Je me livre à la fièvre des rêves,
Antonin Artaud
mais c’est pour en retirer de nouvelles lois.
DANS LE PAYSAGE, le plus important c’est le temps. Le paysage est incompréhensible sans le temps qu’on y passe. Ses lignes invisibles ne seront perceptibles que si on les regarde de l’intérieur, de l’intérieur du paysage. Contempler plutôt que regarder.
Mais le contempler de l’intérieur ne sera possible que s’il nous accueille, que si nous devenons nous-mêmes une partie du paysage. Pour cela il faut du temps, beaucoup de temps. C’est alors seulement que nous pourrons discerner le système fortuit des lignes. Il faut que la tête disparaisse, qu’elle se dissolve dans le paysage, pour que Le corps et plus particulièrement le cœur puissent percevoir. Le paysage se développe à la frontière de l’ordre et du chaos, en passant continuellement de l’un à l’autre. C’est cela qu’il faut fixer, ce dernier paysage, cet équilibre mouvant qui est capable de répéter encore et encore la Création sans catastrophe.
« Alors la vie commence, quand nous ne savons pas ce qui va se passer. »
L’organisation hasardeuse des sons. Ils courent sur un fil de soie jusqu’aux cymbales, puis le fil se casse. Le premier mouvement est le lâcher-prise. Le renonce- ment. Renoncer à la création. Là est le paradoxe de la création. Lâcher pour qu’elle naisse. Soulever une sphère, l’observer minutieusement, la placer dans l’espace et la laisser partir. La gravitation est la loi principale. Puis soulever une autre sphère et une autre encore tandis que le hasard devient un ordre entre les mains. Que « le cristal tourbillonne ».
Au milieu du visage un nez rouge, un nez rubicond. J’accède à l’ivresse au gré de mes envies. Je n’ai besoin de rien pour l’atteindre. Telle est ma nature. Créer sans vouloir le pouvoir ; seulement l’ivresse, le chaos. Là seulement pourra naître un nouvel ordre. Et seul un fou peut vouloir le non-pouvoir. Un clown. Lui seul peut dire la vérité !
Mais pourquoi ce nez pointu ? Est-ce un oiseau ? Un clown à part ? Ou est-ce parce que ce bec triangulaire se termine en un point minuscule, qui est le commencement de toutes les lignes, visibles ou invisibles ?
Les lignes commencent à vivre derrière son dos, sur un tableau noir. Des lignes de force invisibles tiraillent sa main. Il ne dessine qu’à l’envers, que de dos, il n’a pas besoin de voir.
Il faut être un fou pour gribouiller de cette façon. Seul celui qui suit le mouvement du vent et des feuilles, seul celui qui éprouve le ruissellement de la pluie, la pesanteur de la terre et le crépitement du feu gribouille ainsi.
Il est debout, seul dans le paysage, il essaie de combattre l’horizon, de le repousser pour voir plus loin. Mais qui veut voir plus loin, endosser le poids du monde ? Seulement un fou.
Le poids a dessiné, l’encre a coulé. Ce n’était pas le sang qui coulait. Il n’a fait qu’effleurer les limites de l’existence, c’est cela qui a laissé une pareille trace sur lui, l’existence frôlée.
Il s’est blotti, a touché l’impossible, c’est cela qui a laissé une pareille trace sur lui. Un peu comme si son cœur saignait.
Rendre perceptibles les surfaces invisibles de l’espace. Lessurfacesinvisibles!Nous necomprenons paslegeste, parce que nous ne voyons que le chaos. Mais peut-être est-ce l’ordre invisible que nous nommons ainsi à cause de notre esprit étroit ? Peut-être qu’avec du temps, des yeux et des oreilles, nous pourrions entendre et voir l’ordre apparaître.
La tête se dissoud, le visage peut à nouveau se montrer. Le masque comme existence au-delà des sentiments. Deux visages identiques au-delà des sentiments. Des cordons ombilicaux les relient.
La pulsation du cordon les fait vivre, la terre mère donne le rythme et les jumeaux le transmettent vers le ciel.
Le fouet dessine le rythme sur le tableau noir, incise la surface.
Lieu de sacrifice, d’où la contemplation du paysage est possible.
La toupie tourne, tourbillonne. Elle restera verticale aussi longtemps que quelqu’un veille.