LAST LANDSCAPE, dernier paysage
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LAST LANDSCAPE, dernier paysage

Le 22 Juil 2006
Article publié pour le numéro
Aller vers l'ailleurs-Couverture du Numéro 89 d'Alternatives ThéâtralesAller vers l'ailleurs-Couverture du Numéro 89 d'Alternatives Théâtrales
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Je me livre à la fièvre des rêves,
mais c’est pour en retir­er de nou­velles lois.

Antonin Artaud

DANS LE PAYSAGE, le plus impor­tant c’est le temps. Le paysage est incom­préhen­si­ble sans le temps qu’on y passe. Ses lignes invis­i­bles ne seront per­cep­ti­bles que si on les regarde de l’intérieur, de l’intérieur du paysage. Con­tem­pler plutôt que regarder.

Mais le con­tem­pler de l’intérieur ne sera pos­si­ble que s’il nous accueille, que si nous devenons nous-mêmes une par­tie du paysage. Pour cela il faut du temps, beau­coup de temps. C’est alors seule­ment que nous pour­rons dis­cern­er le sys­tème for­tu­it des lignes. Il faut que la tête dis­paraisse, qu’elle se dis­solve dans le paysage, pour que Le corps et plus par­ti­c­ulière­ment le cœur puis­sent percevoir. Le paysage se développe à la fron­tière de l’ordre et du chaos, en pas­sant con­tin­uelle­ment de l’un à l’autre. C’est cela qu’il faut fix­er, ce dernier paysage, cet équili­bre mou­vant qui est capa­ble de répéter encore et encore la Créa­tion sans cat­a­stro­phe.

« Alors la vie com­mence, quand nous ne savons pas ce qui va se pass­er. »

L’or­gan­i­sa­tion hasardeuse des sons. Ils courent sur un fil de soie jusqu’aux cym­bales, puis le fil se casse. Le pre­mier mou­ve­ment est le lâch­er-prise. Le renonce- ment. Renon­cer à la créa­tion. Là est le para­doxe de la créa­tion. Lâch­er pour qu’elle naisse. Soulever une sphère, l’observer minu­tieuse­ment, la plac­er dans l’espace et la laiss­er par­tir. La grav­i­ta­tion est la loi prin­ci­pale. Puis soulever une autre sphère et une autre encore tan­dis que le hasard devient un ordre entre les mains. Que « le cristal tour­bil­lonne ».

Au milieu du vis­age un nez rouge, un nez rubi­cond. J’ac­cède à l’ivresse au gré de mes envies. Je n’ai besoin de rien pour l’atteindre. Telle est ma nature. Créer sans vouloir le pou­voir ; seule­ment l’ivresse, le chaos. Là seule­ment pour­ra naître un nou­v­el ordre. Et seul un fou peut vouloir le non-pou­voir. Un clown. Lui seul peut dire la vérité !

Mais pourquoi ce nez pointu ? Est-ce un oiseau ? Un clown à part ? Ou est-ce parce que ce bec tri­an­gu­laire se ter­mine en un point minus­cule, qui est le com­mence­ment de toutes les lignes, vis­i­bles ou invis­i­bles ?

Les lignes com­men­cent à vivre der­rière son dos, sur un tableau noir. Des lignes de force invis­i­bles tirail­lent sa main. Il ne des­sine qu’à l’envers, que de dos, il n’a pas besoin de voir.

Il faut être un fou pour gri­bouiller de cette façon. Seul celui qui suit le mou­ve­ment du vent et des feuilles, seul celui qui éprou­ve le ruis­selle­ment de la pluie, la pesan­teur de la terre et le crépite­ment du feu gri­bouille ain­si.

Il est debout, seul dans le paysage, il essaie de com­bat­tre l’hori­zon, de le repouss­er pour voir plus loin. Mais qui veut voir plus loin, endoss­er le poids du monde ? Seule­ment un fou.

Le poids a dess­iné, l’encre a coulé. Ce n’é­tait pas le sang qui coulait. Il n’a fait qu’effleurer les lim­ites de l’ex­is­tence, c’est cela qui a lais­sé une pareille trace sur lui, l’ex­is­tence frôlée.

Il s’est blot­ti, a touché l’im­pos­si­ble, c’est cela qui a lais­sé une pareille trace sur lui. Un peu comme si son cœur saig­nait.

Ren­dre per­cep­ti­bles les sur­faces invis­i­bles de l’espace. Lessurfacesinvisibles!Nous necom­prenons paslegeste, parce que nous ne voyons que le chaos. Mais peut-être est-ce l’ordre invis­i­ble que nous nom­mons ain­si à cause de notre esprit étroit ? Peut-être qu’avec du temps, des yeux et des oreilles, nous pour­rions enten­dre et voir l’ordre appa­raître.

La tête se dis­soud, le vis­age peut à nou­veau se mon­tr­er. Le masque comme exis­tence au-delà des sen­ti­ments. Deux vis­ages iden­tiques au-delà des sen­ti­ments. Des cor­dons ombil­i­caux les relient.

La pul­sa­tion du cor­don les fait vivre, la terre mère donne le rythme et les jumeaux le trans­met­tent vers le ciel.

Le fou­et des­sine le rythme sur le tableau noir, incise la sur­face.

Lieu de sac­ri­fice, d’où la con­tem­pla­tion du paysage est pos­si­ble.

La toupie tourne, tour­bil­lonne. Elle restera ver­ti­cale aus­si longtemps que quelqu’un veille.

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Écrit par Peter Gemza
Danseur et pédagogue, Peter Gemza fait par­tie depuis 1994 de la com­pag­nie de Josef Nadij. Lié à celui-ci...Plus d'info
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