Mikhaïl Tchekhov et l’anthroposophie

Mikhaïl Tchekhov et l’anthroposophie

Le 27 Oct 2005

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Stanislavski Tchekhov - Couverture du Numéro 87 d'Alternatives ThéâtralesStanislavski Tchekhov - Couverture du Numéro 87 d'Alternatives Théâtrales
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CONSIDÉRÉ par le monde théâ­tral anglo-sax­on comme un maître dans le domaine de la péd­a­gogie de l’ac­teur, Mikhaïl Tchekhov, neveu du dra­maturge, ne fut pas seule­ment l’in­tro­duc­teur de la « méth­ode » de Stanislavs­ki en Angleterre et aux États-Unis, il fut aus­si, tout au long de sa vie, un fidèle dis­ci­ple de Stein­er dont les enseigne­ments dans le domaine de l’eury­th­mie ne cessèrent d’in­flu­encer son tra­vail d’ac­teur et de péd­a­gogue. Cet aspect de sa pra­tique artis­tique, longtemps occulté par la cri­tique sovié­tique, con­tin­ua, après son exil en 1928, à col­or­er de façon très sin­gulière sa trans­mis­sion de l’héritage stanislavskien.

L’ad­hé­sion de M. Tchekhov à l’an­thro­poso­phie n’est nulle­ment un cas isolé. Nous devons la resituer dans le con­texte des mou­ve­ments spir­i­tu­al­istes qui, depuis la fin du dix-neu­vième siè­cle, ont forte­ment influ­encé le sym­bol­isme puis l’ex­pres­sion­nisme et d’autres courants des avant-gardes his­toriques, et con­tribué à la créa­tion d’une véri­ta­ble « con­tre-cul­ture » artis­tique mar­quant aus­si bien le monde de la danse avec R. Laban, que celui de la pein­ture avec V. Kandin­sky, de la musique avec A. Scri­abine ou de la lit­téra­ture avec A. Biely. Le plus impor­tant de ces mou­ve­ments est sans con­teste la théoso­phie, offi­cielle­ment fondée en 1975 par Hele­na Blavatsky, un mou­ve­ment qui a exer­cé son influ­ence sur l’Eu­rope tout entière, regroupant en 1900 près de 10 000 mem­bres et fait de nom­breux adeptes en Russie, par­mi lesquels les écrivains sym­bol­istes V. Soloviev, V. Brioussov et A. Biely. Ce vaste sys­tème de pen­sée en lutte con­tre l’hégé­monie du matéri­al­isme visait à fusion­ner la philoso­phie, la sci­ence et la reli­gion dans un seul courant tran­shis­torique allant des cultes à mys­tères de l’An­tiq­ui­té aux reli­gions ori­en­tales, en pas­sant par le mys­ti­cisme chré­tien. Il se trou­va con­cur­rencé, à par­tir de 1910, par la mon­tée de l’an­thro­poso­phie fondée par Rudolph Stein­er, ancien secré­taire de la branche alle­mande de la société, qui rompit avec les nou­veaux dirigeants du mou­ve­ment théosophique sur la ques­tion de la place à accorder au chris­tian­isme, et regroupa bien­tôt autour de lui un très grand nom­bre d’adeptes prêts à accom­pa­g­n­er ses con­férences à tra­vers toute l’Eu­rope, puis à le suiv­re dans l’aven­ture prométhéenne de con­struc­tion du Goetheanum de Dor­nach, près de Bâle. La mul­ti­plic­ité des champs d’ap­pli­ca­tion de l’an­thro­poso­phie explique en par­tie son suc­cès dans le monde artis­tique. Sci­en­tifique de for­ma­tion, Stein­er avait con­sacré une thèse à Goethe dont il fut l’in­fati­ga­ble com­men­ta­teur ; mais il se pas­sion­nait aus­si pour la médecine, l’é­d­u­ca­tion et les arts, et en par­ti­c­uli­er, dès 1910, pour le théâtre (il écriv­it sous l’in­flu­ence de E. Schuré plusieurs drames-mys­tères). Il conçut enfin, à par­tir de 1912, un nou­v­el enseigne­ment bap­tisé « eury­th­mie » qui se dévelop­pa con­sid­érable­ment jusqu’à sa mort en 1925, et con­nut à tra­vers le monde un suc­cès qui ne s’est pas encore totale­ment démen­ti.

