HAMLET-MACHINE, un texte explosif
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HAMLET-MACHINE, un texte explosif

Le 11 Oct 2006
Article publié pour le numéro
Couverture du Numéro 90-91 - Marc Liebens
90 – 91
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Bernard Debroux : Près de trente ans après sa créa­tion, Ham­let-Machine a‑t-il encore quelque chose à nous dire aujourd’hui ? Les deux thèmes majeurs qui sous-ten­dent la pièce (la fin du com­mu­nisme et la fin du théâtre) ont-ils encore une réso­nance en ce début de XXIᵉ siè­cle ?

Hans-Thies Lehmann : Trente ans après sa créa­tion, Ham­let-Machine fait par­tie des « pièces clas­siques » qui artic­u­lent aux yeux des intel­lectuels, aujourd’hui aus­si bien qu’alors, la pen­sée, la viril­ité, le désir de la mort dans le con­texte d’une réal­ité poli­tique exclu­sive­ment déter­minée par des con­flits. Elle reste un événe­ment unique de pro­fondeur poé­tique, poli­tique et intel­lectuelle. Alors que les idéolo­gies d’une har­mon­i­sa­tion néo-libérale et la séduc­tion de sourire au nou­veau Dane­mark y sont omniprésentes, la majorité des jeunes est saisie par le dégoût du monde des faiseurs. Le texte explosif de Ham­let-Machine leur offre un champ de paroles qui per­me­t­tent, d’une façon tou­jours renou­ve­lable, de présen­ter l’art comme le désir de « ren­dre la réal­ité impos­si­ble ». Même si l’on voulait trou­ver dans l’œuvre de Müller (ce qui serait d’ailleurs trop sim­ple) la thé­ma­tique de la fin du com­mu­nisme, ce ne serait que pour prou­ver que le com­mu­nisme n’en finit pas de finir, et même qu’il n’a pas encore com­mencé d’exister. Il reste que, comme Brecht et Pasoli­ni, Müller est un poète sig­ni­fi­catif nour­ri de l’expérience com­mu­niste. À l’instar des paysages de Beck­ett, les champs de ruine de Müller n’en sont pas un endroit pour faire des diag­nos­tics défini­tifs (ni pour annon­cer la fin de quelque chose), mais offrent l’opportunité d’articuler des con­flits com­plex­es. Même si la forme du texte de Ham­let-Machine répond à la crise pro­fonde du théâtre dra­ma­tique, elle n’annonce pas la fin du théâtre en tant que tel : elle offre un large spec­tre de fig­u­ra­tions poli­tiques post-dra­ma­tiques que les moyens tra­di­tion­nels de la scène ne per­me­t­tent plus d’exprimer. Il est indé­ni­able que Müller s’appuie sur les épaules de Brecht, qui a réal­isé, avec ses moyens, des choses ana­logues à son époque. Mais cette cer­ti­tude ne peut faire oubli­er que Ham­let-Machine de Müller a été écrit dans un monde où aucun des repères et des sché­mas de Brecht n’est resté inchangé. Alors que le jeune Müller était le « fils » qui réfléchis­sait sur la crainte des influ­ences, le Müller d’après — et cer­taine­ment l’auteur de Ham­let-Machine — n’était plus qu’un descen­dant pour qui Brecht et quelques autres auteurs — pas néces­saire­ment mod­ernes, mais qui partageaient tout au moins les con­vic­tions poli­tiques de Brecht — for­maient l’horizon de son écri­t­ure et de ses idées théâ­trales.

B. D. : Quels sont les rap­ports que l’on peut établir entre Bertolt Brecht et Hein­er Müller ? Pour le pre­mier, l’avenir sem­ble éclair­er le présent alors que pour le sec­ond le passé est source de pes­simisme…

H.-T. L. : Cela ne mène à rien de pos­er la ques­tion de pes­simisme ou d’optimisme, ni chez Müller ni chez Brecht. Et comme pour chaque auteur impor­tant de notre époque, le critère de « mod­erne » ou de « post­mod­erne » ne s’applique pas dans le cas de Müller. Il fait par­tie de la minorité d’auteurs con­tem­po­rains qui con­sid­èrent, sur base d’une con­science acérée des con­flits, que le trag­ique et la tragédie ne sont pas caducs, et qui ont relevé le défi de for­muler le trag­ique. La ques­tion reste : com­ment définir son écri­t­ure entre le grotesque (post­mod­erne) et ce que Wal­ter Ben­jamin nom­mait « tragédie », entre la ques­tion de savoir si la tragédie est pos­si­ble aujourd’hui et l’impulsion anti-trag­ique qui est inhérente à la chose poli­tique. Ce qui est sûr, c’est que son écri­t­ure et ses exi­gences du théâtre sont intime­ment liées à la néces­sité de dépass­er les cadres et les canons con­ven­tion­nels d’une façon con­crète. Comme le corps représente un bloc sur lequel butent les grandes idées, le frag­ment bloque la ten­dance à la grande syn­thèse. Ces aspects de son écri­t­ure font de l’œuvre de Müller une œuvre qui cor­re­spond à la fois à son et à notre époque, et qui est tou­jours d’actualité aujourd’hui.

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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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