Opus de Saratov de Josef Nadj
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Opus de Saratov de Josef Nadj

Le 23 Juil 2006
Vladimir Tarasov et Josef Nadj dans LAST LANDSCAPE, Festival d'Avignon 2005. Photo Tristan Jeanne-Vales, Agence Enguerand.

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Vladimir Tarasov et Josef Nadj dans LAST LANDSCAPE, Festival d'Avignon 2005. Photo Tristan Jeanne-Vales, Agence Enguerand.
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J’AIMERAIS vous par­ler d’un film d’aventures plein de sus­pense, bien que le film d’aven­tures le plus exci­tant que j’ai Jamais vu soit un poème, c’est le poème de Cen­drars qui s’in­ti­t­ule La Prose du transsi­bérien et de la petite Jeanne de France, et main­tenant lais­sons les arts con­tin­uer leur marche, lais­sons-les se super­pos­er, comme Cen­drars qui, dans le titre même de son poème, par­le de prose, je voudrais par­ler des pho­tos de Josef Nadj, homme de théâtre mon­di­ale­ment con­nu, l’un des phares du théâtre gestuel. Il n’y a là toute­fois aucune con­tra­dic­tion, rien de sur­prenant, lais­sons les choses pass­er, suiv­re leur cours tran­quille­ment.

Vladimir Tarasov et Josef Nadj dans LAST LANDSCAPE, Festival d'Avignon 2005. Photo Tristan Jeanne-Vales, Agence Enguerand.
Vladimir Tarasov et Josef Nadj dans LAST LANDSCAPE, Fes­ti­val d’Av­i­gnon 2005. Pho­to Tris­tan Jeanne-Vales, Agence Enguerand.
Vladimir Tarasov et Josef Nadj dans LAST LANDSCAPE, Festival d'Avignon 2005. Photo Tristan Jeanne-Vales, Agence Enguerand.
Vladimir Tarasov et Josef Nadj dans LAST LANDSCAPE, Fes­ti­val d’Av­i­gnon 2005. Pho­to Tris­tan Jeanne-Vales, Agence Enguerand.

En réal­ité, Josef Nadj se pré­parait à devenir plas­ti­cien, il a créé un monde graphique achevé
et orig­i­nal, il a réal­isé d’im­por­tantes instal­la­tions, son théâtre aus­si est entouré et tra­ver­sé encore et encore par les arts plas­tiques, et nom­bre de ses spec­ta­cles sont liés aux plus grands artistes con­tem­po­rains, il suf­fit d’évo­quer la manière admirable dont il s’est imprégné de Balthus et de Michaux, dans ses pièces il sculpte sou­vent lui-même, de même il a déjà con­sti­tué une œuvre pho­tographique si impor­tante qu’il est dif­fi­cile de l’appréhender.

Heureuse­ment pour nous, Josef Nadj pense tou­jours par cycles, par séries. Il repho­togra­phie avec entête­ment, avec entête­ment il retourne sur le lieu qui, dans son cas, est lit­térale­ment le lieu du crime. Oui, il retourne sur le lieu du crime comme un assas­sin, mû par une force inex­plic­a­ble. Par exem­ple, nous avions ren­du vis­ite ensem­ble à Balthus, peu avant la mort du grand maître. Josef avait réal­isé une excel­lente série de pho­tos de lui. Mal­gré cela, il est retourné par la suite chez le maître qui vivait retiré du monde dans le présent gelé du paysage suisse, cette fois-là Balthus n’est pas vrai­ment descen­du de sa cham­bre, mais ce n’était pas un prob­lème pour Josef, il avait assez à faire dans Le vieux chalet en bois maintes fois repeint et recou­vert d’écritures, qui ser­vait autre­fois d’hô­tel où, à l’époque, séjour­naient des artistes comme Hugo, Mérimée, Goethe, et auquel, désor­mais, sa femme japon­aise sem­ble avoir insuf­flé l’âme d’un édi­fice japon­ais, incroy­able, mais même après la mort de Balthus, Josef est retourné tra­vailler là-bas, car on pou­vait tou­jours saisir l’e­sprit du maître. Avec son soin mani­aque, sa ténac­ité, son esprit de méth­ode, avec son apti­tude à la clas­si­fi­ca­tion digne d’un archéo­logue pos­sédé, Josef a même fait des pho­tos du pail­las­son avec un motif de cheval à l’en­trée de l’ancestral château en bois, puis d’un jou­et qui se trou­vait non loin de cette entrée, parce que juste­ment c’é­tait un petit cheval de bois, etc.

