« Si notre vie se déroulait à l’intérieur d’un cube comme sur un plateau, on finirait par croire que le temps de notre vie et le volume de la scène ne font qu’un. Nos désirs seraient des boules d’or accrochés sur notre arbre de Noël et nos souvenirs des bibelots. Chacun de nos actes serait une bribe de notre cube. Les astronautes filent vers les étoiles dans des boîtes de conserve remplies de temps cubique. »
Copi
L’EXIL est une période de la vie où l’homme s’ouvre à la liberté, c’est ce que dit Copi du statut d’exilé. Cette phrase m’a beaucoup plu. Je pense que les exilés ont quelque chose d’asocial, d’atypique, un statut particulier qui peut aussi être agréable. Je suis dedans et je ne le suis pas. Je ne parle pas de ça comme d’un handicap mais, étrangement, aujourd’hui, en Argentine, il m’arrive la même chose. Quand j’y reviens après dix-huit ans en Europe, je sens des décalages et je sens que je suis quelqu’un qui a décidé de ne plus être de là-bas. J’ai aussi un statut d’exilé en Argentine. C’est quand je vais jouer au Chili ou au Brésil que l’étiquette « Argentin » me retombe dessus.
En France, malgré Le temps passé, je continue d’être, aux yeux des autres, un étranger. C’est quelque chose qui vous colle à la peau. Vous venez d’ailleurs. C’est beaucoup plus important pour les autres que pour moi. Moi je m’oublie à être Français, alors qu’on me rappelle tout le temps que je ne le suis pas.
Je n’ai pas de passeport français. J’ai toujours mon passeport argentin. J’ai horreur des papiers, des rendez-vous à la Préfecture de police. J’essaie de m’y rendre le moins possible. À Paris, c’est-à-dire sur l’île de la Cité, au cœur de la ville, on passe la porte et l’angoisse vous prend. Une réaction physique ! Une oppression ! Encore que moi, je n’ai jamais eu de grandes difficultés, parce que je viens d’un pays qui n’est pas encore sur la liste noire, mais quand vous faites vos papiers de séjour, vous vivez des moments assez terrifiants. Je pense que la plupart des gens ne le savent pas.
Maintenant, on peut dire que j’ai une double culture puisque j’ai passé la moitié de ma vie ici. Ce ne sont pas deux cultures à part égale, elles te travaillent, elles agissent en toi très différemment. Il y a celle de l’enfance, qui s’imprègne, malgré soi, d’une certaine façon, et qui marque et détermine la personnalité. Pour moi, la question du pays d’origine est liée à ça : là où j’ai été enfant, ça a à voir avec mes parents, pas avec la patrie et le patriotisme. Ensuite viennent les choix d’adulte, ce que j’ai choisi d’apprendre. Dans un métier lié à la création, on travaille constamment avec les deux, d’un côté le choix adulte de faire ceci ou cela, de monter telle ou telle pièce, et de l’autre côté l’énergie enfantine qui t’habite et avec laquelle tu fais les choses. Pour moi, ces deux aspects sont d’autant plus distincts que je n’ai pas passé toute ma vie dans la même culture.
Quand je travaille avec Matthias Langhoff, je suis attiré par ça aussi, son tiraillement entre trois cultures, allemande, suisse et française, ou Rodrigo Garcia, ou Leslie Kaplan qui est très marquée par la culture nord-américaine. Je n’ai jamais cherché ça, ce n’est pas volontaire. Je me rapproche sans doute de ces gens parce que je sens une approche du monde différente, avec un humour, un recul qui joue de la différence entre une culture et une autre. Ça n’a rien d’un exotisme, c’est un décloisonnement de l’esprit.
Articuler autrement le langage