Peter Brook : OUBLIER LE TEMPS, un livre de formation
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Peter Brook : OUBLIER LE TEMPS, un livre de formation

Le 1 Oct 2003

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Choralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives ThéâtralesChoralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives Théâtrales
76 – 77

« IL Y A QUELQUES ANNÉES j’ai acheté une vieille édi­tion de Marc Aurèle qui por­tait la dédi­cace : « Qu’il vous soit l’ami des heures dif­fi­ciles et qu’il vous sou­ti­enne comme il m’a soutenue »

Je ne con­nais pas, appliqué à un livre, d’éloge plus beau que cet « ami des heures dif­fi­ciles ».

Cio­ran – les Cahiers

Ces lignes de Cio­ran, je les ai para­phrasées pour la dédi­cace écrite sur le livre de Peter Brook que j’offrais à un ami et c’est avec elles aus­si que je débute ce mod­este compte-ren­du. Ce livre, pour moi, n’est pas arrivé à des « heures dif­fi­ciles », mais à des « heures incer­taines » quand l’envie de s’éloigner pointe et la panne per­son­nelle men­ace. Il devint vite un livre néces­saire qui me plai­sait de lire lente­ment afin de m’arrêter à chaque sta­tion car OUBLIER LE TEMPS, je l’ai vite com­pris, est un livre de for­ma­tion. Un Bil­dungsro­man où le pro­tag­o­niste, en se délestant des acci­dents et per­son­nages épisodiques, mar­que les événe­ments essen­tiels et dégage l’enseigne- ment qu’il en a tiré. Ici, comme dans toute aven­ture de for­ma­tion, chaque étape a sa rai­son d’être et le met­teur en scène en fait un point de repère pour le par­cours accom­pli. Ain­si Brook des­sine en rac­cour­ci les chemins emprun­tés et les choix opérés pour arriv­er à la voie actuelle. OUBLIER LE TEMPS nour­rit et il m’a nour­ri. Pour­tant une méfi­ance prélu­dait à la lec­ture car une amie friande plutôt de « biographique » dans le sens com­mun du terme m’avait prévenu : « Peter he will die with his secrets ». Aujourd’hui, la dernière page achevée, ce n’est guère le sen­ti­ment de l’ombre ou de la dis­sim­u­la­tion qui l’emporte, mais celui de la lumière pro­gres­sive, acquise au prix des efforts et de ces remis­es en ques­tion que Brook n’a jamais cessé de pra­ti­quer. – actiques de répéti­tion que le lecteur peut faire siens et ain­si élargir son pro­pre champ. Ain­si l’artiste et l’artisan se relaient tout au long de ce retour sur soi. Si Brook met­tait sous le signe de « l’espace vide » son pre­mier grand livre il place celui-ci sous le signe du « temps » pour con­clure, en esprit faustien, sur l’éloge de l’instant. « Être présent », terme ultime de tout par­cours de for­ma­tion.

Un jour lumineux de 11 novem­bre Peter Brook lui-même me mon­trait quelques extraits de sa ren­con­tre filmée avec Gor­don Craig : il était engagé, puis­sant, direct, con­va­in­cu de l’utilité de ses actes. Ce jeune homme auquel rien ne résiste – il obte­nait « tout ce qu’il voulait », avoue-t-il, – se des­sine dans les pre­mières pages, – saute dans des avions, loge dans de grands hôtels, prend des déci­sions – « la scène du café est coupée » annonce-t-il sans ménage­ments aux comé­di­ens – au nom d’un vio­lent désir de faire. Ses con­vic­tions sont nettes et ses déci­sions claires. Le suc­cès l’attend… mais le livre, sans rejeter ces temps-là, pro­jette surtout sur les choix artis­tiques d’alors un doute rétro­spec­tif. C’est le Brook d’aujourd’hui qui se sou­vient du met­teur en scène qu’il était à l’époque et tem­père les cer­ti­tudes du fougueux débu­tant qu’il fut. Se retourn­er sur le passé s’accompagne ici d’une réserve et d’un scep­ti­cisme. Le vieil homme revis­ite sans com­plai­sance le jeune homme.

Brook enseigne comme tout grand péd­a­gogue à inté­gr­er les leçons du quo­ti­di­en dans la vision d’une vie : inter­préter le con­cret, c’est le principe dont il ne se dépar­ti­ra pas. Et ain­si, en se sou­venant l’échec de la tra­ver­sée d’une riv­ière lors du ser­vice mil­i­taire, il réflé­chit sur les rap­ports que l’on peut entretenir à une con­vic­tion que, dit-il, il est impor­tant de savoir défendre ou d’abandonner au moment oppor­tun. Où, plus tard, après avoir atten­du un coup de télé­phone qui ne vien­dra pas, il décou­vre le rôle du mûrisse­ment dans toute prise de déci­sion. Et l’importance du hasard lui sera révélée lorsque le brouil­lard empêchera d’atterrir le mil­liar­daire Ander­son qui, en rai­son de ce ren­dez-vous non hon­oré, se décidera à aider le pro­jet parisien de Brook.

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