Le testament d’Œdipe Un jeu avec des pions
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Le testament d’Œdipe Un jeu avec des pions

Le 8 Oct 2006
Article publié pour le numéro
Couverture du Numéro 90-91 - Marc Liebens
90 – 91
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Le tes­ta­ment d’Œdipe désig­nait comme ses suc­cesseurs sur le trône de Thèbes ses frères, les jumeaux Étéo­cle et Polyn­ice, qui étaient ses fils, engen­drés avec Jocaste, sa mère. Ils devaient gou­vern­er à tour de rôle, un an cha­cun, selon l’ordre alphabé­tique, Étéo­cle en pre­mier. Polyn­ice acheta un math­é­mati­cien qui prou­va que l’ordre de l’alphabet était l’acte arbi­traire d’un Hébreu aux yeux bridés, fils d’une tsi­gane syphili­tique ayant du sang nègre (de singe) et qu’il fai­sait insulte aux lois naturelles. Polyn­ice com­mença une cam­pagne de désal­phabéti­sa­tion. Étéo­cle la parache­va en faisant couper la langue aux par­ti­sans de Polyn­ice. Au math­é­mati­cien, on coupa les oreilles et on en fit, avec les langues de ses prosé­lytes, un col­lier qu’on lui pen­dit autour du cou.

L’ÉVÉNEMENT POLITIQUE — LE COURONNEMENT D’ÉTÉOCLE

L’événement poli­tique com­mença dans les chants des chœurs d’enfants de toutes les écoles de Thèbes, qui scan­daient l’alphabet accom­pa­g­nés des tam­bours et tam­bourins des sémi­naires où l’on forme les prêtres. Polyn­ice prit son par­ti de l’inévitable : Étéo­cle sur le trône de Thèbes, et félici­ta son frère pour son acces­sion au gou­verne­ment en le mor­dant aux deux joues sous pré­texte de l’embrasser. La pop­u­la­tion applau­dit le bais­er, la minorité à la langue coupée la mor­sure. Le dou­ble cer­cueil d’Œdipe et de Jocaste fai­sait office de trône. Le frère de Jocaste, Créon, oncle et beau-frère d’Œdipe et oncle de ses frères-fils, mena le couron­nement à bonne fin. La couronne était encore col­lante du sang des yeux d’Œdipe ; il l’en avait bar­bouil­lée lorsqu’il s’était crevé les yeux pour ne plus voir sa femme et mère se bal­ançant au bout de la corde. Avec le temps, cela avait pris la couleur de la merde. Puis Étéo­cle par­la de l’état de la nation. Les applaud­isse­ments avaient lieu aux endroits pre­scrits. Des sol­dats de la garde con­trôlaient la bonne marche des applaud­isse­ments. Ils frap­paient avec des matraques en caoutchouc sur toutes les mains qui ne bougeaient pas. Durant la dernière année du gou­verne­ment d’Œdipe, on avait renon­cé aux mas­sues : elles avaient brisé trop de mains dont on avait besoin pour le tra­vail. On avait au début tranché les mains paresseuses avec des épées. Mais le pri­mat de l’économie s’était imposé : le tra­vail passe avant le châ­ti­ment ; « démoc­ra­tie ». Lorsqu’il fut sur le trône, Étéo­cle fit table rase du passé. Il don­na lec­ture d’une exper­tise médi­cale dont il ressor­tait que Jocaste était morte vierge, ce qui étab­lis­sait que ses enfants étaient des cadeaux de Dieu. Un phi­mo­sis d’Œdipe diag­nos­tiqué dans son enfance n’a pas pu être prou­vé : le proces­sus de putré­fac­tion était trop avancé, on ne pou­vait plus soumet­tre le prépuce en ques­tion à un exa­m­en. Avec qua­tre gifles, Étéo­cle fit cess­er les pleur­nicheries de ses sœurs, Ismène et Antigone. Les applaud­isse­ments étouf­fèrent l’éclat de rire de Polyn­ice. Tirésias (hys­térique). Le hoche­ment de tête du devin aveu­gle Tirésias fut trans­for­mé en hoche­ment (d’approbation) par un coup der­rière la nuque. Com­men­taire de la foule : le devin approu­ve. Puis on pas­sa à l’élection du Con­seil d’État. Le principe était sim­ple : il repo­sait sur la recon­nais­sance du fait que l’aveuglement per­met d’y voir clair. Les can­di­dats étaient en rangs, prêts à être choi­sis. Le choix était déter­miné par le nom­bre de pio­ns, lesquels avaient été procurés par le chef de l’État.

Tra­duc­tion de l’allemand par Jean Jour­d­heuil et Jean-François Peyret.

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