Lucides, les fous ? À propos de KLINIKEN dans la mise en scène de Jean-Louis Martinelli
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Lucides, les fous ? À propos de KLINIKEN dans la mise en scène de Jean-Louis Martinelli

Le 10 Nov 2007
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 94-95 - Lars Norén
94 – 95
Article fraîchement numérisée
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Grand prix du syndicat de la critique (meilleur spectacle théâtral de l’année 2007).

« HEUREUX les sim­ples d’esprit car le Roy­aume des cieux leur appar­tient », dit la Bible. Il ne s’agit pas des benêts mais des esprits sim­ples, des cœurs purs, des plus dému­nis… À ceux-là, le Roy­aume des cieux est ouvert, pour peu que l’on croie en Dieu. Qu’en est-il chez Lars Norén ? Ses douze fous — enfin treize, en comp­tant celui qui fait office d’infirmier — ne sem­blent pas nag­er dans le bon­heur. Ici-bas, ils séjour­nent douloureuse­ment dans un hôpi­tal psy­chi­a­trique, certes ouvert, mais sans per­spec­tives d’ici-haut. Chez Norén, pas plus de promess­es de Béat­i­tudes pour nous — enfin pour les gens dits nor­maux. Dedans, dehors… c’est un peu pareil. Après avoir mon­té CATÉGORIE 3.1 en 2000, Jean-Louis Mar­tinel­li a choisi de s’emparer une nou­velle fois de la langue de l’auteur sué­dois, et de la parole des exclus.

Microcosme déviant ou reflet du monde ?

Dans KLINIKEN, une des qua­torze pièces dites « pièces mortes » de Lars Norén, on entend des réc­its du monde et de la famille, de l’enfermement et de la folie, de la mort et de la vie, des réc­its qui émer­gent dans une économie de moyens, des mots et du plateau.

On ren­con­tre Mar­tin qui tra­vail­lait dans la pub­lic­ité et a décou­vert sa séropos­i­tiv­ité, Sofia l’anorexique, Mohammed dont la famille a été mas­sacrée par les Serbes, Roger l’obsédé sex­uel… Au total, douze per­son­nages du côté des fous — des déclarés fous par l’État, la société — ‚et un du côté du per­son­nel soignant. Ces douze-là font fig­ures d’apôtres d’un monde désen­chan­té. Drogue,guerre, sida, etc. Micro­cosme déviant ou sim­ple reflet de notre monde malade du cap­i­tal­isme ? Jean-Louis Mar­tinel­li con­tin­ue d’ausculter notre société, placée sous le gril d’un poète que nom­bre de pro­fes­sion­nels du théâtre et de la cri­tique con­sid­èrent aujourd’hui comme le suc­cesseur de Bergman et de Strind­berg : « C’est la mal­adie du corps social qui est sur scène. Les acteurs sont comme douze patholo­gies, douze man­i­fes­ta­tions et on va étudi­er ces signes-là, qui révè­lent l’état du reste du monde. »1

À part Markus qui souf­fre d’une patholo­gie grave, schiz­o­phrénie aiguë, les autres ne sem­blent pas exagéré­ment tim­brés : dis­ons vous et moi, juste après avoir bas­culé de l’autre côté. La dif­fi­culté à plac­er la fron­tière de la nor­mal­ité est par­ti­c­ulière­ment bien mon­trée ici, sans com­pas­sion exces­sive, avec respect. On garde à l’esprit la mise en scène — tout aus­si réussie en son temps — de Peter Brook, d’après L’HOMME QUI PRENAIT SA FEMME POUR UN CHAPEAU. Mais alors les patients souf­fraient de maux plus graves, leurs mal­adies por­taient des noms savants, et le théâtre qui nous les présen­tait s’inspirait d’un ouvrage à car­ac­tère médi­cal rela­tant des cas clin­iques. La neu­ro-biolo­gie s’en mêlait. Ce qui n’avait pas empêché Peter Brook de nous offrir une pièce haute­ment « sen­ti-men­tale », c’est-à-dire qui fait « sen­tir le men­tal » humaine­ment. Brook nous dis­ait déjà qu’on pou­vait suc­ces­sive­ment tenir un rôle de soignant et de soigné, et les acteurs sur scène, changeaient de rôle à vue sans grande sur­prise pour nous.

Dans la mise en scène de Jean-Louis Mar­tinel­li, pas de con­fu­sion des gen­res. L’hôpital ressem­ble à un hôpi­tal. On en voit prin­ci­pale­ment le hall com­mun, lieu de pas­sage et de retrou­vailles : une télé, un canapé… et au fond une rangée de portes qui con­duisent aux cham­bres et aux toi­lettes. Côté jardin, la cab­ine télé­phonique. Côté cour, un grand écran qui ouvre vers le dehors, la nature, la lib­erté. L’espace est ouvert. Mais per­son­ne ne songe à s’en aller, sauf pour un dernier voy­age. Les malades restent entre eux. Et par­lent, plus ou moins volon­tiers, de leurs souf­frances, de leurs secrets. Leurs échanges sem­blent avoir des ver­tus thérapeu­tiques : ils se par­lent sans se juger. L’univers hos­pi­tal­ier n’est pas pour autant idéal­isé, ni car­i­caturé. Lars Norén y a fait un séjour quand il avait dix-huit ans, soigné notam­ment à coups d’électrochocs, paraît-il. Un ami l’en avait délivré.

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Écrit par Sylvie Martin-Lahmani
Sylvie Mar­tin-Lah­mani est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Alter­na­tives théâ­trales, doc­tor­ante à la Sor­bonne sous...Plus d'info
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