Aller jusqu’au(x) bord(s): l’épreuve de l’étranger
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Aller jusqu’au(x) bord(s): l’épreuve de l’étranger

Entretien avec Frédéric Fisbach

Le 14 Juil 2006
GENS DE SÉOUL d’Oriza Hirata, mise en scène Frédéric Fisbach.
Photo Katsu Miyauchi.
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Article publié pour le numéro
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FRÉDÉRIC FISBACH : Le fait de voy­ager est presque déjà un acte proche de celui de la mise en scène. Plus exacte­ment, c’est la mise en jeu de ce qui est à la base de mon désir de théâtre (et aujourd’hui de ciné­ma, même si c’est un peu dif­férent): la ren­con­tre avec l’autre, qui est au principe même du théâtre, et en règle générale de tous Les arts qui se font en com­mu­nauté — qui se pra­tiquent, par exem­ple, autour d’un texte écrit par quelqu’un d’autre que soi. Le voy­age, c’est donc la mise en jeu de cet état de fait ; c’est se met­tre soi-même en sit­u­a­tion de ne pas pou­voir occul­ter cette part fon­da­men­tale du travail:qu’on fait du théâtre non pas avec soi mais avec d’autres. En inscrivant l’autre comme à pro­pre­ment par­ler l’é­tranger, lev­oy­age pousse la sit­u­a­tion à l’ex­trême, et fait éprou­ver l’ex­péri­ence de l’altérité et de la ren­con­tre de manière très con­crète : au Japon, par exem­ple, l’é­tranger c’est une langue dif­férente qui néces­site un inter­prète, des us et cou­tumes aux­quels il faut se faire, un rythme dif­férent, le décalage horaire. — une mise en jeu qui s’éprou­ve aus­si physique­ment.

Christophe Tri­au : Cette ques­tion de la ren­con­tre et de l’ex­péri­ence de l’altérité, voire de l’étrangeté, est essen­tielle dans ton tra­vail, et ce non seule­ment d’un point de vue thé­ma­tique mais en ce qu’elle se joue au cœur même de ton esthé­tique, de la rela­tion théâ­trale qu’in­duisent tes spec­ta­cles.

F. F.: Dans l’acte artis­tique — je m’en rends de plus en plus compte —, la ren­con­tre de l’altérité se joue aus­si dans le fait de met­tre le spec­ta­teur en posi­tion de ren­con­tr­er quelque chose d’autre ou quelqu’un d’autre, de con­tin­uer la chaîne. C’est comme un exer­ci­ce de trans­mis­sion de la néces­sité de se retrou­ver face à l’é­tranger, c’est-à-dire face à de l’inconnu, à quelque chose qui n’est pas for­cé­ment com­préhen­si­ble sur le champ, qui pose des ques­tions et qui oblige soi-même à se posi­tion­ner, à se situer. Car la ren­con­tre de l’autre est décou­verte, mais pas seule­ment de l’autre : elle est aus­si décou­verte de soi, c’est une part de soi-même qui se révèle dans ce rap­port. Le voy­age est véri­ta­ble­ment une mise à l’épreuve de cela, et c’est peut-être là que réside la vraie quête : le voy­age est réus­si si tu reviens en en sachant un peu plus de toi.

C. T.: C’est un décalage de soi-même, un déplace­ment ?

F. F.: Oui, mais ce n’est pas exacte­ment en ces ter­mes que cela se joue, pour moi. C’est un déplace­ment, mais qui révèle quelque chose de plus pro­fond et qui, en fait, te ramène à un cen­tre. Je me méfie tou­jours, y com­pris pour moi-même, de ce qui fige. Le déplace­ment qu’im­pliquent le voy­age et la ren­con­tre de l’altérité sert pré­cisé­ment à cela : à main­tenir un état de trou­ble, qui peut par­fois être incon­fort­able ou pénible, mais qui per­met juste­ment de bouger — de bouger dans la com­préhen­sion qu’on a de l’autre et de soi. Car on com­prend l’autre à par­tir de soi : si soi-même on ne bouge pas, aucune ren­con­tre n’est pos­si­ble. Il ne peut donc jamais s’a­gir sim­ple­ment d’une « décou­verte de l’autre », il s’ag­it aus­si de gag­n­er des ter­ri­toires intérieurs, de gag­n­er des pos­si­bles — imag­i­naires, mais aus­si très con­crets — à l’intérieur de soi. D’aller « jusqu’au (x) bord(s)» :je me sais quelqu’un de très lim­ité, borné, mais je sais que la plu­part du temps je peux aller jusqu’au (x) bord(s) de mes capac­ités.

C. T.: Il s’a­gi­rait alors de se met­tre en sit­u­a­tion de déséquili­bre ?

F. F.: À cette dif­férence près que l’équili­bre est une notion abstraite, en fin de compte, puisque la sen­sa­tion d’équili­bre provient en fait d’une suc­ces­sion de déséquilibres:on oppose àun déséquili­bre un autre déséquili­bre, et le fait de se tenir droit est le résul­tat d’une suite de mou­ve­ments con­traires. C’est quelque chose de très impor­tant pour moi. Par exem­ple, c’est une ques­tion que je me pose sou­vent à pro­pos de mes choix de textes : alors que beau­coup de met­teurs en scène peu­vent con­tin­uer à mon­ter le même auteur, parce qu’ils y ont trou­vé quelque chose qui a com­mencé à s’ap­pro­fondir et avec lequel ils veu­lent aller un peu plus loin, j’ai tou­jours eu peur de refaire la même chose. Après L’ANNONCE FAITE À MARIE, j’au­rais ain­si pu con­tin­uer avec Claudel ; mais je me méfais de moi, en fait je craig­nais de trop en savoir, trop en con­naître, j’avais l’impression que si je retra­vail­lais sur le même auteur je ne le ferais pas avec autant de can­deur, de force ou d’en­vie. Il m’é­tait sus­pect, impos­si­ble de me met­tre dans une telle posi­tion, parce que tout d’un coup cela me sem­blait figer quelque chose, que je risquais d’abîmer mon rap­port à cet auteur, de m’abîmer moi-même ain­si, et qu’il me fal­lait au con­traire en pren­dre le con­tre-pied.

J’ai fonc­tion­né ain­si pen­dant très longtemps — je pense que je suis main­tenant en train d’infléchir cette posi­tion, d’avoir plus envie de creuser cer­taines choses.

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Écrit par Christophe Triau
Essay­iste, dra­maturge et est pro­fesseur en études théâ­trales à l’Université Paris Nan­terre, où il dirige l’équipe Théâtre de...Plus d'info
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