Pascal Rambert — Un écrivain à l’écart

Théâtre
Parole d’artiste
Portrait

Pascal Rambert — Un écrivain à l’écart

Odile Quirot, d’après un entretien avec l’artiste

Le 23 Avr 2005
AFTER / BEFORE, spectacle de Pascal Rambert. - Photo Sylvain Duffard.
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AFTER / BEFORE, spectacle de Pascal Rambert. - Photo Sylvain Duffard.
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L'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives ThéâtralesL'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives Théâtrales
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IL A CONSERVÉ LA GRÂCE, et l’apparente dés­in­vol­ture du jeune homme qu’il fut, révélé en 1989 par LES PARISIENS où l’on avait le sen­ti­ment de regarder des acteurs vivre, plutôt que jouer…Deux ans plus tôt, à 24 ans, Pas­cal Ram­bert sig­nait LE RÉVEIL, son huitième spec­ta­cle, où il se fai­sait déjà eth­no­logue sans illu­sions de sa généra­tion. Et quand tant d’autres écrivains et met­teurs en scène de sa généra­tion pre­naient la direc­tion d’institutions, lui, il joue tou­jours au vagabond dandy : il a quar­ante deux ans.

Ciné­ma, vidéo, musique, per­for­mance : l’écrivain prodi­ge désor­mais touche à tout, et sem­ble être sans cesse entre deux avions, deux pays. Il prône la dis­pari­tion du met­teur en scène dans son RÉCIT DE LA PRÉPARATION DE GILGAMESH POUR AVIGNON (Les Soli­taires Intem­pes­tifs) mais par­le abon­dam­ment de lui. Agaçant aus­si. Comme beau­coup de ses spec­ta­cles, où l’on hésite entre irri­ta­tion et atten­tion. Ain­si devant LE DÉBUT DE L’A., texte d’abord radio­phonique, qu’il a créé au Stu­dio-Théâtre de la Comédie-Française cette année. Décor type loft blanc, gestes lents et chan­sons : « C’est le début de l’A, de l’amour»… (« chan­touiller » dit Ram­bert, quelque part entre chan­ton­ner et cha­touiller). L’histoire ? Lui est à Paris, elle à New-York. Les corps et les âmes se man­quent et s’attirent. On frise le naïf, le vide… mais on entend vibr­er une voix, très juste, qui explore l’éblouissement amoureux, et en déplie chaque instant dans sa fugac­ité : c’est la sig­na­ture, très attachante, de Ram­bert. Et puis, il sait diriger les acteurs : ain­si ici Alexan­dre Pavloff et Audrey Bon­net, deux jeunes comé­di­ens du Français, mag­nifiques dans un reg­istre fort inusité pour eux. Cette fois encore Pas­cal Ram­bert a écrit une his­toire vraie, la sienne, et son amour pour l’actrice améri­caine Kate Moran, qui jouait dans GILGAMESH. Pas­cal Ram­bert est le pre­mier à dire que les épo­ques de sa vie de créa­teur sont liées aux trois femmes qu’il a aimées. Et s’il a choisi un titre anglais AFTER/BEFORE c’est, explique-t-il, parce que cette langue est pour lui celle de l’amour… Appelez cela fraîcheur, naïveté. Ou roman­tisme. On se sou­vien­dra longtemps de la nuit de GILGAMESH, le pre­mier texte lit­téraire de l’humanité incar­né au cœur d’un champ de tour­nesols aus­si frémis­sants sous le vent que le corps d’acteurs qui sem­blaient sur­gis d’un par­adis per­du.

Le combat du temps réel

« À cha­cun de mes spec­ta­cles, je remets en cause ce qui est tenu pour acquis, y com­pris ce que j’ai pu faire aupar­a­vant. Est-ce que j’ai vrai­ment besoin du théâtre ? Se pos­er cette ques­tion me sem­ble salu­taire et sain. En France, le nat­u­ral­isme de la représen­ta­tion reste dom­i­nant et on a ten­dance à estimer que le salut du théâtre passe par le seul texte lit­téraire. Est-ce que, comme le dit Olivi­er Py, le théâtre est le roy­aume de la langue ? Je l’ai pen­sé pen­dant une péri­ode. Plus aujourd’hui. Peut-être reviendrai-je un jour à l’écriture. Mais lorsque Alain Françon m’a invité à faire une créa­tion au Théâtre Nation­al de la Colline, j’ai trou­vé intéres­sant de pos­er, dans le tem­ple même de l’écriture con­tem­po­raine, la ques­tion du : qu’est-ce qu’écrire ? Ma réponse, avec PARADIS ( UN TEMPS À DÉPLIER) fut qu’on peut écrire sur un plateau avec autre chose que des mots : des corps, des mou­ve­ments.

