Le Collectif de Parme

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Le 26 Avr 1981
Photo Maurizio Buscarino
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Article publié pour le numéro
Échange belgico-italien-Couverture du Numéro 8 d'Alternatives ThéâtralesÉchange belgico-italien-Couverture du Numéro 8 d'Alternatives Théâtrales
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Le théâtre comme art d’an­i­ma­tion : événe­ment qui se déter­mine, se réalise et, par con­séquent, se jus­ti­fie dans l’acte lui-même. « Le thé/Ure vit au théâtre, ou dans un lieu qui devient théâtre, mais non sur le papi­er. Les acteurs sont de chair et d’os, et les mots imprimés ne peu­vent jouer à leur place ». Tels sont les principes de la Com­pag­nie du Col­lec­tif, qui se pro­duit au Teatro Due (Théâtre Deux), le sec­ond théâtre de Parme (après le Regio) (Théâtre Roy­al), de type alter­nant. Ce sont d’ex­cel­lents principes de pro­gramme, comme tous les pro­grammes de théâtre, pourvu qu’il y ait un pub­lic, c’est-à-dire l’autre face du spec­ta­cle, en plus des acteurs. Le pub­lic est fait en majorité de jeunes, qui se sen­tent engagés dans les entre­pris­es théâ­trales du Due comme si c’é­tait leur bien per­son­nel. La rai­son en est évi­dente, même sans con­naître la nature et la qual­ité des spec­ta­cles mon­tés par le Col­lec­tif. La com­pag­nie a une orig­ine uni­ver­si­taire, elle est. pra­tique­ment, l’é­ma­na­tion directe d’un tra­vail accom­pli par le CUT (Cen­tro Uni­ver­si­tario Teatrale — Cen­tre Uni­ver­si­taire de Théâtre) entre les années 1952 et 1968 – 69, époque où l’ex­péri­ence s’est arrêtée à la suite de la con­tes­ta­tion étu­di­ante.
Des acteurs comme Ser­gio Reg­gi, Gian­car­lo llari, Francesco Sci­ac­co, Tito Liv­io Rossi ; des met­teurs en scène comme Gior­gio Press­burg­er et surtout Bodgan Jerkovic, sans compter la direc­tion de Rena­to Falav­i­gna (auteur égale­ment des musiques de scène), l’in­ter­ven­tion de per­son­nal­ités comme Pasoli­ni, ont don­né au CUT de Parme un relief inter­na­tion­al, le met­tant en mesure de rivalis­er avec des com­pag­nies comme celles de Cà Fos­cari, de la Sor­bonne et de Bris­tol. Les étu­di­ants ont aus­si à leur act­if l’in­sti­tu­tion d’un fes­ti­val uni­ver­si­taire inter­na­tion­al à Parme, unique dans son genre en Ital­ie, qui a invité, out­re des troupes uni­ver­si­taires, des ensem­bles expéri­men­taux de haut niveau, comme le Liv­ing The­ater, le Théâtre Marowitz ou la Quadra. Des cen­dres du CUT est né, en 1971, le Col­lec­tif, tan­dis que quelques uns des anciens acteurs for­maient le noy­au, le petit noy­au, de la Pedana.
Le Col­lec­tif peut, main­tenant, faire état de ses résul­tats. Con­sid­érée comme l’une des dix coopéra­tives les plus solides et les plus impor­tantes du marché théa­tral ital­ien, l’ensem­ble de sa pro­duc­tion atteint, actuelle­ment, une ving­taine de spec­ta­cles pour un total de 1.500 représen­ta­tions. L’énuméra­tion des titres indique les critères du choix. Il suf­fit de la par­courir pour recon­naître une ori­en­ta­tion qui tend à con­cili­er les solu­tions exal­tantes d’une pre­mière phase agres­sive. d’ag­it-prop, et l’en­gage­ment civique et cul­turel qui ne peut se lim­iter à la prise de posi­tion par­ti­sane. La dernière réal­i­sa­tion, Ham­let, de Shake­speare, démon­tre par­ti­c­ulière­ment cette atti­tude du Col­lec­tif. Celui-ci, ayant assumé une respon­s­abil­ité pré­cise, a mis au point un doc­u­ment, que nous repro­duisons par­tielle­ment, pour jus­ti­fi­er la rai­son d’être du « hasard », qui ne pré­tend plus être le théâtre de la tra­di­tion, mais un espace théâ­tral quel­conque.
