Eschyle Les Sept contre Thèbes — Un traduction « pneumatique »

Eschyle Les Sept contre Thèbes — Un traduction « pneumatique »

Le 17 Oct 2006

A

rticle réservé aux abonné·es
Article publié pour le numéro
Couverture du Numéro 90-91 - Marc Liebens
90 – 91
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

Étéo­cle

Citoyens de Cad­mos,
il doit dire ce qui se doit,
celui qui, en garde des affaires de l’État,
à la poupe de la cité, manœu­vre la barre
sans que tombent lour­des ses paupières.

Car, au cas où nous agiri­ons avec suc­cès,
le mérite au divin en reviendrait.
Si, par con­tre — croi­sons les doigts — un mal­heur arrive,
Étéo­cle — un seul nom sur toutes les lèvres —
sera acclamé par des con­certs
de vocif­éra­tions et de lamen­ta­tions
dont Zeus Pro­tecteur, en son nom, puisse
épargn­er la ville des Cad­méens.

Et vous, à cette heure,
aus­si bien ceux qui n’ont pas encore atteint l’âge vir­il
que ceux qui ont fait leur temps,
il vous faut ban­der fort votre puis­sance,
cha­cun s’engageant selon ses forces.

Il vous faut sec­ourir la cité
et les autels de nos dieux,
afin que ne meure leur culte ;
sec­ourir ceux de votre sang
et la Terre-Mère, nour­rice chère,
qui, assumant le dur devoir
de vous élever vous enfants encore ram­pants
sur son sol accueil­lant,
vous a nour­ris
et de vous a fait des citoyens,
armés de boucliers,
dignes et prêts à la tâche.

Jusqu’ici, la chance est de notre côté ;
depuis le temps que dure notre réclu­sion,
la guerre — grâce aux dieux —
le plus sou­vent tourne à notre avan­tage.

Mais aujourd’hui,
le devin, gar­di­en des oiseaux,
a par­lé :
lui qui, par l’oreille et l’esprit,
sans le recours au feu,
observe,
et dont l’art ne ment pas ;
maître des augures,
il déclare
qu’une grande offen­sive achéenne,
dans la nuit,
se trame et s’ourdit con­tre Thèbes.

En marche,
équipés de tout votre arme­ment,
pré­cip­itez-vous aux ren­forts et aux portes ;
massez-vous sur les murailles ;
des tours, occu­pez les pon­tons,
et, le pied ferme,
défend­ez l’accès aux portes
sans crain­dre le nom­bre des assail­lants —
le dieu tra­vaille à notre cause.

Et moi, à l’armée enne­mie,
j’ai envoyé des obser­va­teurs et des espi­ons
qui — j’en suis sûr —
ne se per­dront pas en chemin.
Puis­sent leurs rap­ports écoutés
me met­tre en garde con­tre la ruse.

Le Mes­sager

Étéo­cle, courageux chef des Cad­méens,
de retour de l’armée enne­mie,
j’ai — pour toi —
sur les choses de là-bas
un rap­port cir­con­stan­cié.
J’ai — moi — été le spec­ta­teur de ces événe­ments :
sept com­man­dants,
hommes impétueux,
égorgeaient un tau­reau sur un boucli­er noir,
et, plongeant leurs mains dans le sang de la bête,
par Arès et Enyo,
et Pho­bos assoif­fée de sang,
ils juraient
qu’ils ne lais­seraient à Thèbes
aucun signe de vie
après l’avoir détru­ite de fond en comble,
ou alors
qu’ils gorg­eraient de leur sang cette terre
par leur mort.

De leurs mains,
pour sou­venirs à leurs par­ents,
ils attachaient au char d’Adraste
des objets per­son­nels,
tout en ver­sant des larmes,
mais ne proféraient aucune plainte.

Leur cœur de fer mâle ardent, rugis­sait comme les lions,
Arès au fond de leurs yeux.

Ni hési­ta­tion ni recul dans leur déter­mi­na­tion.

Je les ai lais­sés :
cha­cun tirait du casque de guerre
le sort qui désign­erait la porte
où il con­duirait son unité.

Choi­sis donc rapi­de­ment
les meilleurs hommes par­mi les hommes de la ville,
sois leur chef et
con­duis-les auprès des portes,
car déjà les troupes d’Argos,
toutes en armes, s’approchent ;
l’écume au poitrail,
dans un nuage de pous­sière,
leurs chevaux bavent sur nos plaines.

