Krzysztof Warlikowski — Des valses données dans un avion

Entretien
Théâtre

Krzysztof Warlikowski — Des valses données dans un avion

Entretien avec Piotr Gruszczynski

Le 19 Avr 2005
KROUM de Hanokh Levin, mise en scène de KrzysztofWarlikowski. - Photo Stefan Okolowicz.
KROUM de Hanokh Levin, mise en scène de KrzysztofWarlikowski. - Photo Stefan Okolowicz.

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Article publié pour le numéro
L'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives ThéâtralesL'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives Théâtrales
85 – 86

PIOTR GRUSZCZYNSKI : Lors de la pre­mière de KROUM, tu as don­né une inter­view au cours de laque­lle tu as dit : « Je ne sais pas si avec KROUM, je ne me détourne pas de ces feux sacrés dont je brûlais durant ces cinq, six dernières années. » C’est une phrase très forte. Sig­ni­fie-t-elle la fin de la révolte dans ton théâtre ?

Krzysztof War­likows­ki : Le théâtre appar­tient aux jeunes met­teurs en scène, à ceux qui l’abordent pleins d’impétuosité et dont l’énergie emma­gas­inée s’exprime dans les pre­mières réal­i­sa­tions. L’homme mûr com­mence un peu plus à cal­culer, à aller dans le sens de la réflex­ion, à met­tre de l’ordre dans ses pen­sées.

Je me sou­viens d’avoir eu un jour la sen­sa­tion d’être pro­jeté dans un étrange cos­mos, entre mes par­ents et le lieu où je me trou­verai lorsqu’ils mour­ront et que je ne lais­serai per­son­ne après moi : j’ai ressen­ti le néant de l’être matériel. Cet état d’âme ne provoque pas la révolte mais la dépres­sion, des pen­sées sui­cidaires. La révolte appa­raît alors comme un éparpille­ment, une perte d’énergie que l’on dis­perse autour d’une juste cause, mais ces justes caus­es, à un cer­tain âge, devi­en­nent très loin­taines et peu sig­ni­fica­tives. Quelque chose a cer­taine­ment été con­sumé, mais con­sumé dans l’ordre nor­mal des choses. On perd l’aveuglement d’un jeune de vingt ans. Quelque chose s’est con­sumé, mais il est dif­fi­cile de dire si c’est bien ou mal. Un jeune tal­ent se con­sume vite et étonne les spec­ta­teurs à chaque fois par la var­iété de ses feux. Ensuite ce feu sacré devient chem­inée.

P. G.: La chem­inée peut-elle s’enflammer d’un feu autode­struc­teur ?

K. W.: L’autodestruction est ce qui est le plus facile. Je ne veux pas généralis­er, mais lorsque je regarde le chemin que j’ai suivi, je pense qu’il con­dui­sait à la sec­onde par­tie du DIBOUK, aux paroles proférées par Krall. La réduc­tion du théâtre dans le DIBOUK était effrayante, ce qui fut diverse­ment appré­cié dans les dif­férents pays. Après le DIBOUK, je me suis retrou­vé face à un mur. Le pas suiv­ant devait être un scé­nario ouvert, basé sur des notes d’une thérapie selon la méth­ode de Min­del. J’ai sen­ti alors que, après Krall, ce serait déjà un pas au-delà du théâtre qui me ren­ver­rait dans le domaine de la thérapie – une com­posante d’ailleurs très impor­tante de mes spec­ta­cles, surtout les derniers. Tout à coup, j’ai été effrayé par ce mur : le théâtre n’était déjà plus mon domaine, je n’avais plus besoin de forme mais de con­tenu. Alors KROUM est apparu comme un anti­dote. Je pen­sais à Gro­tows­ki qui s’est per­du et a tué le théâtre en lui ; il a tué le créa­teur et est devenu un homme chaman. Brook, lui, est resté au théâtre et en est devenu l’un des plus grands idéo­logues. Avec le texte de KROUM, je pou­vais pénétr­er dans une sorte d’intimité et mon­tr­er un jeune homme débar­rassé de ses piquants. La sphère embar­rassée de l’intimité et le désir de descen­dre dans l’homme sont devenus pour moi des besoins. Le voy­age vers l’intérieur de l’homme, non pas d’un homme héris­sé de piquants mais d’un homme désar­mé, vers ces sphères les plus intimes qui restent un tabou dans la majorité des cul­tures européennes. L’époque de ce feu idéologique, lorsque je traitais de l’improbité et des dévi­a­tions du sys­tème post­com­mu­niste – par exem­ple con­cer­nant notre sex­u­al­ité, je demandais si nous con­stru­i­sions une nou­velle société ou si nous restions figés dans de vieux sché­mas – cette lutte con­tre l’intolérance, ce temps de la révolte est passé, comme d’ailleurs dans notre réal­ité actuelle, totale­ment dis­soute dans une course générale à l’argent.

Je ne sais pas si je suis comme une chem­inée, mais il est cer­tain que je cherche à percevoir en moi-même quelque chose que la société pro­tège comme un tabou.

P. G.: Est-ce un état per­ma­nent ou te révolteras-tu encore ? Il y a un instant tu cri­ti­quais sévère­ment le com­porte­ment des catholiques polon­ais après la mort du pape, il est dif­fi­cile de croire à cet apaise­ment.

K. W.: Lorsque je n’ai pas d’Église con­tre laque­lle je puis lut­ter, quand en Hol­lande je n’ai pas d’adversaires en la per­son­ne d’homophobes et de xéno­phobes fana­tiques, alors je suis per­du. Dans cette société saine, il y a d’autres adver­saires mais je sens pour­tant que je dois me retourn­er, par exem­ple, vers l’Église polon­aise qui ne cessera prob­a­ble­ment jamais de me boule­vers­er, qui me fera tou­jours mal. Je lui ai tout de même, jadis, appartenu. Les adver­saires sont indis­pens­ables pour pou­voir par­ler du théâtre. Reste cepen­dant la ques­tion de la forme à utilis­er pour que l’ennemi devi­enne, sur scène, le dia­ble.

P. G. : Pren­dre un risque au théâtre donne-t-il une cer­taine lib­erté ?

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Théâtre
Krzysztof Warlikowski
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Écrit par Piotr Gruszczynski
Piotr Gruszczyn­s­ki est cri­tique théâ­tral en Pologne. Il col­la­bore au fes­ti­val Dia­log à Wro­claw. En 2003, il a...Plus d'info
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