soit pas trop long. Mais je n’ai pas de volon­té de chercher ce qu’est une pièce courte ; j’écris un petit mono­logue, dont je ne sais d’ailleurs pas très bien s’il plaira à Roland, si c’est la chose qu’il cherche.Je fais ce que je fais, voilà.Je ne m’interroge pas longue­ment sur ce que ça sig­ni­fie d’écrire sur la nais­sance. J’ai une idée, je la développe, je la fais fonc­tion­ner, je l’envoie par la poste.Je reçois des nou­velles un peu plus tard : « Ça passe bien ».J’apprends que c’est un des pre­miers textes qui arrive. Les choses s’enclenchent comme ça. Il y a tout à coup quelque chose qui se noue — tou­jours cette idée du lien, du nœud, de la may­on­naise qui prend.

M. B. : C’est la pre­mière fois que tu réagis à une com­mande ?

J.-M. P. : Oui, effectivement.Jusque-là, les trois pièces que j’ai écrites sont des pièces que j’ai décidé d’écrire, écrites en toute lib­erté, sans con­trainte par­ti­c­ulière. On ne me demande d’ailleurs pas du tout un mono­logue, parce que c’est un mono­logue. Roland m’a dit « un texte sur la nais­sance ». Et a pri­ori je fais ça dans une forme qui est, d’une cer­taine façon, peu théâ­trale, si on veut. Le mono­logue c’est tou­jours un peu théâ­tral, mais… C’est pour ça que je dis que le point de départ a été vrai­ment la con­jonc­tion entre la propo­si­tion de Roland et le fait que j’étais enchâssé dans une écri­t­ure du Badge de Lénine. Réc­it de ma nais­sance est une espèce d’effet col­latéral de la com­mande et de l’écriture. Mais ça ne cor­re­spond pas à un mode d’interrogation, ni sur la nais­sance en par­ti­c­uli­er, ni sur le fait d’écrire court, ni for­cé­ment sur le fait qu’il va exis­ter, plus tard un événe­ment « Réc­its de Nais­sance » qui va pren­dre des vis­ages, des fig­ures très dif­férentes.

A. K. : Et la thé­ma­tique en elle-même, est-ce quelle te par­le ou pas du tout ? Ou est-ce qu’elle est sim­ple­ment le résul­tat de cette con­jonc­tion ?

J.-M. P. :J’ai a pri­ori — sans avoir exploré la chose de manière par­ti­c­ulière — une bonne rela­tion à ce sujet. Nais­sance c’est un mot qui me sem­ble à la fois con­juguer beau­coup de choses, aus­si bien au niveau de l’anecdote que du mythe, quelque chose qui fait penser, for­cé­ment, au sur­gisse­ment, au change­ment de voix (voie ?), au prob­lème de généra­tion, au temps. Je sens intu­itive­ment qu’il y a là quelque chose qui me plaît bien et que ce n’est pas un thème qui va tout à coup se refer­mer, s’assécher, qu’entre le mot dans sa fac­tu­al­ité et toutes les con­no­ta­tions qu’il entraîne, il y a au con­traire une large place pour que tout à coup une com­mande soit aus­si quelque chose qui m’appartienne à moi.Je n’aimerais pas répon­dre à des com­man­des qui ne me con­cer­nent pas vraiment.J’aime beau­coup la com­mande, c’est très stim­u­lant, parce qu’au moins quelqu’un vous désire, désire quelque chose de vous, vous parle.Je trou­ve ça extrême­ment impor­tant ; mais il ne faut pas que ça devi­enne une espèce de sys­tème de dévoiement de ce qu’on veut écrire. Il ne faut pas que la com­mande me traîne dans des lieux qui ne sont pas les miens. Mon prob­lème, c’est de trou­ver dans la com­mande ce qui résonne intime­ment chez moi, pour pou­voir l’accomplir. Mais je ne l’accomplis donc qu’à ma façon. Bizarrement, je ne peux répon­dre à la com­mande de l’autre qu’en la faisant mienne, au sens où peut-être même je vais d’une cer­taine façon déroger aux principes qui m’ont été don­nés. Cela dit, moi ça m’arrange bien. Et dès l’instant où, tout à coup, elle rejoint une thé­ma­tique dont je pressens, effec­tive­ment, qu’elle est ouverte, alors je trou­ve ça pro­duc­tif.

M. B. : Et la réponse à la sec­onde com­mande : Ce qui naît, ce qui meurt, est-ce plus dif­fi­cile ?

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