Toi,
comme le marin veille à la barre,
veille sur la ville
avant que les vents d’Arès ne tour­nent à l’ouragan.

En ce moment même,
le sol reten­tit de la vague enne­mie ;
en face,
reprends le plus rapi­de­ment pos­si­ble l’initiative.

Moi, fidèle obser­va­teur du jour,
je garderai les yeux ouverts,
et d’une claire parole, apprenant
ce qui se déroule devant la porte,
tu seras celui qui évite le dan­ger.
[Il s’éloigne.]

Étéo­cle

Ô mes dieux, ma terre,
Zeus !
Ara, malé­dic­tion,
et toi, Erinys,
du père l’ombrageuse stature,
ne m’arrachez pas ma ville —
cap­turée,
saccagées ses maisons, ses familles,
ses fon­da­tions.

Elle, voix de la Grèce,
ne la pliez pas, ma terre libre,
la Cad­méenne,
sous le joug de l’esclavage.

Soyez notre force.
J’espère de notre exis­tence com­mune par­ler :
une cité pais­i­ble hon­ore ses dieux.

Le Chœur

Moi qui ai peur, je crie ma détresse immense.
L’armée est lâchée.
Il a quit­té son campe­ment et défer­le
vers nous, le peu­ple nom­breux des cav­a­liers.

Preuve : la pous­sière dans l’air, mes­sagère
muette, authen­tique et solide à ma vue.
Le bran­le-bas des armes s’est emparé du sol
de ma terre, il s’approche, s’élance, tonne.

Ain­si le tor­rent irré­ductible descend
la mon­tagne.

Ce mal­heur dressé con­tre nous, ô dieux,
ô déess­es, éloignez-le.

Le cri a franchi la muraille : la grande armée des boucliers blancs s’est lev­ée, elle fait
manœu­vre vers Thèbes.
Qui des dieux, des déess­es, la retien­dra ?
Qui nous en préservera ?
Et moi que dois-je faire, sinon tomber à genoux
devant les stat­ues de nos dieux ?
Ô bien­heureux à l’om­bre de vos sanc­tu­aires,
vers vous, il est l’heure de press­er le pas,
pourquoi s’at­tarder en plaintes vaines ?
Enten­dez-vous ou non le fra­cas des boucliers ?
Quand — sinon main­tenant — avoir recours
à la pro­ces­sion des voiles et des couronnes ?

Je le vois le fer­raille­ment, le fer à fer de plus
d’une lance !
Que vas-tu faire Arès ? Trahir ton ances­trale
terre ?
Regarde, dieu au casque d’or, regarde la ville
la ville à laque­lle tu accor­das ton affec­tion.

Dieux de nos rues et de nos maisons, venez tous,
venez voir des vierges la horde sup­pli­ante,
sup­pli­ante à la pen­sée de l’esclavage.
Autour de la ville bouil­lonne — hommes ivres
à la crête emplumée — une vague soulevée
par le souf­fle d’Arès.

Ô Zeus, Zeus !
Père qui tout accom­plit
de nos corps
repousse la main de l’en­ne­mi.

Ceux d’Ar­gos étran­g­lent la ville de Cad­mos.
En moi monte la ter­reur des armes homi­cides.
Le frein aux mâchoires des chevaux crie
le meurtre. Sept valeureux com­man­dants
de l’ar­mée enne­mie, tirés au sort, équipés
de lances, ont pris posi­tion aux sept portes.

Et toi, Pal­las ! née de Zeus, toi puis­sante
qui aime le com­bat
viens au sec­ours de notre cité !
et que Poséi­don, lui, maître des chevaux,
maître de la mer par le har­pon lancé
sur le pois­son
nous délivre, nous délivre du nœud de la peur.
Et toi, puisqu’il le faut, Arès !
sur cette ville qui tient son nom aimé
de Cad­mos
telle la vigie scrute l’e­space, veille inqui­et.
Et toi, Matrice de nos races, Cypris !
de ton sang nous sommes nés, pro­tége-nous !
Nous nous appro­chons de toi avec des chants,
des prières et des larmes.
Et toi, Lycos ! chef tueur de loup, Lycos !
fais hurler l’en­ne­mi comme il nous fait hurler !
Et toi, Artémis !
recou­vre-toi de toutes tes armes !

Dieu ! j’en­tends le roule­ment des chars
autour de la ville !
Ô puis­sante Héra !
Les essieux ont crié sous le poids des guer­ri­ers !
Artémis aimée !
L’air haché par la lance devient fou.

