Un théâtre polyphonique
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Un théâtre polyphonique

Entretien avec Anatoli Vassiliev

Le 21 Juil 2006
MOZART ET SALIERI. REQUIEM d’après Alexandre Pouchkine, mise en scène Anatoli Vassiliev. Photo Anaïoli Vassiliev.
MOZART ET SALIERI. REQUIEM d’après Alexandre Pouchkine, mise en scène Anatoli Vassiliev. Photo Anaïoli Vassiliev.

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MOZART ET SALIERI. REQUIEM d’après Alexandre Pouchkine, mise en scène Anatoli Vassiliev. Photo Anaïoli Vassiliev.
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Du cer­cle de per­son­nages « en quête de bon­heur » à l’exil de Médée, en pas­sant par l’épopée d’Achille à l’âme éprise d’ailleurs et insa­tiable de Baude­laire ou de Pouchkine/Onéguine, le voy­age tra­verse l’œuvre de Vas­siliev tel un fil­igrane.  Il ne s’agit cepen­dant pas tant d’un thème lit­téraire ou de déplace­ments géo­graphiques que d’une métaphore du pro­jet théâ­tral lui-même. Dans les années 80, le met­teur en scène russe obtient ses pre­miers suc­cès à Moscou et en Europe avec Cerceau de Vic­tor Slavkine, texte déjà man­i­feste de la quête utopique qu’il ne cesse de men­er depuis. Son activ­ité théâ­trale per­dure en effet depuis près de quar­ante ans sur un chemin pas­sion­né et sans cesse mou­vant. « Chemin en art » dit-il sans cacher la démesure du pro­jet et de l’ambition. La base ne reste pas moins fixe, celle du théâtre lab­o­ra­toire et d’une véri­ta­ble fas­ci­na­tion de la rela­tion entre théorie et pra­tique et du « théâtre total » comme tâche et idéal. Tâche du péd­a­gogue, idéal de l’éthique rigoureuse de ses acteurs au sein du Théâtre Ecole d’art dra­ma­tique à Moscou, « mis­sion » du met­teur en scène qui tend à embrass­er un pan tou­jours plus enfoui de la lit­téra­ture, des idées, et de l’aspect syn­cré­tique de la créa­tion. Au fil de son tra­vail sur le jeu de l’acteur et à tra­vers les œuvres mon­trées ou non au pub­lic, Vas­siliev garde intact son rêve de voir sur­gir ne serait-ce qu’une heure ou un instant l’illusion « vraie » d’un autre pos­si­ble.

Stéphanie Lupo : A Avi­gnon vous mon­trez Le 23eme chant de l’Iliade d’Homère et Mozart et Salieri d’après Pouchkine. Pourquoi choisir des textes non dra­ma­tiques ? 

Ana­toli Vas­siliev : Que je ne mon­tre pas des textes dra­ma­tiques, c’est un fait réel et récem­ment je me suis posé la ques­tion de com­bi­en ma car­rière en comp­tait. Bien sûr il y a longtemps j’ai tra­vail­lé  sur Piran­del­lo mais déjà je coupais des morceaux. Et même avant avec Cerceau, le texte était inven­té col­lec­tive­ment pen­dant les répéti­tions avec l’auteur, et c’est devenu un texte tout à fait dif­férent. Pour Tchekhov par exem­ple je n’ai jamais mon­té un texte com­plet, j’ai mon­té une œuvre qui s’appelait La Mou­ette IVe acte. Et de même pour Amphit­ry­on. Bien sûr à la Comédie française j’ai mon­té le texte entier, mais en Russie le spec­ta­cle s’intitulait Huit dia­logues tirés d’Amphitryon. J’ai aus­si mon­té beau­coup de romans mais ça ne sig­ni­fie pas que je fais des adap­ta­tions, jamais. Pour le roman de Dos­toïevs­ki Le songe de l’oncle, j’ai sélec­tion­né quelques chapitres et je les ai util­isés sans rien chang­er ni réécrire, sans rien non plus découper dans le morceau choisi. Bien sûr ce serait pos­si­ble de met­tre en scène le texte entier mais ça ne m’intéresse pas. Qu’est-ce que je monte ? Je me suis posé moi-même la ques­tion.

S. L. : Les deux spec­ta­cles présen­tent une com­po­si­tion com­plexe mêlant texte lit­téraire, inter­ludes musi­caux, chant et par­ties choré­graphiées. Peut-on dire que le choix des textes est lié au thème qui vous est cher de la poly­phonie ? 

A. V. : C’est prob­a­ble­ment sur ce ter­rain que se trou­vent les racines. Pour  Mozart et Salieri par exem­ple, on peut dire que c’est un texte dra­ma­tique, une tragédie, mais j’y ai inclus un requiem et aus­si qua­tre poèmes de jeunesse de Pouchkine. J’appelle la scène cen­trale où Mozart boit le poi­son et où sont inclus des poèmes de jeunesse, l’atelier d’artiste. Le théâtre poly­phonique, ou « syn­thé­tique » pour nous les Russ­es, c’est une vraie ques­tion. Je pense que les fonde­ments on peut les trou­ver dans ceci :  je maîtrise les struc­tures dra­ma­tiques mais mon intérêt con­cerne des formes qui n’appartiennent pas aux drames. Ce que je souhaite c’est trans­met­tre des struc­tures dra­ma­tiques à ces autres textes. Trans­former le monde de textes non dra­ma­tiques en drame. Mais surtout, la nature comme telle est poly­phonique. Le monde et notre nature à nous êtres humains sont fondés sur une loi uni­verselle et c’est à tra­vers la poly­phonie que cette loi se révèle. C’est en suiv­ant cette voie que je suis arrivé au théâtre du mys­tère.  

S. L. : Pren­dre d’autres textes comme une autre matière, n’est-ce pas aus­si une manière d’ abor­der le thème du poten­tiel utopique du théâtre ?

A. V. : Je ne sais dire s’il s’agit ou non de théâtre. Ce qui est sûr c’est que je me suis tou­jours intéressé à des mon­des qui peu­vent faire l’épreuve du monde dra­ma­tique. Avec la méta­physique, avec l’homme, avec son âme, avec la con­science. Par exem­ple on a répété Eugène Onéguine de Pouchkine. C’est un roman, et le défi le plus grand a été de créer une œuvre dra­ma­tique qui du point de vue de la struc­ture serait iden­tique au roman. Depuis Cerceau déjà, je m’intéresse aux struc­tures du roman. J’ai écrit un texte à ce sujet. Parce que dans le drame les espaces sont fer­més. Et j’ai com­mencé à m’intéresser aux espaces ouverts, puis aux instru­ments qui per­me­t­tent de trou­ver une expéri­ence adéquate pour les tra­vers­er. Et même quand j’ai pris des textes à espaces plutôt fer­més comme pour Mozart et Salieri j’ai cher­ché à les ouvrir. Pren­dre le monde fer­mé du drame et essay­er de l’ouvrir, pren­dre le monde ouvert du roman et trou­ver le moyen de le fer­mer comme dans le drame, on peut dire que c’est un chemin. 

S. L. : Celui de con­fon­dre ces deux mon­des ? 

A. V. : Oui, bien sûr.

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Écrit par Stéphanie Lupo
Stéphanie Lupo est Doc­teur en Études Théâ­trales de la Sor­bonne et diplômée de mise en scène de l’ENSATT....Plus d'info
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