L’HISTOIRE de la construction du théâtre soviétique a longtemps été étudiée du seul point de vue de la propagande officielle du pouvoir central. Le travail important d’ouverture d’archives, mené maintenant depuis plus d’une décennie par les historiens dans les anciennes républiques soviétiques, montre à quel point ce vaste champs de recherche reste sur bien des points inexploré. La variété des pratiques théâtrales ayant eu cours au sein de chaque république soviétiques, les relations de de concurrences et/ou d’allégeance que ces dernières pouvaient entretenir avec le théâtre russe, considéré par le pouvoir central comme exemplaire de la culture soviétique, furent longtemps ignorées. Cette approche lacunaire de l’histoire du théâtre dans les républiques dites « périphériques » a eu plusieurs conséquences. La plus importante reste sans doute que la notion même de théâtre russe a pu agir comme obstacle épistémologique à l’étude du théâtre soviétique, au point que la structure pyramidale théâtrale de cette vaste entité, ainsi que les enjeux idéologiques et politiques que sa construction et que son maintien recouvraient, ont fait l’objet de très peu d’analyses.
Pourtant, au début des années 1920, la politique soviétique des nationalités favorise la création de théâtres nationaux dans chaque république, dont la définition des spécificités locales doit être adaptée aux grilles de lecture esthétique et politique d’une culture désormais qualifiée de soviétique. Les tensions qui se font jour entre le pouvoir central et les autorités locales, ainsi que les revendications nationalistes de certains artistes et intellectuels rêvant de nationaliser le bolchevisme, expliquent que la notion de culture soviétique a pu recouvrir des sens différents et s’élaborer à partir de multiples courants artistiques et idéologiques, laissant une place importante à l’expérimentation et à une pensée non nécessairement marxiste de la pratique théâtrale.
Comment et pour quelles raisons le régime soviétique a‑t-il procédé à l’uniformisation d’un champ culturel au départ marqué par tant de diversité ? La majorité des réponses apportées à cette question montrent l’importance de l’idéologie dans ce processus. Qualifiée de communiste ou de marxiste-léniniste, ses fondements essentialistes, ainsi que ses aménagements en vue de gérer les questions ethniques au sein des républiques restent à étudier dans le domaine théâtral.
L’étude de l’histoire du théâtre en Biélorussie dans les années 1920, et dans ses relations aux autres théâtres de la région occidentale de l’ancien espace soviétique- surtout russe, ukrainien et juif 1, apporte un nouvel éclairage à la construction du théâtre soviétique. De nouvelles figures de praticiens indéniablement liées à l’histoire du théâtre russe apparaissent, mais dont l’étude révèle des problématiques que l’histoire officielle s’était efforcée d’éluder. C’est par exemple le cas du metteur en scène, acteur et pédagogue Valentin Smychliaev (1891 – 1936), dont l’espace de pratique théâtrale s’étend sur au moins trois anciennes républiques soviétiques (Russie, Biélorussie et Ukraine).