«Le hasard se sub­stitue au des­tin », pro­prié­taire de l’an­cien théâtre, du grand théâtre héroïque de célébra­tion. ““Les grandes actions devi­en­nent des gaffes, même si elles ne sont pas tou­jours inutiles. Ain­si en est-il de ce temps dis­lo­qué -· comme il est dit aus­si dans Ham­let1 — et nous ajouterons que notre théâtre aus­si sera dis­lo­qué, nous le serons sur la scène, et le pub­lic au-dessous. Alors nous serons tous prêts pour dire cette fable sans con­clu­sion et con­tra­dic­toire, où le sang, les larmes et la sueur sont authen­tiques, mais inutiles, et où les acteurs peu­vent aus­si met­tre en cause leur dimension,hamlétique per­son­nelle, ham­lé­tique jusque dans le quo­ti­di­en ».
L’éven­tu­al­ité ham­lé­tique d’un boule­verse­ment cri­tique de la con­di­tion humaine n’a pas empêché les acteurs (Rober­to Abbati, Pao­lo Bocel­li, Gigi Dal­l’Aglio, Gior­gio Gen­nari, Tania Roc­chet­ta, Mar­cel­lo Vaz­zol­er), l’au­teur des cos­tumes Nica Mag­nani et l’é­clairag­iste Giu­lano Viani, de mon­ter leur Ham­let d’une manière très spir­ituelle. Il s’est promené de Nan­cy à Franc­fort et à Milan ; il a amusé et il a·été bien accueil­li par les jour­nal­istes. Et ceci alors que l’e­space quel­conque du Due se mul­ti­plie. Les plus grandes nou­veautés sont la pro­gram­ma­tion de con­certs (clas­siques et d’a­vant-garde), de cours pour les acteurs et l’ab­sorp­tion du Théâtre des Brici­ole (Théâtre des Miettes), une coopéra­tive qui donne des spec­ta­cles de mar­i­on­nettes et de guig­nol. Orig­i­naires de Reg­gio, les magi­ciens — Berci­ni, Cav­al­lari, Ferra­boschi, Jot­ti, Mat­teuc­ci, Mol­nar, Quin­taval­la, Rabit­ti, Sarzi, Madi­di­ni, Stori — s’adressent aux enfants avec un art qui a été jugé d’ex­cel­lente qual­ité, dynamique, orig­i­nal, et d’une tech­nique avancée dans l’emploi des éclairages et du mou­ve­ment.
