Le théâtre est un art du voyage. Dans l’espace, dans le temps et dans l’imaginaire. Depuis toujours les gens de théâtre parcourent le monde et du choc de leurs rencontres naissent de nouvelles aventures artistiques. C’est l’Orient surtout, qui, depuis le début du XXe siècle, par ses formes théâtrales stylisées, influencera tant de créateurs occidentaux de Meyerhold à Brecht et plus près de nous Ariane Mnouchkine.
Le festival d’Avignon s’est très tôt élargi au monde, ouvrant les fenêtres du théâtre français vers l’extérieur. Depuis leur arrivée à la direction du festival, Vincent Baudriller et Hortense Archambault ont accentué encore cette démarche. Le choix des trois premiers artistes associés (en 2004, 2005 et 2006) a été inspiré par cette volonté : La cour d’honneur résonnait pour la première fois d’un texte donné en allemand (Woyzeck de Büchner dans la mise en scène de Thomas Ostermaier en 2004), les poètes du théâtre ouvraient les frontières des disciplines artistiques l’année dernière et la soixantième édition du festival a été pensée cette année en lien avec le metteur en scène, chorégraphe et danseur Josef Nadj, artiste exilé dont les spectacles créés en France portent la marque des paysages de son enfance en Voïvodine.
Pour certains metteurs en scène, comme Anatoli Vassiliev, le voyage est la métaphore du projet théâtral lui-même, chemin choisi pour transformer l’univers fermé du drame et l’ouvrir sur le monde. C’est ce voyage mental qui est la source d’une poétique théâtrale qui peut toucher le spectateur profondément comme le rappelle Richard Demarcy
Ces metteurs en scène de l’exil (Josef Nadj, Anatoli Vassiliev, Marcial di Fonzo Bo, Peter Brook) n’ont pas oublié leurs origines. En se confrontant à la culture de l’autre et en l’entrelaçant à la sienne, en apprivoisant sa langue, c’est aussi l’universalité de la condition humaine que le metteur en scène errant fait surgir de ses créations.
Pour certains metteurs en scène, le voyage est aussi intimement lié au processus de réalisation du spectacle. C’est dans le choix de la pièce, le choix du lieu, le choix des partenaires que le travail prend tout son sens. Les expériences japonaises de Frédéric Fisbach et celles d’Arthur Nauzyciel à Atlanta sont exemplaires à cet égard. Comme l’est aussi le camion transformé Cargo Sofia Avignon de Stéphane Kargi qui transporte des histoires et des rêves en lieu et places des marchandises de la consommation. Ces rencontres avec l’autre sont découvertes de soi.
Le théâtre nous a habitué ces dernières années à ce brassage des genres et au métissage de ses acteurs. Cette édition 2006 du festivald’Avignon en est le témoignage vivant : les spectacles y sont habités par une éthique de la déterritorialisation comme Jean-marc Adolphe désigne l’esprit qui habite Alain Platel et les ballets C. de la B. : un foyer de brassage, d’hospitalité et de connivence.
Chaque année, les nuits avignonnaises nous plongent dans ces rencontres du théâtre avec la nature : les ciels étoilés, le vent, la douceur de l’air. N’est-ce pas Bartabas, l’artiste le plus emblématique de cette édition ? Zingaro, le nom donné à son premier cheval, devenu ensuite l’appellation de son théâtre ‑cirque, signifie tzigane en Italien.
Tout le travail de Bartabas se nourrit comme l’écrit avec émotion Françoise Gründ « des frottements avec les autres, ces milliers d’humains particuliers qui chantent pour conjurer leur angoisse et qui font pleurer les instruments de musique fabriqués de leurs mains, lorsque des bouffées de bonheur les submergent ou lorsque la douleur bloque leur poitrine… »