Introduction

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Introduction

Le 23 Oct 2003
Article publié pour le numéro
Choralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives ThéâtralesChoralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives Théâtrales
76 – 77
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…Gémit Faust dans le sar­cophage de Goethe à Weimar Par la voix brisée d’Einar Schleef
Qui fait répéter ses chœurs dans le crâne de Schiller

Hein­er Müller, AJAX PAR EXEMPLE

SCÉNOGRAPHE, pein­tre, écrivain, Schleef, dis­paru l’an dernier, est passé à la mise en scène dans la pre­mière moitié des années 70. Ses trois mis­es en scène d’alors au Berlin­er Ensem­ble (en col­lab­o­ra­tion avec B. K. Tragelehn) et l’hostilité des autorités est-alle­man­des à leur égard ont con­duit au pas­sage de Schleef en RFA. Ce n’est qu’en 1986 qu’il est revenu au théâtre, avec une œuvre chorale inspirée des tragédies grec­ques, MÈRES.

« Mon pro­jet de per­me­t­tre au chœur, à la com­mu- nauté de ceux qui tra­vail­lent ensem­ble, à la com­mu­nauté des per­son­nages qui par­lent une seule langue, celle de l’auteur, d’entrer à nou­veau sur la scène se heurte à des réac­tions par­ti­c­ulière­ment vio­lentes et à un refus général. Dès que j’ai com­mencé à tra­vailler comme met­teur en scène en RFA, on m’a traité de fas­ciste. Ce juge­ment a con­duit à mon ban­nisse­ment du train-train théâ­tral et à un chô­mage for­cé de plusieurs années. Et même si aujourd’hui aucune mise en scène chorale ne peut exis­ter sans se con­fron­ter au canon de formes que j’ai pro­posé, le geste orig­i­nal n’apparaît plus, le prob­lème du chœur en sort tout émoussé et banal : il faut surtout que la force poli­tique qui habite aujourd’hui le chœur n’apparaisse pas. Si les chœurs de femmes ne furent pas réha­bil­ités en RFA après ma mise en scène de MÈRES, cela ne tient pas au manque de pièces appro­priées, comme le pré­ten­dent les gens de théâtre, mais au sim­ple fait que, comme le dit un spec­ta­teur, un homme ne peut sup­port­er 53 femmes en train de crier en même temps. »

Schleef a encore mis en scène cinq pièces à Franc­fort, avant de provo­quer une nou­velle tem­pête par son retour en 1993 au Berlin­er Ensem­ble sous la direc­tion (et pro­tec­tion) de Hein­er Müller. La pièce satirique de Rolf Hochhuth, WESSIS IN WEIMAR, y devint un chœur assour­dis­sant de sol­dats en marche, comme la pièce d’Elfriede Jelinek, SPORTSTÜCK, sor­tit mécon­naiss­able d’un spec­ta­cle de sept heures don­né au Burgth­e­ater de Vienne. Mal­gré les polémiques, Schleef était ces dernières années recon­nu comme un des artistes les plus impor­tants des scènes alle­man­des, accu­mu­lant les dis­tinc­tions comme met­teur en scène, acteur, voire auteur de l’année (comme pour sa pièce TROMPETTES DES MORTS en 1995).

Schleef con­stru­i­sait peu à peu un par­cours autour de la ques­tion du chœur et des dif­férentes formes chorales. Pour lui, les pièces du théâtre alle­mand clas­sique se fondent secrète­ment sur un chœur de can­ni­bales, car elles met­tent en scène « la drogue, sa déf­i­ni­tion et son absorp­tion rit­uelle en groupe » : « La prise de drogue telle qu’elle est util­isée par les auteurs alle­mands invoque la pre­mière absorp­tion de drogue « chorale » de notre cul­ture : Ceci est mon corps. Ceci est mon sang. Les pièces alle­man­des con­stru­isent des vari­a­tions sur le motif de la Cène et la néces­sité de la drogue, analy­sent la teneur et la quan­tité de cette drogue, sa prise par un chœur et l’individuation d’un mem­bre du chœur à la suite d’une trahi­son. Celle-ci sera « payée de sang»… La drogue est en fait le sang lui-même et c’est la perte de sang, la perte de vie, qui est le thème de la Cène, l’adaptation chré­ti­enne de rites can­ni­bales païens, dans laque­lle est thé­ma­tisé le proces­sus d’individuation, le sui­cide de Judas, l’auto exclu­sion d’un des mangeurs de la com­mu­nauté de la table. »

De FAUST à PARSIFAL, et jusqu’à Brecht, Schleef a suivi les dif­férentes vari­a­tions de ce motif, étrange­ment accom­pa­g­né de la liq­ui­da­tion du per­son­nage féminin. « Le refoule­ment de la femme et le refoule­ment du chœur sont étroite­ment liés à l’expulsion de la con­science trag­ique : cette dernière, si elle entrait de nou­veau en scène, serait le domaine de la femme, et nos démêlé avec cette reven­di­ca­tion est le con­flit tenace qui occupe jusqu’au théâtre d’opérette. La place que lais­sent encore les auteurs antiques à la femme, c’est-à-dire la représen­ta­tion en détails de sa défaite, cette place lui est large­ment refusée par le théâtre clas­sique alle­mand. Héritage acca­blant : les clas­siques de la lit­téra­ture alle­mande ne peu­vent con­cevoir le chœur, la pen­sée chorale, l’union dans le chœur que comme une affaire d’hommes. Cette con­cep­tion déter­mine bru­tale­ment, encore aujourd’hui, les prob­lèmes de dis­tri­b­u­tion et de réper­toire de nos théâtres. L’union en un chœur, la déf­i­ni­tion des per­son­nages comme chœur, sup­pose dans sa con­cep­tion bour­geoise l’exclusion de la femme puisque cette dernière per­turbe la prise de drogue. » Schleef a sou­vent mis en scène « la forme chorale mas­cu­line, elle qui ne se com­prend pas comme telle,… mais use avec bru­tal­ité de tous les avan­tages de la forme chorale et procède au recrute­ment d’une com­mu­nauté de chas­seurs pour con­trôler le ter­ri­toire qu’elle a con­quis. »

Irène Bon­naud.

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Écrit par Irène Bonnaud
Irène Bon­naud a récemment mis en scène TRACTEUR, de Hein­er Müller (Vidy Lau­sanne, Théâtre de la Bastille, 2003)....Plus d'info
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