Piemme, un pessimiste joyeux

Piemme, un pessimiste joyeux

Le 22 Oct 2002

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Jean-Marie Piemme-Couverture du Numéro 75 d'Alternatives ThéâtralesJean-Marie Piemme-Couverture du Numéro 75 d'Alternatives Théâtrales
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EN FAIT, j’avais déjà lu des pièces de Piemme. Scan­daleuses, Pièces d’identités… J’avais aimé. Et puis j’avais tourné la page. Pas mûr. Pas encore. C’est en cher­chant un texte qui par­le d’économie que je suis retombé sur une autre pièce de lui : Com­merce gour­mand.
Et là, c’est le déclic. L’écriture n’est pas seule­ment belle, elle dégage une énergie mor­dante, donne corps à tous les per­son­nages sans en lés­er aucun, nous plonge au cœur de nos con­tra­dic­tions en nous don­nant envie de réa­gir.
Et puis autre chose : jamais de cat­a­strophisme, de fin défini­tive, même la fin appelle un nou­veau départ. Aus­si noirs, aus­si cyniques que soient les per­son­nages (ce ne sont jamais des enfants de chœur !), il y a tou­jours en eux une rage, une énergie joyeuse qui les (qui nous ?) empêche de camper sur place.
Alors je me dis que je dois ren­con­tr­er Piemme.
J’apprends qu’il y a une con­férence dans laque­lle il inter­vient.
J’y vais. Il y a un autre écrivain qui par­le. Un homme qui croy­ait en une cause et qui a été déçu. Un opti­miste triste. Je pense à Piemme. Je me dis qu’il est un peu à l’inverse : un pes­simiste. Un pes­simiste joyeux. Quelqu’un qui n’a pas peur de déchir­er le lan­gage avec les dents. De faire sor­tir la moelle des mots. Alors je l’appelle et je lui demande tous ses textes. Sans excep­tion.
Le deux­ième déclic, c’est à la lec­ture de Peep SHOW. Un seul per­son­nage. Une femme : elle est mag­nifique. Sa rage : com­mu­nica­tive. Je pense en souri­ant que si Faust exis­tait aujourd’hui, ce serait une femme. Cette femme-là.
J’en par­le avec lui. Je lui dis que j’aimerais qu’il m’écrive un Faust. Repos­er la ques­tion de la morale aujourd’hui. Dans cette péri­ode encline au retour des valeurs.
Mal­gré l’énormité du défi, il accepte.
Le troisième déclic vien­dra plus tard, après la lec­ture de tous ses textes. Avec la cer­ti­tude que je n’ai pas fini d’y décou­vrir des choses. J’avais mon­té plusieurs pièces un peu éclatées, baro­ques, et je trou­vais que cer­taines de ses pièces s’en rap­prochaient beau­coup. Je n’avais pas encore com­pris que Piemme mélangeait les gen­res pour en finir avec le baroque, avec cette per­ma­nente mise à plat, ce niv­elle­ment que nous vivons quo­ti­di­en­nement.
C’est pour tout cela (et pour tout ce que je décou­vri­rai encore) que je n’ai pas voulu « met­tre en pièce » le théâtre de Piemme, que je me suis refusé au zap­ping habituel pour creuser plus loin dans son univers (car au fond, ce n’est pas l’enfer, c’est le con­traire, dis­ait Niet­zsche) et me suis décidé à con­stru­ire avec mon équipe cinq « objets » théâ­traux met­tant en avant la richesse de son écri­t­ure dans des rap­ports publics extrême­ment dif­férents, allant de l’intimité de Peep Show au théâtre de foire de Ciel et Sim­u­lacre.

Tra­vail­lons, soyons impec­ca­bles :
Ça emmerdera ce vieux monde.

Et puis très vite, nous nous sommes mis au tra­vail.

Pre­mière étape : une semaine croisée entre l’équipe Éphéméride et les élèves du Con­ser­va­toire de Rouen, qua­tre groupes que Mau­rice Attias dirige avec moi.
Con­stat d’une langue qui séduit beau­coup les acteurs, des per­son­nages qui les attirent immé­di­ate­ment mais qu’ils ont finale­ment du mal à cern­er du fait des rup­tures, des change­ments d’adresse. De là, l’évidence que les per­son­nages ne se lais­sent pas réduire. Quelle que soit la façon dont on les regarde, il y a tou­jours une part d’eux-mêmes qui nous échappe. Autre con­stat : il s’agit d’un théâtre qui ne se cache pas, qui se revendique comme tel en se jouant de lui-même, mélangeant la façon dont il est joué et dont il est reçu. Ici, acteurs et spec­ta­teurs ne sont jamais instal­lés sur des cer­ti­tudes. Pour ce théâtre-là, il leur faut l’énergie incon­séquente de la jeunesse et le regard aigu­isé de celui qui en a vu d’autres. Con­tra­dic­toire a pri­ori, mais finale­ment, est-ce vrai­ment con­tra­dic­toire ?

Deux­ième étape : deux semaines de chantier sur Peep Show avec une actrice (Car­o­line Fil­ipek), un vidéaste (Dominique Wit­tors­ki), un scéno­graphe (Ludovic Bil­ly) et moi-même. Et cette ques­tion revient à nou­veau sur le tapis : com­ment associ­er dans le jeu fougue et maîtrise de soi ? Pour jouer ce texte, il faut que l’actrice soit à la fois insai­siss­able et franche, rageuse et incroy­able­ment mature. « J’ai épuisé les joies des posi­tions clas­siques », nous dit-elle. Que ce soit vrai ou non, il faut tout de même un sacré aplomb pour dire une chose pareille ! Rage et matu­rité, jeu qui peut aller jusqu’à l’excès tout en étant capa­ble de se moquer de lui-même, c’est cer­taine­ment un dif­fi­cile numéro d’équilibriste pour l’actrice qui, quand il est maîtrisé, nous laisse sans voix. Et quand s’ajoutent à cela les images des fan­tasmes, soit pro­jetées sur grand écran comme des palettes de couleur soit sor­tant avec cru­dité de l’écran de télévi­sion, le choc en est décu­plé.
À la suite d’une présen­ta­tion, un met­teur en scène me dit : ce sont des fan­tasmes mas­culins. Je lui réponds que oui. Que pré­cisé­ment oui. Cette femme joue les fan­tasmes mas­culins, et si elle les joue, c’est pour mon­tr­er leur lim­ite, la pau­vreté de leur imag­i­na­tion. Elle va telle­ment plus loin (jusqu’à jouer le rôle de l’homme) qu’elle finit par nous met­tre dans une sit­u­a­tion très incon­fort­able. Notre silence ne mon­trant que notre inca­pac­ité à faire face à sa demande, plus forte, plus exigeante aus­si. Entière.

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Écrit par Patrick Verschueren
Patrick Ver­schueren est comé­di­en, met­teur en scène et directeur du Théâtre Éphéméride à Rouen. Il a mis en...Plus d'info
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