Si l’on regarde dans les poches des cri­tiques, c’est-à-dire dans leurs notes, où ils recueil­lent leurs impres­sions sur Ham­let, l’œu­vre du Col­lec­tif dévoile ses per­spec­tives et dénude son squelette. Pao­lo Emilio Poe­sio, dans La Nazione, entre avec déci­sion dans le spec­ta­cle et n’en déplace pas une vir­gule : « Nous nous trou­vons aux con­fins de la par­o­die, sans y tomber ; et si le jeu a volon­taire­ment un style cabotin, il traduit l’ab­sence de cabo­tin­isme de ces acteurs (qui sont pro­fes­sion­nelle­ment tout à fait en règle), il est vrai aus­si que dépouil­lé des ori­peaux, des super­struc­tures scéniques et des préoc­cu­pa­tions de toute exégèse, cet Ham­let tient. Il se révèle incroy­able­ment plein d’al­lu­sions à notre temps, la pour­ri­t­ure n’est plus seule­ment au Roy­aume de Dane­mark et rien n’empêche qu’Ho­r­a­tio ne soit, comme cer­tains devins clas­siques, com­plète­ment aveu­gle (mais voy­ant), que Yorick ne soit pas mort et soit là à trou­bler, par ses fan­taisies clow­nesques, le cli­mat de folie d’Elseneur. En somme, Ham­let, c’est nous : et pour nous le rap­pel­er voipi l’ap­pari­tion d’une fameuse page de Pasoli­ni, moins gra­tu­ite qu’il ne pour­rait sem­bler (entre autre, parce qu’elle est orchestrée très spir­ituelle­ment sur l’é­cho d’un rap­pel ver­bal : Hécube citée par Ham/et à pro­pos des comé­di­ens et Cuba de Fidel Cas­tro), et voici « l’être ou ne pas être » lancé pour rem­plir, dilaté jusqu’au délire ver­bal, un pos­si­ble entracte”·
La même impres­sion, exprimée par la for­mule rhé­torique de ques­tion et réponse, a don­né l’éveil à Pao­lo A. Pagani­ni, de La Notte. qui souligne, et approu­ve, le principe directeur de l’œu­vre : ““Veux-tu voir quel Ham/et nous sommes ? Mais le pub­lic rit d’Ham­let qui vom­it du yaourt et jette sur le parterre des livres de poches ; il rit de Polo­nius qui a tou­jours ses poches pleines de bon­bons ; il rit d’Ho­r­a­tio qui est aveu­gle et joue de l’har­mon­i­ca ; il rit des comé­di­ens, qui boivent du café et man­gent de la brioche ; il rit de l’idée d’un spec­tre qui par­court l’Eu­rope et est la crise du marx­isme ; il rit à la pen­sée que les rêves de 68, au bout de.douze ans, sont tous morts. Mais ce per­son­nage al/usivement dis­lo­qué, comme nous tous, pau­vres planch­es à la dérive, a juste­ment voulu représen­ter, dans un rire homériqµe de bande dess­inée, notre actuelle con­di­tion humaine, ou est-ce que, dans ce but, Ham/et s’est trans­for­mé en Yorick le bouf­fon, roi des clowns dans un monde de pail­lass­es ? Le doute demeure, mais nous rions, et de cela aus­si ».
C’est juste­ment sur le com­ment et le pourquoi en rire que Domeni­co Rig­ot­ti note, dans L’Avvenire, les orig­ines de l’hu­mour de cet Ham­let du Col­lec­tif, s’il faut ici par­ler d’hu­mour, ou de car­i­ca­ture, ou de satire, ou d’un anéan­tisse­ment de l’hu­mour par l’épuise­ment du rire dans la rage. « Cet Ham­let est né dans les brumes et les brouil­lards du Po. Il vient de Parme, il porte des jeans et, quelque­fois, il se cou­vre le vis­age du passe­mon­tagne vio­let des autonomes. On sup­pose qu’il a déjà lu Lacan et Deleuze, étant don­né que son ami Hor­a­tio, ici avec des lunettes noires et une canne,.fui apporte les livres de Glucks­mann et de Fou­cault, qui, d’ailleurs, sont jetés sur le parterre. Comme ses com­pagnons dans ce décor qui est seule­ment un plateau en désor­dre, une sorte de gre­nier pous­siéreux où finis­sent les objets qui nous ont appartenu jadis (même les vieux décors de théâtre), il porte des sabots noirs. Aus­si loin que pos­si­ble, et tout en respec­tant totale­ment le texte de Shake­speare, il tente de refléter la réal­ité névro­tique de la jeunesse d’au­jour­d’hui.

Amle­to
(Ham­let)
de Will’i­am Shake­speare
par La Com­pag­nia del col­leti­vo de Parme
Décor et cos­tumes : Nica Mag­nag­ni

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