Face à face

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Entretien avec Jean-Michel Rabeux

Le 17 Jan 2006
Claude Degliame dans EMMÈNE-MOJ AU BOUT DU MONDE d'après Blaise Cendrars, mise en scène de Jean-Michel Rabeux au Théâtre de la Baseille, Paris, janvier 2006. Photo Tristan Jeanne-Va/es, Agence Enguerand.
Claude Degliame dans EMMÈNE-MOJ AU BOUT DU MONDE d'après Blaise Cendrars, mise en scène de Jean-Michel Rabeux au Théâtre de la Baseille, Paris, janvier 2006. Photo Tristan Jeanne-Va/es, Agence Enguerand.

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Claude Degliame dans EMMÈNE-MOJ AU BOUT DU MONDE d'après Blaise Cendrars, mise en scène de Jean-Michel Rabeux au Théâtre de la Baseille, Paris, janvier 2006. Photo Tristan Jeanne-Va/es, Agence Enguerand.
Claude Degliame dans EMMÈNE-MOJ AU BOUT DU MONDE d'après Blaise Cendrars, mise en scène de Jean-Michel Rabeux au Théâtre de la Baseille, Paris, janvier 2006. Photo Tristan Jeanne-Va/es, Agence Enguerand.
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Sabine Quiri­coni : Com­ment avez-vous ren­con­tré Claude Degliame ?

Jean-Michel Rabeux : J’ai con­nu Claude Degliame sur un plateau de théâtre : elle jouait Tita­nia, dans Le Songe d’une nuit d’été de Shake­speare, en 1971, au fes­ti­val de Château­val­lon. J’étais spec­ta­teur. Jean Gilib­ert sig­nait la mise en scène. J’ai d’abord eu un coup de foudre pour l’actrice, avant de con­naître la femme. Dans ma pre­mière mise en scène, Iphigénie de Racine en 1976, elle jouait Clytemnestre. Entre 71 et 76, elle m’a appris ce qu’était le théâtre. Alors que je voulais être acteur — j’avais suivi les cours de Tania Bal­a­cho­va — je suis devenu met­teur en scène, peut-être parce que j’avais une for­ma­tion de philoso­phie, mais surtout parce que Claude et d’autres comé­di­ens m’ont demandé de les « coach­er » sur les spec­ta­cles qu’ils jouaient. Avant même de savoir ce qu’était un acteur, j’ai su le diriger.
Ensuite, c’est Claude Régy qui m’a aidé à com­pren­dre Claude Degliame actrice, ses dif­férentes facettes, sa capac­ité d’implosion — je con­nais­sais sa capac­ité d’explosion —, qu’elle pou­vait faire du fra­cas en silence, qu’elle pou­vait jouer plusieurs choses en même temps, qu’elle était de ces acteurs qui savent être là sans rien faire et dont l’apparition apparem­ment inac­tive est aus­si forte que l’activité et le savoir-faire d’autres acteurs ; qu’elle était d’une beauté fra­cas­sante sur un plateau. Mal­gré les apparences plutôt expres­sion­nistes de mon théâtre, Régy est une de mes références, depuis cette époque. En assis­tant à quelques-unes de ses répéti­tions et à des séries de représen­ta­tions, j’ai appris mon méti­er. Régy, Gilib­ert, des met­teurs en scène passés par Bal­a­cho­va, comme Virez, avec lequel Claude a tra­vail­lé plus tard.
Notre col­lab­o­ra­tion s’est aus­si fondée sur la rela­tion que nous avons au monde et qui nous rend le théâtre vital. Même si mes spec­ta­cles ne por­tent aucun mes­sage, ils sont poli­tiques. Jouer, pour Claude, est égale­ment un acte poli­tique. Nous avons recon­nu l’un en l’autre que notre façon d’être engagé poli­tique­ment, de ne pas sup­port­er le monde tel qu’il va, c’était de créer. Nous faisons du théâtre pour ne pas mourir.

S. Q. : En quoi Claude Degliame incar­ne-t-elle le mieux ce que vous cherchez esthé­tique­ment ?

J.-M. R. : Elle est de ces acteurs qui amè­nent sur scène une mon­stru­osité irré­ductible. En allant chercher très loin en elle, elle sait faire appa­raître l’inadmissible cru­auté du monde, de l’être. Dans Désha­bil­lage, par exem­ple, elle cristalli­sait l’inadmissible excès que je cherche dans la présence d’un comé­di­en sur scène, le fasci­nant-inad­mis­si­ble de notre mortelle con­di­tion. Je pense en par­ti­c­uli­er au mono­logue final, sur la mort, qu’elle fai­sait furieuse­ment, avec un mau­vais goût explosif qui déplai­sait à beau­coup de gens, et au très long mono­logue sur le théâtre, comique et grotesque : les deux mêlés, pour moi, c’est le théâtre. On retrou­ve ce mélange dans Emmène-moi au bout du monde, solo adap­té d’un texte de Blaise Cen­drars et qui peut-être donne la clé de notre théâtre.

S. Q. : Com­ment tra­vaillez-vous ?

J.-M. R. : Au début, je ne sais pas quelle langue va émerg­er. C’est l’acteur qui va me le dire. Et pas avec des mots. En faisant. C’est l’acteur qui fait le met­teur en scène. Comme le mot le dit, l’acteur agit. Sans cette action, il n’y a pas de met­teur en scène pos­si­ble. L’acteur vient avant.
Avec Claude, nous ne dis­cu­tons pas, ou peu. Elle pro­pose ; je choi­sis et elle me fait une con­fi­ance absolue. Je l’aide par­fois à retrou­ver ce par quoi elle est passée pour arriv­er à tel état. Elle peut aus­si bien se laiss­er guider comme une enfant que me deman­der de ne pas inter­venir parce qu’il y a quelque chose à un moment qu’elle seule sait. Bien sûr, je la laisse faire. Claude est quelqu’un du désor­dre, c’est-à-dire du con­traire de l’ordre. Elle passe inévitable­ment par le chaos. C’est une opéra­tion secrète. Dans ces endroits-là, je ne vais pas. Qui dirige qui ? J’aimerais bien le savoir.
Lors des répéti­tions, quelqu’un qui ne nous con­naî­trait pas ne saurait pas que nous vivons ensem­ble. À moins qu’il ne remar­que que je mets moins de formes et de temps à lui deman­der des choses. Nos dis­putes, régulières, n’ont jamais lieu devant l’équipe. Il n’y a du reste qu’en tra­vail­lant que nous nous dis­pu­tons avec cette force. Tou­jours à cause de la para­no mutuelle des créat­ifs. Pour­tant, pen­dant le tra­vail, je n’ai con­fi­ance en per­son­ne, sauf en elle. Quand elle ne joue pas dans un spec­ta­cle, elle passe de temps en temps aux répéti­tions. Et ses avis comptent énor­mé­ment. Quand j’écris, elle est ma pre­mière auditrice. Je lui lis le texte en cours. Si ça ne lui plaît pas, je grogne mais je refais.

S. Q. : Qui est à l’origine des pro­jets ?

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Écrit par Sabine Quiriconi
Sabine Quiri­coni est maître de con­férences en Arts du spec­ta­cle à l’Université de Paris Ouest-Nan­terre La Défense. Elle...Plus d'info
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