Les chaises ou le chœur absent

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Les chaises ou le chœur absent

Le 3 Oct 2003
Article publié pour le numéro
Choralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives ThéâtralesChoralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives Théâtrales
76 – 77
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UNE AMIE GRECQUE m’offre le petit livre sur HAMLET mis en scène à Athènes par Michael Mar­mari­nos et, en le feuil­letant, sur la ter­rasse d’un café, une pho­to, comme une petite révéla­tion, s’impose : rien que des chais­es, chais­es vides soigneuse­ment rangées. Cela me rap­pelle brusque­ment LES CHAISES de Ionesco vues cet été à Avi­gnon où, à la fin, le met­teur en scène Alain Timar fai­sait avancer des dizaines de chais­es, vertes, rouges, blanch­es, cassées, dépareil­lées, des chais­es, des chais­es, comme jadis dans un poème célèbre Edgar Allan Poe cri­ait obses­sionelle­ment « Des cloches, des cloches ». Ici aus­si les chais­es défer­laient, se dis­per­saient, encom­braient le plateau tout entier… D’un côté l’ordre des chais­es de l’HAMLET grec, de l’autre la pro­liféra­tion ione­sci­enne… pour dire autrement, et en même temps affirmer la com­mu­nauté invis­i­ble. Non pas une com­mu­nauté à venir, mais une autre, absente. Elles sont la preuve d’un chœur man­quant.

Dans l’ORESTIE de Peter Stein, les vieil­lards vêtus de cos­tumes défraîchis et cou­verts de cha­peaux défor­més s’installaient sur des chais­es autour d’une longue table. Pour ensuite les quit­ter, les regag­n­er, jouer avec ces formes immo­biles qui sem­blaient, impas­si­ble­ment, les atten­dre. Les chais­es, depuis, sont dev­enues la cristalli­sa­tion scénique du chœur. Jean – Paul Cham­bas, plus tard dans ŒDIPE mis en scène par Jean-Pierre Vin­cent, s’en inspi­rait et accrochait dans les cin­tres des chais­es peintes en bleu. Afin de dire, une fois encore, que les chais­es ren­voient à la com­mu­nauté du chœur. Et ain­si, de plus en plus sou­vent, du sym­bole de l’attente, ce que furent les chais­es dans l’intuition orig­i­nale de Ionesco reprise ensuite par Strehler dans sa CERISAIE où, lors de la scène du bal c’est encore à l’aide de chais­es vides qu’il tradui­sait l’angoisse du résul­tat de la vente, elles se con­ver­tis­sent en sym­bole d’une absence, celle d’un chœur de témoins qui s’est retiré pour vouer les pro­tag­o­nistes à la soli­tude de leurs des­tins. Comme dans PHÈDRE de Chéreau où des chais­es dis­parates, dis­posées pareilles à des mots gri­bouil­lés en bas d’une page frois­sée, dis­ent juste­ment la dis­pari­tion du chœur qui aurait pu accom­pa­g­n­er ou apais­er les pro­tag­o­nistes. Mais ils sont seuls, leur tragédie n’a pas d’écho. Per­son­ne ne la com­mente, les chais­es restent vides. Le chœur fait défaut. Et pour­tant il aurait tant pu les aider.

Et l’extraordinaire CAFÉ MÜLLER de Pina Bausch ne par­ticipe-t-il pas de la même mou­vance ? La douleur se dit par­mi et à tra­vers des chais­es que l’on ren­verse ou bous­cule, comme si on s’affrontait à une insup­port­able absence qui rend la douleur chao­tique et désor­don­née. Les clients se sont retirés, les parte­naires man­quent, il ne reste que ces chais­es qui n’ont pas de cesse à ren­dre présente une « absence ». Ain­si le vide s’installe là où tout lais­sait sup­pos­er que l’on allait trou­ver l’apaisement d’un chœur de sou­tien.

Aux chais­es de l’attente suc­cè­dent les chais­es de l’absence. Elles ren­voient à un chœur qui a déserté les héros pour les vouer à leur voca­tion trag­ique. Le monde s’est vidé et la réso­nance du chœur s’est tue. Sur le plateau ne survit plus que la trace de sa récon­for­t­ante présence de jadis. Le silence d’une absence.

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Écrit par Georges Banu
Écrivain, essay­iste et uni­ver­si­taire, Georges Banu a pub­lié de nom­breux ouvrages sur le théâtre, dont récemment La porte...Plus d'info
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