Le théâtre, ici et ailleurs
Entretien

Le théâtre, ici et ailleurs

Entretien avec Richard Demarcy

Le 26 Juil 2006
Alfa Ngau Dominga, Lomani Mandonga etJean Lacroix Kamga dans VIES COURTES de Richard Demarcy, Grand Parquet, Paris, 2006. Photo Geneviève Dudret.
Alfa Ngau Dominga, Lomani Mandonga etJean Lacroix Kamga dans VIES COURTES de Richard Demarcy, Grand Parquet, Paris, 2006. Photo Geneviève Dudret.

A

rticle réservé aux abonné·es
Alfa Ngau Dominga, Lomani Mandonga etJean Lacroix Kamga dans VIES COURTES de Richard Demarcy, Grand Parquet, Paris, 2006. Photo Geneviève Dudret.
Alfa Ngau Dominga, Lomani Mandonga etJean Lacroix Kamga dans VIES COURTES de Richard Demarcy, Grand Parquet, Paris, 2006. Photo Geneviève Dudret.
Article publié pour le numéro
Aller vers l'ailleurs-Couverture du Numéro 89 d'Alternatives ThéâtralesAller vers l'ailleurs-Couverture du Numéro 89 d'Alternatives Théâtrales
89
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

BERNARD DEBROUX : Pour toi, le théâtre est intime­ment lié aux voy­ages…

Richard Demar­cy : Bien sûr. C’est très vrai, vu les divers par­cours qu’en tant qu’au­teur-met­teur en scène et respon­s­able de Com­pag­nie j’ai effec­tués. Notre démarche artis­tique est au fond intime­ment liée à cette notion, mais sans volon­tarisme aucun. Après coup, je m’aperçois que ce fut une véri­ta­ble néces­sité pour écrire, inven­ter scénique­ment, bâtir une troupe. L’in­ser­tion dans d’autres univers fut un des moteurs.

L’écri­t­ure c’est le pre­mier geste fon­da­teur : sur une trentaine de pièces que j’ai écrites, une bonne moitié fut inspirée par des événe­ments et des réal­ités d’autres pays, mais tou­jours immé­di­ate­ment liés au nôtre. Ce réper­toire, s’il est ouvert sur le monde, est en même temps artic­ulé à la société dont je suis par­tie prenante. Certes, une pièce comme L’ÉTRANGER DANS LA MAISON, que nous avons jouée plus de deux ans, par­le de la société française, mais il s’agit d’un Maghrébin dans la société française. Ou Jar­ry revis­ité en Afrique avec UBU TOUJOURS où UBU DÉCHAÎNÉ, ou plus récem­ment, LES MIMOSAS D’ALGÉRIE ayant trait à la guerre d’Al­gérie.

Si j’ai pu écrire qua­tre pièces sur la révo­lu­tion por­tu­gaise, c’est évidem­ment en restant là-bas plus d’un an, à cette péri­ode, mais c’est aus­si parce que je me dis­ais en par­tant que sans faire un « théâtre-doc­u­ment » à la Peter Weiss, j’al­lais essay­er d’écrire des pièces de fic­tion inspirées de l’histoire àchaud.

B. D.: N’est-ce pas dif­fi­cile d’écrire sur des événe­ments au moment même où ils se passent ?

R. D.: Ce fut dif­fi­cile au départ et puis un jour le déclic appa­raît, la forme est trou­vée pour décoller du réel, pour être libre dans l’in­ven­tion. Et ici, comme là-bas, nous avons joué toutes ces pièces en mêlant des acteurs des deux pays (avec Tere­sa Mot­ta qui avait par­ticipé
à la nais­sance du Naïf Théâtre), pas­sant d’un théâtre très offi­ciel, Avi­gnon ou le Fes­ti­val d’au­tomne, à des théâtres indépen­dants, ouvrant àEvo­ra lep­remier théâtre de décen­tral­i­sa­tion, juste après la révo­lu­tion des Œil­lets… Ceci peut paraître loin mais aujourd’hui encore Les pièces font date, et celles sur la réforme agraire par exem­ple intéressent les Brésiliens en ce moment.