Quelle est cette souf­france endurée par ma cité ?
Que va-t-elle devenir ? Où le des­tin — encore
à la fin l’emporte-t-il ?

La pierre pro­jetée de loin vient heurter
nos murailles !
Ô Apol­lon !
J’en­tends aux portes le choc des boucliers
de bronze !
Écoute
toi qui de par Zeus décide
du terme fatal de toute guerre ;
et toi, Onka !
sou­veraine à la proue de la cité
pro­tège Thèbes
la ville aux sept portes.

Ah ! dieux tout-puis­sants — et déess­es – des­tinés
et des­tinées à la garde de cette terre, ne livrez pas cette ville exténuée sous le coup des lances
à l’ar­mée de ceux qui par­lent une langue
étrangère. Écoutez, écoutez en toute ami­tié et jus­tice,
la plainte des vierges aux mains ten­dues
vers vous. Chers dieux libéra­teurs, rem­parts
de notre ville, mon­trez com­bi­en vous l’aimez !
Acceptez nos sac­ri­fices et, les rece­vant,
venez-nous en aide !
N’ou­bliez pas
et sou­venez-vous de l’en­cens des mys­tères
brûlé à pro­fu­sion.

Etéo­cle

Je vous pose la ques­tion
insup­port­a­bles ven­tres mous :
est-ce là agir comme il se doit
pour la sauve­g­arde de la cité ?
est-ce là redonner courage
à notre armée
assiégée
que d’aller vous affaler cri­ardes
et gueu­lantes
aux pieds des dieux de bois ?

toute chose répug­nante
pour un être sen­sé.

Pas plus dans le mal­heur
que dans les douces heures
je ne vivrai
sous le même toit que votre race
car
fortes, votre cœur n’est pas
de ceux aux­quels on s’ac­corde
et
dans le dan­ger
vous êtes un fléau pour le foy­er
et pour la ville.

Ici et là, excitées
vous semez la déban­dade par­mi
les citoyens,
ren­forçant le par­ti de l’en­ne­mi
cepen­dant qu’à l’in­térieur
nous nous livrons à notre pro­pre
destruc­tion. Voilà ce qui arrive
à vivre avec des femmes !

À par­tir d’au­jour­d’hui
quiconque
ne suiv­ra pas mon ordre,
homme ou femme ou
— qui est l’un dans l’autre —
une sen­tence de mort à son encon­tre
sera pronon­cée
et du peu­ple il ne pour­ra échap­per
au juge­ment des pier­res.

À l’homme
le soin des affaires du monde
et que la femme n’en décide pas.

Reste au foy­er et cesse de nuire !
M’en­tends-tu, oui ou non ? ou bien
est-ce que je par­le à une sourde ?

Le Chœur

Enfant chéri d’Oedipe, j’ai peur lorsque
parvient à mon oreille le bran­le-bas,

le bran­le-bas des chars où se mêle le cri
des essieux au claque­ment sec des har­nais,

quant à la bouche des chevaux le mors,
fils du feu, jamais ne s’en­dort.

Etéo­cle

Eh quoi ! Est-ce que le marin,
remet­tant son salut à la manœu­vre,
fuit, de la poupe à la proue,
quand,
sur la mer, lutte en grinçant
le bateau con­tre la vague ?

Le Chœur

Non, je n’ai fait que courir con­fi­ante
vers les vieilles stat­ues de nos dieux,
que parce que grondait à nos portes ain­si
que la neige, l’avalanche meur­trière,

et seule­ment alors la peur m’a entraînée
à prier nos bien­heureux,

afin que retombe leur puis­sance sur la ville.

Étéo­cle

Priez (prie)
que le mur d’enceinte nous pro­tège
du trait enne­mi !
Cela, ce sera — prier —
et pour les dieux eux-mêmes !
Ne dit-on pas
qu’ils aban­don­nent
une cité prise ?

Le Chœur

Moi vivante, que jamais mes yeux
ne puis­sent voir

cette ville aban­don­née des dieux ici rassem­blés,

Thèbes saccagée, par­cou­rue par les incen­di­aires.

Étéo­cle

N’en appelle pas aux dieux
à tort et à tra­vers,
car la stricte obser­vance — femme —
est mère des pra­tiques qui sauvent.
Il n’y a rien d’autre à enten­dre.

Le Chœur

Oui, mais plus élevé est le pou­voir des dieux.

Sou­vent, il bal­aye le nuage de devant le regard
assom­bri par la peine

de qui va dému­ni dans le mal­heur.