Appli­quant au lan­gage le principe goethéen selon lequel le micro­cosme est une image réduite du macro­cosme, Stein­er tenait le lan­gage humain pour une image du Verbe créa­teur divin, ultime lien rat­tachant encore l’homme au Cos­mos. Voy­ant dans les con­sonnes, regroupées par types, une cor­re­spon­dance avec les douze signes du zodi­aque et la représen­ta­tion du monde extérieur tel que l’homme le perçoit, et dans les voyelles, l’ex­pres­sion d’une vision plus sub­jec­tive, Stein­er élab­o­ra avec ses col­lab­o­ra­tri­ces suc­ces­sives un ensem­ble de mou­ve­ments cor­porels aptes à ren­dre vis­i­bles les pro­priétés uni­verselles de ces sons. Ain­si la voyelle « a » s’ac­com­pa­g­nait-elle d’un mou­ve­ment d’ou­ver­ture des bras vers l’e­space, le son « o » d’un geste d’embrassement, bras arrondis, etc. Dévelop­pée en un ensem­ble beau­coup plus com­plexe entre 1915 et 1922, soutenue par un sys­tème de cor­re­spon­dance avec les couleurs inspiré de Goethe, l’eury­th­mie con­nut un grand reten­tisse­ment en Europe et des développe­ments édu­cat­ifs et thérapeu­tiques aus­si bien qu’artis­tiques. Par­al­lèle­ment à la ryth­mique dal­crozi­enne qui cher­chait à exprimer par le corps les émo­tions sus­citées par la musique, tout en visant elle aus­si l’élé­va­tion spir­ituelle de ses prati­ciens, l’eury­th­mie par­tic­i­pait du rêve niet­zschéen de retour aux orig­ines divines du chœur antique. Cette pra­tique cor­porelle visant à exprimer « la danse qui vit dans les mots » se trou­va rapi­de­ment enseignée aus­si bien à Paris qu’à Moscou et fut par­fois même pra­tiquée par des élèves de Dal­croze. Toute­fois, l’en­seigne­ment du maître pas­sait surtout par ses innom­brables écrits et par les con­férences que lui-même et ses dis­ci­ples prodiguaient inlass­able­ment dans les cap­i­tales européennes.

De retour de Dor­nach en Russie, A. Biely expo­sait dès 1917, dans des con­férences bril­lantes et devant un parterre qui pou­vait attein­dre mille per­son­nes, les vues de Rudolph Stein­er. Sabach­niko­va don­nait des cours offi­ciels d’eury­th­mie au Pro­letkult de Moscou et l’his­to­rien d’art T. Trapeznikov, lui aus­si revenu de Dor­nach, dirigeait offi­cielle­ment la con­ser­va­tion du pat­ri­moine. Lounatchars­ki lui-même, com­mis­saire du peu­ple à l’In­struc­tion publique, ne cachait pas son intérêt pour les livres du fon­da­teur de l’an­thro­poso­phie. La sit­u­a­tion changea vite cepen­dant puisque l’an­thro­poso­phie fut offi­cielle­ment inter­dite en 1924 et que les mis­es en garde se firent de plus en plus pres­santes jusqu’à la per­sé­cu­tion des sym­pa­thisants à par­tir de 1928 1.

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Écrit par Christine Hamon-Siréjols
Chris­tine Hamon-Siréjols est pro­fesseure émérite en études théâ­trales à l’Université Sor­bonne Nou­velle – Paris 3 et enseignante-chercheuse asso­ciée...Plus d'info
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