B. D.: C’est en Afrique essen­tielle­ment que tu as pour­suivi ton tra­vail.

R. D.: En effet, depuis dix ans, c’est avec le con­ti­nent africain que des liens se sont tis­sés : six ou sept pays d’Afrique, le Cap-Vert, l’Al­gérie pour la saga UBU, OYÉ LUNA, les HISTOIRES DU MONDE ; et tout dernière­ment, comme l’aboutisse­ment d’une étape, VIES COURTES que nous venons de créer au Grand Par­quet dans le 18e arrondisse­ment de Paris, pièce par­lant de l’Afrique urbaine aujourd’hui, de cette Afrique qui a tant par­tie liée avec l’Europe. Et il faut rap­pel­er que les Afriques sont ici aus­si, même si bon nom­bre de Français font sem­blant de ne pas le voir et n’ont pas encore com­pris que notre société est mul­ti­col­ore, que la com­po­si­tion diver­si­fiée de notre pop­u­la­tion est sa richesse ; et que dans cette diver­sité, il y a la part africaine — noire — qu’il faut même affirmer comme telle pour ne plus mas­quer les réal­ités. Chers Français­es et Français, sou­venez-nous — où informez-vous —: l’auteur le plus best-sell­er que vous chéris­sez tant, Alexan­dre Dumas, est bien noir, comme Édith Piaf est d’origine berbère, etc. Il s’agit d’extra-Européens. Et que dire de Beck­ett, Ionesco, etc. La France fut terre « d’ac­cueil ». Tous les étrangers qui s’y sont instal­lés lui ont beau­coup apporté. C’est un fait soci­ologique qui rend les choses bien plus pos­i­tives et qui devrait per­me­t­tre aux Français en quête iden­ti­taire de se met­tre en accord avec leur mon­di­al­ité si évi­dente de nos jours. Par­lant de tout ceci, on peut avoir l’im­pres­sion que je m’éloigne de la ques­tion, mais je crois au con­traire que le théâtre plus que tout autre art est lié à la vie con­tra­dic­toire des sociétés, les unes artic­ulées aux autres. Le théâtre par­le tant de l’homme dans son « intime » que dans son « être de la cité ». En ce moment, pour les acteurs noirs en France, sur les plateaux de théâtre, comme au ciné­ma, c’est très dif­fi­cile. On a même, je pense, vrai­ment régressé par rap­port aux années de Jean-Marie Ser­reau, Gar­ran, Vitez, Chéreau. Alors que la société, elle, a beau­coup bougé dans l’autre sens. La télévi­sion est même bien plus en avant que le théâtre. C’est une vraie ques­tion pour les gens de théâtre, pour un art qui fut si impor­tant en regard des mou­ve­ments de société.

B. D.: Qu’est-ce qu’une troupe diver­si­fiée comme la tienne peut apporter de plus au spec­ta­teur ?

R. D.: Après l’écri­t­ure et la mise en scène, il y a cette part déter­mi­nante du théâtre qu’est la troupe, et sa com­po­si­tion. Il y a un très joli titre de film : LE VOYAGE DES COMÉDIENS. Comé­di­ens et voy­ages, quel sujet riche et poé­tique. Le Naïf Théâtre fut, dès sa créa­tion il y a trente ans, com­posé d’artistes aux orig­ines mul­ti­ples. Aujourd’hui, ce sont cinq ou six artistes de pays d’Afrique, ren­con­trés pour la plu­part là-bas, Por­tu­gais, Français, asi­a­tiques. Le « voy­age » est bien inhérent à ce groupe, même quand la troupe est immo­bile (Pes­soa se définit comme un « voyageur immo­bile »), puisque nous sommes main­tenant Com­pag­nie asso­ciée au Grand Par­quet dans le 18° où soix­ante-dix nation­al­ités coex­is­tent.

Je dirais qu’actuelle­ment, ce sont les spec­ta­teurs qui prof­i­tent de nos voy­ages et des œuvres qui en résul­tent. L’i­den­tité plurielle et pluri-artis­tique de ce nou­veau lieu se fit dès le départ avec notre troupe mul­ti­cul­turelle et notre spec­ta­cle OYÉ LUNA créé au Cap-Vert, qui tourne encore, puis vien­nent HISTOIRES DU MONDE et ma dernière pièce VIES COURTES.

Tout alors se con­jugue et les tal­ents mul­ti­ples de ces artistes peu­vent être large­ment mis à con­tri­bu­tion. François Gros­jean, le jeune directeur du lieu nou­veau, est, quant à lui, tourné vers l’Inde et en apporte la présence.

Pour moi, la grande sat­is­fac­tion après toutes ces années est de voir tous ces publics d’horizons cul­turels dif­férents au ren­dez-vous de notre réper­toire. De l’autre côté, l’étau se resserre ter­ri­ble­ment en France sur la présence des étrangers, et nom­bre d’artistes d’origine étrangère sont men­acés d’ex­pul­sion. Créer, c’est alors aus­si résis­ter.

A

rticle réservé aux abonné·es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte 1€ - Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
2
Partager
Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
Partagez vos réflexions...
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Aller vers l'ailleurs-Couverture du Numéro 89 d'Alternatives Théâtrales
#89
mai 2025

Aller vers l’ailleurs

Précédent
25 Juil 2006 — Je pense qu’il s’est d’abord penché, ensuite il s’est agenouillé et après seulement il a trempé sa main dans l’argile,…

Je pense qu’il s’est d’abord penché, ensuite il s’est age­nouil­lé et après seule­ment il a trem­pé sa main dans l’argile, pour en enduire son vis­age. Mais il n’est pas impos­si­ble qu’après s’être age­nouil­lé, il se…

Par Várszegi Tibor
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total