L’AUTEUR, acteur et metteur en scène Jan Decorte a joué et joue un rôle déterminant dans le théâtre flamand de ces trente dernières années. Peu importe que le chemin terrifiant qu’il a suivi avec opiniâtreté l’ait mené des hautes cimes aux abîmes les plus profonds. Peu importe qu’il n’ait jamais mis le pied dans la « machine du théâtre » et qu’il soit toujours resté « délibérément et avec bonheur en dehors du petit monde du théâtre ». Malgré tout cela, son œuvre a été, et reste, une référence pour les générations passées et à venir.
Il a écrit successivement des textes baroques, mystiques, il a mis en scène des textes classiques selon une approche dramaturgique et scénographique novatrice. Il a ensuite fait volte-face et s’est voué à la création de pièces de théâtre d’une simplicité enfantine, principalement en adaptant ou en réécrivant un matériau shakespearien.
Dans les années 1980, Decorte était un metteur en scène marginal qui ne se souciait guère de la façon dont son travail serait reçu. Par la suite, il a prêté de plus en plus attention au public, cherchant à nouer une relation directe avec lui : il s’est mis en quête d’un rapport sans jeu de pouvoir, d’un théâtre sans sacralité.
On peut décrire la langue qu’il utilise dans ses pièces comme un idiome très personnel apparemment enfantin. Jan Decorte : « En fin de compte, le théâtre est tout à fait lié aux comportements enfantins, au passé, aux séjours dans l’armoire, aux mauvaises manières. » On pourrait considérer que la quête de la plus grande simplicité possible et de l’essence du théâtre forme le fil rouge de son œuvre : « Tu grimpes sur une petite caisse et tu dis quelque chose, et tu captives ainsi les gens. »
Hormis une fascination pour la langue, il se dégage du théâtre de Jan Decorte une fascination pour le pouvoir et surtout pour la violence avec laquelle le pouvoir se met en place et se maintient. Au fil de sa carrière, il a porté à la scène plusieurs fois et dans des formes différentes les histoires de Macbeth et de Titus Andronicus, inspiré par le matériau que Shakespeare et Heiner Müller ont écrit à ce sujet.
L’un de ses plus saisissants spectacles est son adaptation de MACBETH BLOETWOLLEFDUIVEL (bloed = sang, wolf = loup et duivel = diable), en 1984. aMéconnaissable avec sa tête emmaillotée dans des bandages, il incarnait lui-même ce Macbeth, un assassin fou furieux qui frappe aveuglément autour de lui avec sa hache, laisse des traces sanglantes sur son passage et massacre ses hommes une fois l’ennemi éliminé. Un spectacle semblable à un cri de rage et de désespoir, que Jan Decorte a créé alors qu’il était en pleine dépression. « Il fallait bien que je dissimule mon visage, que je l’enveloppe dans des bandages afin que les gens ne soient pas effrayés. Pendant tout le spectacle, mon visage était déformé par une crampe. Et je ne voulais pas que les gens voient cela. C’était trop effroyable. » Le troisième acte était intitulé « Descente aux enfers ». Et les spectateurs avaient réellement l’impression d’assister à une descente jusqu’au fond du gouffre de la vie, une expérience que l’on n’oublie pas de sitôt. Après, Jan Decorte s’est enfoncé encore plus loin dans la dépression, et n’a plus fait de théâtre pendant plusieurs années : « J’ai passé trois, quatre ans à la maison, assis sur une chaise. »