Sans doute aurais-je pu faire une « car­rière » dif­férente en con­tin­u­ant dans la lignée de ma pre­mière pièce LES PARISIENS, ou en me com­por­tant davan­tage en met­teur en scène. J’ai choisi une autre voie. À pro­pos de GILGAMESH, j’ai pu lire, selon les cri­tiques, qu’il s’agissait pour les uns d’un spec­ta­cle « squelet­tique », pour les autres d’«un chant d’amour ». Cet écart rad­i­cal me plaît. On peut penser la même chose devant une toile de Sol Lewitt ! Je cherche une struc­ture qui laisse assez de place au regard du spec­ta­teur. « Si les gens vien­nent voir mes spec­ta­cles et ne voient rien, c’est qu’ils n’ont pas d’imagination »: il n’y a que Claude Régy pour oser dire une chose pareille, mais je le pense, aus­si.

S’agit-il de « provo­ca­tion active » du regard du spec­ta­teur ? Non. Je ne fais jamais de provo­ca­tion. Je suis à des années lumières de ce mot, tout comme de celui de cynisme. Je leur préfère ce verbe mag­nifique du ciné­ma ou de la pho­togra­phie : « déclencher »; déclencher un proces­sus imag­i­natif. La pénom­bre qu’affectionne Claude Régy, le souf­fle léger qui ani­mait un rideau dans la BÉRÉNICE de Grüber, c’est ce déroule­ment du temps que je cherche à don­ner à voir.

Pour être plus pré­cis, dis­ons que j’observe le tra­jet du temps, c’est-à-dire ce qui a eu lieu à un moment don­né, et s’est trans­for­mé. Chaque soir, lorsque je regarde mes spec­ta­cles, je vois quelque chose qui ressem­ble à la veille, mais s’est forte­ment renou­velé. Cela me pro­cure du bon­heur. Depuis GILGAMESH, j’ai dévelop­pé avec mes acteurs une pra­tique col­lec­tive : on se met d’accord sur les enjeux du tra­vail, et on part pour deux, ou six heures de tra­vail, par­fois sans que j’intervienne. Les danseurs tra­vail­lent beau­coup comme cela, les acteurs moins. À Avi­gnon, je vais ouvrir les portes de ce que je nomme mes « ate­liers d’écriture physique orale et plas­tique en temps réel ». Com­ment faire des choses à plusieurs, com­ment inven­ter libre­ment ? C’est ma façon d’être poli­tique. Je ne sup­porte pas la plainte sur le libéral­isme, la mon­di­al­i­sa­tion… Met­tons-nous à plusieurs, réfléchissons ! Essayons de voir ce que nous pour­rions garder du passé pour essay­er de rebondir ; et ce dont nous pour­rions nous défaire pour être plus léger. C’est la ques­tion que je pose dans AFTER/BEFORE. Ou, pour le dire de manière plus abrupte : com­ment réin­ven­ter une nou­velle gauche ? Com­ment recon­stru­ire ?

J’ai l’impression d’avoir tra­ver­sé le feu – et je pense aux excès de ma jeunesse – et de m’être réveil­lé au réel, alors que longtemps je me suis réfugié dans les théâtres comme dans un espace mater­nel, pro­tecteur. Mon espace s’est élar­gi, mes ter­ri­toires se sont déplacés. Tous mes récents travaux sont nés de la ren­con­tre avec les autres, à Damas, à New-York ou à Tokyo. Je pour­rais me retrou­ver sans argent, dans un pays incon­nu, je sais que je réu­ni­rais des gens, que j’écrirais pour eux.

Je fais ce que j’ai à faire. J’y crois pro­fondé­ment, je tra­vaille. Je pro­pose quelque chose de sincère, d’extrêmement soigné et réfléchi. Je ne cesserai jamais de chercher, sans jamais vrai­ment trou­ver comme le dit si bien Claude Régy. J’entends dire par­fois à quelqu’un qui a mon­té toute sa vie le réper­toire du XVI­I­Ie siè­cle et qui soudain crée un Labiche : vous prenez des risques. C’est ridicule, voire indé­cent ! Et je trou­verais vul­gaire d’estimer que je prends des risques : la lib­erté est-elle un risque ? »

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Pascal Rambert
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Écrit par Odile Quirot
Odile Quirot est cri­tique de théâtre pour le Nou­v­el Obser­va­teur depuis 1992 et a pub­lié ROYAL DE LUXE...Plus d'info
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23 Avr 2005 — WILLIAM FORSYTHE S’amuse, assis sur le chariot à projecteurs, éclairant l’un ou l’autre de ses danseurs. Son regard balaie l’espace,…

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