Pen­dant la moitié de sa vie, il a fait des pho­tos de la Tisza, la riv­ière de notre enfance à Mag­yarkanizsa, notre ville natale, comme con­tre­point à un autre lieu déter­mi­nant, le désert sal­ifère : ces pho­tos sont empreintes de la déli­catesse des maîtres extrême- ori­en­taux et de Tihamér Dobé, le pein­tre de son enfance — mais chez lui c’est plus pesant, ce n’est ni aérien ni rose, ce sont des pho­tos pris­es de l’avant d’une bar­que cal­fatée : l’ombre de l’avant et les pro­fondeurs qui s’ou­vrent au-dessous de l’ombre. Après cette expéri­ence, quand il a pu plonger inaperçu dans le cœur du dieu du fleuve, matière som­bre, dense, tour­bil­lon­nante comme le goudron, il a com­mencé à pho­togra­phi­er l’eau de la Lif­fey depuis un pont de Dublin. Dans cet exem­ple, on peut dis­cern­er ce glisse­ment imper­cep­ti­ble du con­cret, du local dans le com­mun, l’universel, ce glisse­ment qui n’ap­par­tient qu’à lui. Oui, comme pour un grand pianiste, il faudrait dis­sert­er sur ce touch­er de Josef, puisque c’est cela dont sont inca­pables les artistes qui vont sur les lieux en touristes. Pen­dant dix ans, Josef a pho­tographié les petits riens du Père-Lachaise. Par exem­ple, un ser­pent qui se mord la queue, coincé entre les grilles, un ser­pent si rouil­lé qu’il en devient vivant. De même, depuis des années, il pho­togra­phie le délabre­ment pro­gres­sif des murs d’une ferme habitée par des paysans durs à la tâche, puis par des roms et des sans-abri, enfin aban­don­née de tous, murs badi­geon­nés, tam­pon­nés par ces étranges habi­tants, encrassés, puis à nou­veau, comme en transe, éclaboussés de pein­ture, exacte­ment comme s’il tra­vail­lait dans l’atelier de Tàpies, main dans la main avec le maître. Oui, mais pour cela, il a dû étudi­er pen­dant vingt à trente ans l’œuvre de Tàpies, avec une hum­ble pas­sion, en mon­tant toute une bib­lio­thèque sur lui.

Et main­tenant, il est temps de com­mencer le réc­it de notre film d’aven­tures, pour­tant tout cela fait déjà par­tie d’un film d’aventures réel, car Josef est capa­ble de ren­tr­er de Paris ou Tokyo dans sa ville natale, de retourn­er à Dublin qui est chez lui désor­mais, pour écouter encore et encore ses fleuves, à la mai­son pour pou­voir faire des images de cette ferme aux murs croulants, qui soient justes par rap­port à la sai­son.

Aven­tures. Oui, Josef, cet homme équili­bré et inébran­lable est un aven­turi­er, c’est un aven­turi­er dont cer­tains cama­rades de classe, avec qui il est d’ailleurs resté en con­tact, ont servi dans la légion étrangère. L’un de ces officiers légion­naires a aus­si une œuvre pho­tographique impor­tante, et il n’est pas exclu qu’un jour ces deux aven­turi­ers exposent ensem­ble.

Donc : il y a 6 ou 7 ans, Josef Nadj a présen­té à Sara­tov une pièce d’après Kaf­ka. C’é­tait la chose à faire, il faut le dire tout de suite. Présen­ter une pièce inspirée de Kaf­ka dans un lieu kafkaïen. Il a donc joué à Sara­tov, comme il l’a fait dans tous les grands théâtres du monde, ni plus ni moins. Quelques années plus tard, son ami Milianti, qui met­tait en scène PENTHÉSILÉE, a fait venir Josef à Sara­tov pour qu’il en fasse la choré­gra­phie. Revoilà donc Josef à Sara­tov.

Et depuis, comme le héros du poème de Cen­drars, il s’y rend régulière­ment, ce qui est déjà en soi une aven­ture puisque Josef voy­age avec un passe­port yougoslave, il décou­vre Le sous-sol du vieux théâtre de Sara­tov, un lieu, avançons quelques qual­i­fi­cat­ifs, qui coupe le souf­fle et donne le fris­son. Les bas-fonds de ce théâtre vieux de deux siè­cles. Des bas-fonds dan­tesques. Comme si le som­bre dieu du fleuve l’avait emmené ici, dans les cat­a­combes de cette ville au bord de la Vol­ga, comme s’il n’avait jamais refait sur­face ni de la Tisza ni de la Lif­fey, les fleuves de Petö­fi et de Joyce.

Sara­tov (l’en­cy­clopédie de mon enfance dit seule­ment que c’est un port sut la Vol­ga, spé­cial­isé dans le com­merce des céréales et du pét­role, mais mon amie spé­cial­iste du russe sait que Tch­erny­chevs­ki, l’auteur de QUE FAIRE ?, était pro­fesseur de lycée à Sara­tov, que Radichtchev, le franc-maçon con­damné à l’exil qui s’est sui­cidé, était aus­si orig­i­naire de Sara­tov et Josef m’a dit plus tard que Sara­tov est égale­ment la ville du com­pos­i­teur Schnit­tke), pen­dant des décen­nies, a été exclu­sive­ment un ter­ri­toire mil­i­taire, her­mé­tique­ment clos, et même rayé des cartes de géo­gra­phie : la Zone. Alors, en ce qui nous con­cerne, c’est dans cette Zone qu’a vécu autre­fois un théâtre doré qui a pris ensuite le nom de Marx. Ce qui est déjà en soi une chose effroy­able­ment bizarre, si on a quelque notion du tra­vail destruc­teur, cor­rup­teur et néfaste de l’armée.

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Écrit par Ottó Tolnai
Tol­nai Ottó est poète, essay­iste, cri­tique d’art et co-fon­da­teur et ani­ma­teur de la revue littéraire Uj Sym­po­sium. Il...Plus d'info
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