Dans l’œuvre de Peter Brook une présence constante et à la fois invisible émerge : l’Afrique, ou mieux les Afriques, du moment où ce continent est grand, partout différent et difficile à soumettre à des généralisations. Le parcours artistique de Brook traverse la vaste région de l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud avec son triste passé d’apartheid. Brook est le premier (et l’unique) metteur en scène qui part à la découverte de l’Afrique à l’époque où la plupart des hommes de théâtre recherchaient en Asie les secrets du théâtre.
En 1972 il entreprend son premier voyage en Afrique avec le Centre International de Recherche Théâtrale ; pendant trois mois un groupe d’acteurs, de techniciens et de collaborateurs, partis d’Alger, parcourent le Sahara jusqu’au Niger, ils arrivent au Benin et reviennent à Alger en retraversant le désert. Pourvus seulement d’un tapis, ils jouent partout où ils en ont l’occasion, sur les marchés, les places, dans les villages désertiques. Il s’agit d’un voyage d’expérimentation sur la relation acteur-public. Une quête très pratique sur les lois de la perception théâtrale (espace, rythme, durée, relation physique). L’Afrique devient une sorte d’école pour le groupe du Centre, un lieu d’apprentissage lié à la recherche des conditions idéales pour une communication directe et efficace entre gens provenant de différentes références culturelles.
En Afrique, Peter Brook rencontre une complexe structure de liens sociaux fonctionnels. Cet univers de socialité touche à la recherche qu’il mène sur la nécessité de travailler en groupe, de fonder une sorte de communauté et de trouver un dialogue réel avec une autre communauté en contact rapproché avec les acteurs : le public. Ce voyage marque d’une manière indélébile la carrière et la poétique du metteur en scène. Ses nombreux voyages suivants lui confirment la nécessité de rendre une image loin de tout cliché, positif ou négatif, de cette terre d’Afrique connue et méconnue par l’Europe.
Brook, en effet, rend clairement avec son art la richesse d’Afrique, dans toutes ses formes. Cette vision est, en quelque sorte, contraire aux stéréotypes culturels qui considèrent encore ce continent comme lieu géographique de la spontanéité, espace temporel de l’inachevé où demeure une civilisation cristallisée dans le passé. Au lieu de s’extérioriser à travers des formes matérielles – à savoir l’édification de monuments, la fabrication d’objets artistiques, et la production de textes écrits –, cette culture subtilement sophistiquée s’est exprimée à travers la construction symbolique d’un univers invisible de signes et de connexions avec le monde supraterrestre, transmis par la pratique de la transmission orale. Cette fluidité et la non-fixité propre à la pratique de l’oralité semblent bien correspondre au travail théâtral de Brook.