Étéo­cle

Il appar­tient aux hommes
de sac­ri­fi­er,
d’interroger l’avenir à l’ombre
de la chair enne­mie.
Tu dois,
de ton côté,
te taire et
rester dans ta mai­son.

Le Chœur

C’est par la grâce des dieux que, de la foule
enne­mie, nous pro­tè­gent encore nos murailles,

et que notre ville reste invain­cue.

Quelle jus­tice peut pren­dre ombrage de cela ?

Étéo­cle

Non, je ne te dis­pute pas le priv­ilège
d’honorer la famille nom­breuse
des dieux,
mais afin de ne pas ramol­lir
le cœur des citoyens,
reste calme
et
ne te laisse pas sub­merg­er
par ta ter­reur.

Le Coryphée

Du fond des entrailles de sa terre,
la ville râle comme étran­glée !

Étéo­cle

Ce qui se passe réelle­ment,
c’est à moi d’en décider.

Le Chœur

Ayant enten­du de la mêlée le choc soudain,
épou­van­tée,
j’ai cou­ru vers cette acro­p­ole, lieu vénéré.

Étéo­cle

Alors, à l’annonce des morts et des blessés,
n’allez pas — ne va pas — en lamen­ta­tions
vous répan­dre — te répan­dre —
car c’est l’abreuvoir d’Arès que leur sang.

Le Coryphée

Oh ! j’entends
le hen­nisse­ment fou des chevaux !

Étéo­cle

Entends,
mais retiens-toi de le mon­tr­er.

Le Coryphée
J’ai peur,
le fra­cas aux portes redou­ble !

Étéo­cle

Tais-toi !
et cesse de crier de telles choses à tra­vers la ville.

Le Coryphée

Ô dieux rassem­blés,
ne livrez pas à l’assaut le mur d’enceinte !

Étéo­cle

Vas-tu te taire ?
et garder ces paroles qui nous mènent à la ruine ?

Le Coryphée

Dieux de la cité !
que le sort ne me désigne pas à l’esclavage !

Étéo­cle

C’est toi-même qui me livre, moi et ma ville,
à l’esclavage.

Le Coryphée

Zeus tout-puis­sant
tourne ta lance con­tre l’en­ne­mi !

Étéo­cle

Ô Zeus
pourquoi avoir engen­dré cette race de femme ?

Le Coryphée

Comme les hommes une race de mal­heur
si la ville est prise !

Étéo­cle

Encore tu par­les
comme à tes dieux de bois.

Le Coryphée

Je perds pied,
la peur m’ar­rache les mots de la bouche !

Étéo­cle

Et si pour en finir — je te le demande —
tu m’adres­sais un dernier mot, plus léger ?

Le Coryphée

Dis-le vite,
aus­sitôt je le saurai !

Étéo­cle

Silence ! femme de mal­heur !
cesse d’ef­fray­er les tiens !

Le Coryphée

Je me tais,
le noir des­tin de tous sera le mien.

Étéo­cle

Tes derniers mots
ceux-là je les accueille
mais à ceux-ci ajoute,
en t’éloignant de tes dieux de bois,
ce vœu ultime :
que les dieux se bat­tent à nos côtés ;
et approu­vant mes vœux — à moi —
pousse
le cri rit­uel qui donne la vic­toire
et qui du Grec est le cri sacré
insuf­fle
— toi — à ceux qui nous sont chers
l’ardeur qui dénoue les cordes de la peur.

A

rticle réservé aux abonné·es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte 1€ - Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
8
Partager
Partagez vos réflexions...
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Couverture du Numéro 90-91 - Marc Liebens
#90 – 91
mai 2025

Marc Liebens

18 Oct 2006 — Cette traduction des SEPT CONTRE THÈBES est bien sûr tout d'abord dédiée à Marc Liebens qui m'y a précipité, mais…

Cette tra­duc­tion des SEPT CONTRE THÈBES est bien sûr tout d’abord dédiée à Marc Liebens qui m’y a…

Par jacques roman
Précédent
16 Oct 2006 — Entre seize et dix-sept ans, j’écrivais ma première pièce de théâtre, sans trop savoir ce qu’est une pièce ni même…

Entre seize et dix-sept ans, j’écrivais ma pre­mière pièce de théâtre, sans trop savoir ce qu’est une pièce ni même ce qu’est le théâtre. Or, quand mon maître de classe, l’ayant lue, obser­va : «…

Par bernard schlurick
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total